Mot-cleftraité

Kalâbâdhî, « Traité de soufisme : les maîtres et les étapes »

éd. Sindbad, coll. La Bibliothèque de l’islam, Arles

éd. Sind­bad, coll. La Bi­blio­thèque de l’islam, Arles

Il s’agit du « Ki­tâb al-ta‘arruf li-madh­hab ahl al-taṣaw­wuf »1 (« Livre de l’information sur la doc­trine des hommes du sou­fisme »2), l’un des deux plus an­ciens trai­tés de sou­fisme en arabe (Xe siècle apr. J.-C.). « Sans le “Ki­tâb al-ta‘arruf”, nous ne connaî­trions pas vé­ri­ta­ble­ment le sou­fisme », dit Soh­ra­verdi3. L’auteur de ce traité, Abû Bakr Mu­ham­mad, vé­cut, comme son sur­nom de Ka­lâ­bâdhî4 le té­moigne, à Ka­lâ­bâdh, un des quar­tiers de la ville de Bou­khara. En ces temps-là, la cruelle condam­na­tion dont Hal­lâj fut vic­time, fit craindre pour le mou­ve­ment mys­tique dans les cercles qui s’y adon­naient. Aussi Ka­lâ­bâdhî se pro­posa-t-il de mon­trer par écrit que les sou­fis étaient de bons mu­sul­mans, fer­me­ment res­pec­tueux des ar­ticles es­sen­tiels de l’orthodoxie is­la­mique. Pour cha­cun de ces ar­ticles, il ras­sem­bla une sé­rie de pa­roles mé­mo­rables des maîtres mys­tiques, en vers ou en prose, ac­com­pa­gnées de ses propres as­ser­tions et ar­gu­ments. Il se garda pru­dem­ment de nom­mer Hal­lâj ; mais il en re­pro­dui­sit de nom­breuses ci­ta­tions, en les prê­tant ano­ny­me­ment à « un maître im­mi­nent » ou à « un grand soufi ». « En qua­li­fiant le sou­fisme de “madh­hab”, c’est-à-dire [d’“école”] spi­ri­tuelle, in­tel­lec­tuelle et pra­tique avec ses mé­thodes et sa doc­trine spé­ci­fiques, Ka­lâ­bâdhî veut le faire ad­mettre dans le champ du sa­voir is­la­mique fon­da­men­tal, au même titre que la ju­ris­pru­dence et la théo­lo­gie », dit un pro­fes­seur5. Ainsi donc, ce traité apo­lo­gé­tique est l’argumentation un peu sèche que l’on tien­drait en pré­sence de théo­lo­giens et de ju­ristes. Il n’est pas tou­jours d’une lec­ture agréable ; mais il contient des don­nées fon­da­men­tales sur les pre­miers siècles du sou­fisme.

  1. En arabe « كتاب التعرّف لمذهب أهل التصوّف ». Haut
  2. Par­fois tra­duit « Doc­trine propre à l’école des te­nants du sou­fisme ». Haut
  3. Dans p. 11. Haut
  1. En arabe كلاباذي. Par­fois trans­crit Kalābāḏī. Haut
  2. M. De­nis Gril. Haut

Bâyazîd, « Les Dits, “Shatahât” »

éd. Fayard, coll. L’Espace intérieur, Paris

éd. Fayard, coll. L’Espace in­té­rieur, Pa­ris

Il s’agit des « Dits ex­ta­tiques » (« Sha­ta­hât »1) de Bâyazîd Bis­tâmî2, l’un des pre­miers sou­fis de la Perse, et aussi l’un des plus cé­lèbres (IXe siècle apr. J.-C.). Cet homme so­li­taire at­tei­gnit le plus haut de­gré du sou­fisme, c’est-à-dire l’union mys­tique avec Dieu, au point qu’il di­sait être de­venu Dieu Lui-même : « Je me suis dé­pouillé de mon “moi” comme la vi­père de sa peau. Puis je me suis re­gardé : j’étais Lui »3. Et plus loin : « Louange à moi, louange à moi ! je suis [le] Sei­gneur Très-Haut »4 (« Sub­hânî, sub­hânî ! mâ a’zam sha’nî »5). Ces pa­roles au­da­cieuses, qu’il faut prendre au sens al­lé­go­rique, faillirent lui coû­ter la vie ; elles coû­te­ront celle de Hal­lâj. Un maître soufi et un contem­po­rain de Bâyazîd, Ju­nayd Bagh­dâdî, les tra­duira en arabe, langue dans la­quelle elles sont par­ve­nues jusqu’à nous. La re­cherche du dé­pouille­ment se ma­ni­fes­tait chez Bâyazîd par le re­non­ce­ment au monde et par la su­bli­ma­tion des actes spi­ri­tuels tels que la mé­di­ta­tion. Chaque fois qu’il sou­hai­tait mé­di­ter, Bâyazîd s’enfermait dans sa mai­son et en bou­chait tous les ori­fices, pour qu’aucun bruit n’y pé­né­trât. Si, mal­gré tout, quelque cu­rieux frap­pait à sa porte, il criait : « Qui cherches-tu ? — Bâyazîd Bis­tâmî. — Mon en­fant, Bâyazîd Bis­tâmî cherche Bâyazîd Bis­tâmî de­puis qua­rante ans »6. Comme on ne le voyait ja­mais aux cé­ré­mo­nies ni aux ré­cep­tions, on le lui re­pro­cha : « Ja­dis, les saints ren­daient vi­site aux ma­lades, as­sis­taient aux fu­né­railles et al­laient pré­sen­ter leurs condo­léances ». À quoi il ré­pon­dit : « Ils agis­saient ainsi gui­dés par leur rai­son ; ils ne sont pas comme moi qui suis dé­pos­sédé de ma rai­son »7. On lui de­manda d’où lui ve­nait l’état de bon­heur, dans le­quel il se trou­vait : « J’ai ras­sem­blé toutes les né­ces­si­tés de la vie, je les ai fa­go­tées avec la corde du conten­te­ment… et je les ai lan­cées dans l’océan du déses­poir. Alors, je fus sou­lagé »

  1. En arabe « شطحات ». Par­fois trans­crit « Šaṭaḥāt » ou « Cha­ta­hât ». Haut
  2. En per­san بایزید بسطامی. Au­tre­fois trans­crit Baei­zeed Bas­tamy, Baya­zid Bus­tami, Bayé­zid Bis­thâmî, Báya­zyd Bistámy, Baye­zid-Bes­tamy ou Bāyazīd Besṭāmī. En arabe Abû Yazîd Bis­tâmî (أبو يزيد البسطامي). Au­tre­fois trans­crit Abu Ie­zid al Bas­thami, Abu Ya­zid al Bas­tami, Abou-Ye­zid-al-Bos­tami ou Abû-Jezîd el-Bes­thâmî. Haut
  3. p. 59. Haut
  4. p. 44. Haut
  1. En arabe « سبحاني سبحاني ما أعظم شأني ». Haut
  2. p. 40. Haut
  3. p. 89. Haut

Hallâj, « Recueil du “Dîwân” • Hymnes et Prières • Sentences prophétiques et philosophiques »

éd. du Cerf, coll. Patrimoines-Islam, Paris

éd. du Cerf, coll. Pa­tri­moines-Is­lam, Pa­ris

Il s’agit du Di­van (Re­cueil de poé­sies) et autres œuvres de Hu­sayn ibn Man­sûr, mys­tique et poète per­san d’expression arabe, plus connu sous le sur­nom de Hal­lâj1 (« car­deur de co­ton »). « Ce so­bri­quet de “car­deur”, donné à Hal­lâj parce qu’il li­sait dans les cœurs, y dis­cri­mi­nant, comme le peigne à car­der, la vé­rité d’avec la faus­seté, peut fort bien lui avoir été donné tant en sou­ve­nir du réel mé­tier de son père, que par al­lu­sion au sien propre », ex­plique Louis Mas­si­gnon2. Pour avoir ré­vélé son union in­time avec Dieu, et pour avoir dit de­vant tout le monde, sous l’empire de l’extase : « Je suis la sou­ve­raine Vé­rité » (« Anâ al-Haqq »3), c’est-à-dire « Je suis Dieu que j’aime, et Dieu que j’aime est moi »4, Hal­lâj fut sup­pli­cié en 922 apr. J.-C. On ra­conte qu’à la veille de son sup­plice, dans sa cel­lule, il ne cessa de ré­pé­ter : « illu­sion, illu­sion », jusqu’à ce que la plus grande par­tie de la nuit fût pas­sée. Alors, il se tut un long mo­ment. Puis, il s’écria : « vé­rité, vé­rité »5. Lorsqu’ils l’amenèrent pour le cru­ci­fier, et qu’il aper­çut le gi­bet et les clous, il rit au point que ses yeux en pleu­rèrent. Puis, il se tourna vers la foule et y re­con­nut son ami Shi­blî : « As-tu avec toi ton ta­pis de prière ? — Oui. — Étends-le-moi »6. Shi­blî éten­dit son ta­pis. Alors, Hal­lâj ré­cita, entre autres, ce ver­set du Co­ran : « Toute âme goû­tera la mort… car qu’est-ce que la vie ici-bas si­non la jouis­sance pré­caire de va­ni­tés ? »7 Et après avoir achevé cette prière, il dit un poème de son cru :

« Tuez-moi, ô mes fi­dèles, car c’est dans mon meurtre qu’est ma vie.
Ma mise à mort ré­side dans ma vie, et ma vie dans ma mise à mort
 »

  1. En arabe حلاج. Par­fois trans­crit Hal­ladsch, Ḥal­lâdj, Ha­ladž, Hal­lage, Hal­lac ou Ḥallāǧ. Haut
  2. « La Pas­sion de Hu­sayn ibn Man­sûr Hal­lâj. Tome I », p. 142. Haut
  3. En arabe « اناالحق ». Par­fois trans­crit « Ana al­hakk », « Ana’l Hagg » ou « En el-Hak ». Haut
  4. « Re­cueil du “Dîwân” », p. 129. Haut
  1. Dans Louis Mas­si­gnon, « La Pas­sion de Hu­sayn ibn Man­sûr Hal­lâj. Tome I », p. 620. Haut
  2. Dans id. p. 649. Haut
  3. III, 185. Haut

Hallâj, « Le Livre “Tâwasîn” • Le Jardin de la connaissance »

éd. Albouraq, Beyrouth

éd. Al­bou­raq, Bey­routh

Il s’agit du « Livre du Tâ et du Sîn » (« Ki­tâb al-Tâ-wa-Sîn »1) et autres œuvres de Hu­sayn ibn Man­sûr, mys­tique et poète per­san d’expression arabe, plus connu sous le sur­nom de Hal­lâj2 (« car­deur de co­ton »). « Ce so­bri­quet de “car­deur”, donné à Hal­lâj parce qu’il li­sait dans les cœurs, y dis­cri­mi­nant, comme le peigne à car­der, la vé­rité d’avec la faus­seté, peut fort bien lui avoir été donné tant en sou­ve­nir du réel mé­tier de son père, que par al­lu­sion au sien propre », ex­plique Louis Mas­si­gnon3. Pour avoir ré­vélé son union in­time avec Dieu, et pour avoir dit de­vant tout le monde, sous l’empire de l’extase : « Je suis la sou­ve­raine Vé­rité » (« Anâ al-Haqq »4), c’est-à-dire « Je suis Dieu que j’aime, et Dieu que j’aime est moi »5, Hal­lâj fut sup­pli­cié en 922 apr. J.-C. On ra­conte qu’à la veille de son sup­plice, dans sa cel­lule, il ne cessa de ré­pé­ter : « illu­sion, illu­sion », jusqu’à ce que la plus grande par­tie de la nuit fût pas­sée. Alors, il se tut un long mo­ment. Puis, il s’écria : « vé­rité, vé­rité »6. Lorsqu’ils l’amenèrent pour le cru­ci­fier, et qu’il aper­çut le gi­bet et les clous, il rit au point que ses yeux en pleu­rèrent. Puis, il se tourna vers la foule et y re­con­nut son ami Shi­blî : « As-tu avec toi ton ta­pis de prière ? — Oui. — Étends-le-moi »7. Shi­blî éten­dit son ta­pis. Alors, Hal­lâj ré­cita, entre autres, ce ver­set du Co­ran : « Toute âme goû­tera la mort… car qu’est-ce que la vie ici-bas si­non la jouis­sance pré­caire de va­ni­tés ? »8 Et après avoir achevé cette prière, il dit un poème de son cru :

« Tuez-moi, ô mes fi­dèles, car c’est dans mon meurtre qu’est ma vie.
Ma mise à mort ré­side dans ma vie, et ma vie dans ma mise à mort
 »

  1. En arabe « كتاب الطاوسين ». Par suite d’une faute, « كتاب الطواسين », trans­crit « Ki­tâb al Tawâ­sîn » ou « Ki­taab at-Ta­waa­seen ». Haut
  2. En arabe حلاج. Par­fois trans­crit Hal­ladsch, Ḥal­lâdj, Ha­ladž, Hal­lage, Hal­lac ou Ḥallāǧ. Haut
  3. « La Pas­sion de Hu­sayn ibn Man­sûr Hal­lâj. Tome I », p. 142. Haut
  4. En arabe « اناالحق ». Par­fois trans­crit « Ana al­hakk », « Ana’l Hagg » ou « En el-Hak ». Haut
  1. « Re­cueil du “Dîwân” », p. 129. Haut
  2. Dans Louis Mas­si­gnon, « La Pas­sion de Hu­sayn ibn Man­sûr Hal­lâj. Tome I », p. 620. Haut
  3. Dans id. p. 649. Haut
  4. III, 185. Haut

Hujwirî, « Somme spirituelle, “Kashf al-Mahjûb” »

éd. Sindbad, coll. La Bibliothèque de l’islam, Paris

éd. Sind­bad, coll. La Bi­blio­thèque de l’islam, Pa­ris

Il s’agit d’Abû’l-Hasan ‘Alî al-Hu­j­wirî1, théo­lo­gien per­san né à Hu­j­wir, ban­lieue de la ville de Ghaznî, dans l’actuel Af­gha­nis­tan (XIe siècle apr. J.-C.). On ne connaît guère sa bio­gra­phie, si­non qu’il fit de nom­breux voyages et qu’il vi­sita la Sy­rie, le Tur­kes­tan, l’Azerbaïdjan, l’Irak et les bords de la mer Cas­pienne. Le der­nier, ce­pen­dant, fut ce­lui qu’il ef­fec­tua à La­hore, dans l’actuel Pa­kis­tan, où il fut re­tenu — contre son gré, pa­raît-il — pen­dant des dé­cen­nies et jusqu’à sa mort. Dans son « Ka­shf al-Mah­jûb »2 (« Somme spi­ri­tuelle », ou lit­té­ra­le­ment « Ré­vé­la­tion des choses voi­lées »3), il se plaint de la perte de ses livres lais­sés à Ghaznî : « Mon cheikh », dit-il4, « ra­con­tait d’autres anec­dotes [en­core], mais il m’est im­pos­sible d’en rap­por­ter plus, mes livres ayant été lais­sés à Ghaznî — que Dieu la pro­tège ! — tan­dis que moi-même je suis forcé de res­ter à La­hore, parmi les gens vils ». Il est cu­rieux que ces « gens vils » lui aient édi­fié, de­puis, un im­mense mau­so­lée à La­hore, où il est vé­néré sous le sur­nom de Dâtâ Gandj Ba­khsh5. Le « Ka­shf al-Mah­jûb » est le plus an­cien traité de sou­fisme en langue per­sane. Hé­las ! le sou­fisme, tel que le conçoit Hu­j­wirî, a d’énergiques par­tis pris et res­semble fort à ce qu’est l’islamisme. Il consiste sur­tout dans l’austérité des mœurs, dans la ré­pres­sion du luxe, dans une ani­mo­sité sys­té­ma­tique en­vers les femmes ; tout cela conçu non comme une dis­ci­pline pri­vée qu’on ac­cepte pour soi, mais comme une loi d’État, dont le roi et les princes sont les gar­diens. Dans une foule de cas, sous pré­texte d’hérésie, Hu­j­wirî at­té­nue, al­tère, ex­plique mal ce qui touche à l’extase des sou­fis mys­tiques. Il avoue que ces sou­fis, quelque in­égaux et peu cor­rects qu’ils soient, ont de beaux traits ; il les cite, et ils sont si beaux qu’ils font lire sa cri­tique : « Toutes les pa­roles de Hal­lâj », pré­tend-il6, « res­semblent à celles des dé­bu­tants : cer­taines sont plus fortes, d’autres plus faibles, d’autres plus fa­ciles, d’autres plus in­con­ve­nantes… Il vous faut sa­voir que les pa­roles de Hal­lâj ne doivent pas être prises comme mo­dèles, car il était un ex­ta­tique, non pon­déré, et un homme doit être pon­déré avant que ses pa­roles fassent au­to­rité… On rap­porte qu’il di­sait “que les langues qui parlent sont la des­truc­tion des cœurs si­len­cieux”… : en vé­rité, cette phrase est dé­pour­vue de sens ». Et Hu­j­wirî de s’appuyer sur des théo­lo­giens comme lui qui, à pro­pre­ment par­ler, ne font pas par­tie du sou­fisme.

  1. En per­san هجویری. Par­fois trans­crit Houd­j­viri, Hou­j­wiri, Hod­j­vîri, Ho­juirî, Ha­j­very, Ha­j­veri, Ha­j­weri, Hu­j­weri, Hu­j­wuri, Houd­jouari, Hu­j­wiry, Hud­jwīrī ou Hu­jvīrī. Haut
  2. En per­san « کشف‌المحجوب ». Par­fois trans­crit « Ka­shf-ul-Mah­jab », « Kašf al-Maḥǧûb », « Ka­chf al-Maḥ­joûb », « Ka­shf-ul-Mah­jup », « Ka­schf-ol Mahd­joub », « Ke­shf el-Mahd­joub », « Ka­shf al Mah­joob », « Ka­shf-al-Meh­jub » ou « Ka­shf al-Maḥd­jūb ». Haut
  3. Par­fois tra­duit « Dé­voi­le­ment des mys­tères » ou « Ré­vé­la­tion du ca­ché ». Haut
  1. p. 120. Haut
  2. En our­dou داتا گنج بخش. Par­fois trans­crit Data Ganj Baksh ou Data Gandj Ba­khch. Haut
  3. p. 183-185. Haut

Kharaqânî, « Paroles d’un soufi »

éd. du Seuil, coll. Points-Sagesses, Paris

éd. du Seuil, coll. Points-Sa­gesses, Pa­ris

Il s’agit d’Abû’l-Hasan Kha­ra­qânî1, mys­tique per­san qui ne sa­vait ni lire ni écrire (Xe-XIe siècle apr. J.-C.). Ce n’était pas un théo­ri­cien, mais un saint ab­sorbé dans la contem­pla­tion et les pra­tiques as­cé­tiques. « Cet océan de tris­tesse, cet homme plus so­lide que le roc, ce so­leil di­vin, ce ciel sans confins, ce pro­dige du Sei­gneur, ce pôle de l’époque, Abû’l-Hasan Kha­ra­qânî — que Dieu lui fasse mi­sé­ri­corde ! — était le roi des rois de tous les maîtres… Il avait la sta­bi­lité d’une mon­tagne, il était le phare de la connais­sance… Il était le dé­po­si­taire des se­crets de la vé­rité. Il avait une en­ver­gure d’âme ex­tra­or­di­naire et un rang su­blime. Son sa­voir de la chose di­vine était im­mense, et l’intempérance de son dis­cours le cou­vrait d’un lustre in­com­pa­rable », dit At­tar2.

Lorsque Kha­ra­qânî était en­fant, ses pa­rents l’envoyaient gar­der les bêtes dans les champs, un dé­jeu­ner dans les mains. L’enfant dis­tri­buait se­crè­te­ment son dé­jeu­ner en au­mône et ne man­geait rien jusqu’au soir. Un jour qu’il la­bou­rait la terre, l’appel à la prière re­ten­tit. Il alla ac­com­plir son de­voir, et lorsque les hommes eurent achevé de prier, ils s’aperçurent que les bœufs de Kha­ra­qânî la­bou­raient tout seuls. Il se pros­terna et dit : « Ô Sei­gneur ! j’ai pour­tant en­tendu dire que tu ca­chais ceux que tu aimes aux yeux des hommes »

  1. En per­san ابوالحسن خرقانی. Par­fois trans­crit Aboul-Ha­san el-Khar­ra­kani, Abū al-Ḥa­san al-Ḫa­ra­qānī, Abu’l-Ḥasan-e Khar­ra­qāni, Aby-l-Kha­san Kha­ra­kani, Abol­ha­san Kha­râ­ghani, Ab­dul Ha­san Khar­qani ou Ebu Ha­san el Ha­ra­kani. Haut
  1. Dans p. 75. Haut

Lu Yu, « Le Classique du thé, “Chajing” »

éd. Payot & Rivages, coll. Rivages poche-Petite Bibliothèque, Paris

éd. Payot & Ri­vages, coll. Ri­vages poche-Pe­tite Bi­blio­thèque, Pa­ris

Il s’agit du « Cha Jing »1 (« Clas­sique du thé »2), le plus an­cien ou­vrage connu sur le thé (VIIIe siècle apr. J.-C.). En Chine, le thé est un pro­duit de consom­ma­tion constante : c’est le breu­vage du pauvre et du riche. Chaque rue compte un cer­tain nombre de mai­sons de thé où, pour quelques sous, le pas­sant trouve une tasse d’un ex­cellent thé pour re­po­ser ses forces et ré­veiller ses es­prits. Au Ja­pon, la pré­pa­ra­tion de cette bois­son est un pré­texte au culte de la pu­reté et du raf­fi­ne­ment, un cé­ré­mo­nial sa­cré où hôte et in­vité s’unissent pour réa­li­ser la plus haute com­mu­nion. Là, l’esprit de l’Extrême-Orient règne sans conteste. « Il ne faut donc ja­mais of­frir de thé à un Ja­po­nais, à moins de vou­loir an­crer dé­fi­ni­ti­ve­ment dans son es­prit l’idée que tout Oc­ci­den­tal est un bar­bare », ex­plique un gas­tro­nome3. C’est sous la dy­nas­tie des Tang4 que le thé de­vint la bois­son or­di­naire et de pre­mière né­ces­sité pour les Chi­nois. Pen­dant une tren­taine de jours par an, des ar­mées de cueilleuses, jeunes filles pour la plu­part, le cueillaient au pe­tit jour et le por­taient en chan­tant. La ca­pi­tale fas­tueuse des Tang, Chang’an5, abri­tait de grands bu­veurs, à la fois poètes et mu­si­ciens, peintres et cal­li­graphes. L’un d’eux, nommé Lu Yu6, se fit l’apôtre ex­clu­sif du thé, et dans son pe­tit ou­vrage, le « Cha Jing », pu­blié en 780 apr. J.-C., il for­mula l’art de cette bois­son qui fait en­core ré­fé­rence : en sou­ve­nir de quoi les mar­chands de thé l’honoreront comme leur dieu tu­té­laire. Le « Cha Jing » traite, en dix cha­pitres, des ori­gines du thé, des étapes de sa fa­bri­ca­tion, des us­ten­siles et des fa­çons de le boire pour ob­te­nir des ef­fets aussi sub­tils et aussi dé­li­cieux que ceux du vin. Mais l’amateur de belles-lettres ne prê­tera de l’intérêt qu’au sep­tième et plus long cha­pitre, qui est une suc­ces­sion d’anecdotes, de bribes de poèmes mê­lant cette bois­son à la vie de di­vers per­son­nages : vé­ri­table piège tendu à la cu­rio­sité.

  1. En chi­nois « 茶經 ». Par­fois trans­crit « Tcha-Tching », « Ch’a Ching », « Cha­king », « Tch’a King » ou « Tch’a Tsing ». Haut
  2. Par­fois tra­duit « Livre du thé » ou « Le Ca­non du thé ». Haut
  3. M. Ma­rin Wagda. Haut
  1. De l’an 618 à l’an 907. Haut
  2. Aujourd’hui Xi’an (西安). Au­tre­fois trans­crit Tch’ang-ngan. Haut
  3. En chi­nois 陸羽. Au­tre­fois trans­crit Lou-yu, Lu Jü ou Lu­wuh. À ne pas confondre avec Lu You, le poète de la dy­nas­tie des Song, qui vé­cut quatre siècles plus tard. Haut

« Printemps et Automnes de Lü Buwei »

éd. du Cerf, coll. Patrimoines-Confucianisme, Paris

éd. du Cerf, coll. Pa­tri­moines-Confu­cia­nisme, Pa­ris

Il s’agit des « Prin­temps et Au­tomnes du sieur Lü »1 (« Lü­shi chun­qiu »2). Ce n’est pas un ou­vrage his­to­rique comme son titre pour­rait le faire croire (« Prin­temps et Au­tomnes » si­gni­fiant « An­née » ou « An­nales » en chi­nois), mais une col­lec­tion d’essais phi­lo­so­phiques ré­di­gés pour le compte du sieur Lü (IIIe siècle av. J.-C.) et clas­sés sous les ru­briques des douze mois de l’année. D’abord très riche mar­chand, puis pre­mier mi­nistre, le sieur Lü, de son nom com­plet Lü Bu­wei3, est une sorte de Ma­za­rin chi­nois. Il exerça la ré­gence pen­dant la mi­no­rité du jeune prince qui de­vait être un jour Em­pe­reur ; d’aucuns veulent même qu’il en ait été le père na­tu­rel, en rai­son de son rap­port in­time avec l’Impératrice. Sans être un lit­té­ra­teur, il sa­vait soi­gner sa ré­pu­ta­tion et il en­tre­te­nait au­tour de lui une Cour de trois mille phi­lo­sophes et écri­vains ha­biles ; il leur fit mettre en ordre ce qu’ils avaient en­tendu dire ou di­saient eux-mêmes, et c’est là les « Prin­temps et Au­tomnes du sieur Lü ». « La tra­di­tion veut que trois mille let­trés eussent ainsi été ras­sem­blés, hé­ber­gés, en­tre­te­nus [par lui], avec toutes les com­mo­di­tés de tra­vail que cela im­plique, plu­sieurs an­nées du­rant », ex­plique M. Ivan Ka­me­na­ro­vić4. « Quand bien même ce chiffre se­rait fort exa­géré, il n’empêche que le ré­sul­tat éton­nant au­quel cette en­tre­prise a per­mis d’aboutir est à lui seul le sym­bole et l’expression d’un mo­ment ca­pi­tal de l’histoire de la pen­sée chi­noise. » Une anec­dote cé­lèbre veut que, l’ouvrage ter­miné, le sieur Lü l’ait fait pla­cer à la porte du mar­ché de Xia­nyang5, la ca­pi­tale des Qin, et sus­pendre au-des­sus une grosse somme d’or, pro­mise à qui­conque trou­ve­rait un seul mot à chan­ger dans le texte ; per­sonne n’osa se pré­sen­ter. Pour­tant, bien des dé­fauts au­raient pu être re­le­vés dans cette com­pi­la­tion éru­dite et terne.

  1. À ne pas confondre avec la chro­nique des « Prin­temps et Au­tomnes » re­la­tant l’histoire de Lu, pa­trie de Confu­cius. Haut
  2. En chi­nois « 呂氏春秋 ». Au­tre­fois trans­crit « Lu-chi tchun-tsieou », « Liu-cheu tch’oen-ts’ieou », « Liu-che tch’ouen-ts’ieou » ou « Lü shih ch’un-ch’iu ». Haut
  3. En chi­nois 呂不韋. Au­tre­fois trans­crit Lu-pou-ouei, Lu-pou-ouey, Lu Pou-wei, Liu Pou-wei, Lü Pu-wei ou Lü Bu We. Haut
  1. p. 24. Haut
  2. En chi­nois 咸陽. Par­fois trans­crit Hian yang, Sie­nyang, Hien-yang ou Hsien-yang. Haut

Lie-tseu, « L’Authentique Classique de la parfaite vacuité »

éd. Entrelacs, Paris

éd. En­tre­lacs, Pa­ris

Il s’agit du traité « L’Authentique Clas­sique de la vertu su­prême de la par­faite va­cuité » (« Chong xu zhi de zhen jing »), plus connu sous le titre abrégé de « L’Authentique Clas­sique de la par­faite va­cuité » (« Chong xu zhen jing »1), ou­vrage fon­da­men­tal du taoïsme chi­nois. On l’appelle en­core com­mu­né­ment le « Lie-tseu »2, du nom du phi­lo­sophe chi­nois qui en est le per­son­nage prin­ci­pal. Ce Lie-tseu est, aux cô­tés de Lao-tseu et de Tchouang-tseu, l’un des fon­da­teurs de l’école du tao. Il est cer­tai­ne­ment le moins connu des trois. On ignore tout de sa per­sonne, si­non qu’il avait la fa­culté de che­vau­cher le vent et de voya­ger dans les airs. Son confrère Tchouang-tseu lui prête ce pou­voir ma­gique dans le pas­sage sui­vant : « Lie-tseu se dé­pla­çait en che­vau­chant le vent. Il voya­geait de la fa­çon la plus agréable et s’en re­ve­nait au bout de quinze jours. Certes, un tel homme est rare »3. Dans le « Lie-tseu » ac­tuel, qui ne date que du IIIe siècle apr. J.-C., il y a une part de « Lie-tseu » ori­gi­nal et une part d’interpolations tar­dives, ve­nant de re­cueils di­vers et quel­que­fois op­po­sés au taoïsme : « Les En­tre­tiens de Confu­cius », « Prin­temps et Au­tomnes du sieur Lü », etc. Son contenu est de la dis­pa­rité la plus com­plète : « Nous de­vons… no­ter que les prin­cipes phi­lo­so­phiques qu’on y trouve dé­ve­lop­pés le sont sans au­cune mé­thode ; ils sont au contraire ré­pan­dus çà et là, sans le moindre souci d’un ordre ou d’une mé­thode quel­conque », dit mon­sei­gneur Charles de Har­lez. Mal­gré ces dis­pa­rates, ce cha­pe­let de bons mots et de conseils pour une vie hu­maine conve­nable, rat­ta­chés entre eux par le fil le plus lé­ger, tient notre at­ten­tion sous le charme par son agré­ment et sa sim­pli­cité. « Lie-tseu est sans doute le plus ac­ces­sible des fon­da­teurs du taoïsme », dit M. Rémi Ma­thieu.

  1. En chi­nois « 沖虛眞經 ». Au­tre­fois trans­crit « Tch’oung-hu-tchenn-king », « Tch’ong siu tchen king », « Tchoung-hiu-tchin-king », « Tchong-hiu tchen-king » ou « Tchong xu zhen jing ». Haut
  2. En chi­nois « 列子 ». Par­fois trans­crit « Liä Dsi », « Lieht­zyy », « Lie-tze », « Lie-tse », « Lie-tsée », « Lieh Tzǔ », « Lie-tzeu » ou « Liezi ». Haut
  1. « L’Œuvre com­plète », ch. I. Haut

« “Tchoung ioung”, L’Invariable Milieu »

dans « Les Quatre Livres » (XIXᵉ siècle), p. 27-67

dans « Les Quatre Livres » (XIXe siècle), p. 27-67

Il s’agit de « L’Invariable Mi­lieu » (« Zhon­gyong »1), ou­vrage ja­dis at­tri­bué au pe­tit-fils de Confu­cius, Zi Si2. Sans al­ler jusqu’à consi­dé­rer Zi Si comme l’auteur, ainsi que le vou­lait la tra­di­tion, les his­to­riens d’aujourd’hui lui en at­tri­buent le noyau. Le but de l’ouvrage est de prou­ver qu’il faut suivre en tout la voie du mi­lieu, terme par le­quel on dé­signe, en chi­nois comme dans presque toutes les langues, la tem­pé­rance, la mo­dé­ra­tion. En ef­fet, le ca­rac­tère « zhong » si­gni­fie « mi­lieu », et « yong » — « or­di­naire, mé­diocre » ; c’est donc le juste mi­lieu ou la mé­dio­crité d’or, c’est-à-dire la per­sé­vé­rance dans une voie droite éga­le­ment éloi­gnée des ex­trêmes. Quand il ne s’élève dans l’âme au­cun ex­cès de joie, de co­lère, de tris­tesse ou de plai­sir, on dit que cette âme a at­teint l’invariable mi­lieu, parce qu’elle est en équi­libre et n’incline d’aucun côté. Quand ces sen­ti­ments ne dé­passent pas la me­sure, on dit qu’ils sont en har­mo­nie. L’harmonie est le fon­de­ment gé­né­ral de tout ce qui se fait dans l’univers. Cha­cun sait la trou­ver ; mais per­sonne n’y peut per­sé­vé­rer l’espace d’un mois : « Les per­sonnes les plus igno­rantes, hommes ou femmes, peuvent ar­ri­ver à la connaître », dit Confu­cius3, « mais les plus grands sages eux-mêmes ne la connaissent pas dans toute son éten­due. [Elle] se trouve, quant à ses pre­miers prin­cipes, dans le cœur des per­sonnes les plus vul­gaires. Ses li­mites ex­trêmes at­teignent celles du ciel et de la terre ».

  1. En chi­nois « 中庸 ». Au­tre­fois trans­crit « Chum yum », « Chung yung », « Tchong-yong », « Tchung-yung », « Tchoung-joung », « Tchoung ioung » ou « Tchoûng yoûng ». Haut
  2. En chi­nois 子思. Au­tre­fois trans­crit Tsu Su, Tseu Sseu, Tseù-ssê ou Tzeu Seu. Haut
  1. p. 7-8. Haut

Tseng-tseu, « “Hiao King”, Le Livre de la piété filiale ou de l’amour filial »

dans « Revue de Corée », vol. 5, nº 2, p. 39-70

dans « Re­vue de Co­rée », vol. 5, no 2, p. 39-70

Il s’agit du « Livre de la piété fi­liale » (« Hiao King »1), qui consti­tue avec « La Grande Étude », « la porte par où l’on ac­cède au rayon­ne­ment »2 de la mo­rale chi­noise. Un des dis­ciples de Confu­cius, pos­si­ble­ment Tseng-tseu3, a com­posé ces deux ou­vrages. Il y traite de la per­sé­vé­rance dans le sou­ve­rain bien, qui n’est autre chose que la confor­mité de nos actes avec les lois du ciel. En par­tant de notre amé­lio­ra­tion per­son­nelle et du bon ordre à éta­blir dans notre fa­mille, il en ar­rive pro­gres­si­ve­ment aux moyens de pa­ci­fier et bien gou­ver­ner l’Empire. En ef­fet, au­tre­fois, les an­ciens princes qui dé­si­raient dé­ve­lop­per et faire briller les lois du ciel, s’attachaient au­pa­ra­vant à bien gou­ver­ner leur royaume ; ceux qui dé­si­raient bien gou­ver­ner leur royaume, s’attachaient au­pa­ra­vant à mettre le bon ordre dans leur fa­mille ; ceux qui dé­si­raient mettre le bon ordre dans leur fa­mille, s’attachaient au­pa­ra­vant à se cor­ri­ger eux-mêmes ; ceux qui dé­si­raient se cor­ri­ger eux-mêmes, s’attachaient au­pa­ra­vant à don­ner de la droi­ture à leur âme ; ceux en­fin qui dé­si­raient don­ner de la droi­ture à leur âme, s’attachaient au­pa­ra­vant à per­fec­tion­ner leurs connais­sances mo­rales. Telle est la fin que se pro­posent « Le Livre de la piété fi­liale » et « La Grande Étude ». Soit pré­jugé ou rai­son, soit obs­ti­na­tion ou jus­tice, la Chine, pen­dant des mil­lé­naires, n’a ja­mais cessé de lire et d’admirer ces deux ou­vrages : les ré­vo­lu­tions du goût, les chan­ge­ments de ré­gime, les do­mi­na­tions étran­gères même n’ont pas en­tamé leur uni­ver­sa­lité ori­gi­nelle ni la so­li­dité de leurs prin­cipes. « C’est dans la belle mo­rale qu’ils en­seignent, dans les ver­tus qu’ils com­mandent, et dans les sages règles de po­li­tique qu’ils tracent et qu’ils ont eu la gloire de per­sua­der, que les phi­lo­sophes d’au-delà des mers au­raient dû cher­cher la so­lu­tion [au] grand [mys­tère] de la du­rée de l’Empire chi­nois », dit le père Pierre-Mar­tial Ci­bot.

  1. En chi­nois « 孝經 ». Par­fois trans­crit « Hia-king », « Hiao Kim », « Heaou-king », « Hsiao Ching », « Syau Jing », « Xiao Qing » ou « Xiao Jing ». Haut
  2. p. 49. Haut
  1. En chi­nois 曾子. Par­fois trans­crit Tseng-tsée, Thsêng-tseu, Tseng-tzu ou Zeng Zi. De son vrai nom Tseng Chen (曾參). Par­fois trans­crit Tseng Ts’an, Zeng Can ou Zeng Shen. Haut

Tseng-tseu, « La Grande Étude »

éd. du Cerf, coll. Patrimoines-Confucianisme, Paris

éd. du Cerf, coll. Pa­tri­moines-Confu­cia­nisme, Pa­ris

Il s’agit de « La Grande Étude » (« Ta-hio »1), qui consti­tue avec « Le Livre de la piété fi­liale », « la porte par où l’on ac­cède au rayon­ne­ment »2 de la mo­rale chi­noise. Un des dis­ciples de Confu­cius, pos­si­ble­ment Tseng-tseu3, a com­posé ces deux ou­vrages. Il y traite de la per­sé­vé­rance dans le sou­ve­rain bien, qui n’est autre chose que la confor­mité de nos actes avec les lois du ciel. En par­tant de notre amé­lio­ra­tion per­son­nelle et du bon ordre à éta­blir dans notre fa­mille, il en ar­rive pro­gres­si­ve­ment aux moyens de pa­ci­fier et bien gou­ver­ner l’Empire. En ef­fet, au­tre­fois, les an­ciens princes qui dé­si­raient dé­ve­lop­per et faire briller les lois du ciel, s’attachaient au­pa­ra­vant à bien gou­ver­ner leur royaume ; ceux qui dé­si­raient bien gou­ver­ner leur royaume, s’attachaient au­pa­ra­vant à mettre le bon ordre dans leur fa­mille ; ceux qui dé­si­raient mettre le bon ordre dans leur fa­mille, s’attachaient au­pa­ra­vant à se cor­ri­ger eux-mêmes ; ceux qui dé­si­raient se cor­ri­ger eux-mêmes, s’attachaient au­pa­ra­vant à don­ner de la droi­ture à leur âme ; ceux en­fin qui dé­si­raient don­ner de la droi­ture à leur âme, s’attachaient au­pa­ra­vant à per­fec­tion­ner leurs connais­sances mo­rales. Telle est la fin que se pro­posent « La Grande Étude » et « Le Livre de la piété fi­liale ». Soit pré­jugé ou rai­son, soit obs­ti­na­tion ou jus­tice, la Chine, pen­dant des mil­lé­naires, n’a ja­mais cessé de lire et d’admirer ces deux ou­vrages : les ré­vo­lu­tions du goût, les chan­ge­ments de ré­gime, les do­mi­na­tions étran­gères même n’ont pas en­tamé leur uni­ver­sa­lité ori­gi­nelle ni la so­li­dité de leurs prin­cipes. « C’est dans la belle mo­rale qu’ils en­seignent, dans les ver­tus qu’ils com­mandent, et dans les sages règles de po­li­tique qu’ils tracent et qu’ils ont eu la gloire de per­sua­der, que les phi­lo­sophes d’au-delà des mers au­raient dû cher­cher la so­lu­tion [au] grand [mys­tère] de la du­rée de l’Empire chi­nois », dit le père Pierre-Mar­tial Ci­bot.

  1. En chi­nois « 大學 ». Par­fois trans­crit « Taï-hio », « Tá ‘Hiŏh », « Thaï-yo », « Ta Hiue », « Ta-hsue », « Ta Hsüeh » ou « Daxue ». Haut
  2. p. 49. Haut
  1. En chi­nois 曾子. Par­fois trans­crit Tseng-tsée, Thsêng-tseu, Tseng-tzu ou Zeng Zi. De son vrai nom Tseng Chen (曾參). Par­fois trans­crit Tseng Ts’an, Zeng Can ou Zeng Shen. Haut

Tchouang-tseu, « L’Œuvre complète »

éd. Gallimard-UNESCO, coll. UNESCO d’œuvres représentatives-Connaissance de l’Orient, Paris

éd. Gal­li­mard-UNESCO, coll. UNESCO d’œuvres re­pré­sen­ta­tives-Connais­sance de l’Orient, Pa­ris

Il s’agit de « L’Œuvre com­plète » de Tchouang-tseu1, pen­seur taoïste, un des plus grands maîtres de la prose chi­noise (IVe siècle av. J.-C.). Laissé pour compte du­rant des siècles, il exer­cera une in­fluence tar­dive, mais sans cesse crois­sante, tant sur les taoïstes que sur les boud­dhistes, et en l’an 742 apr. J.-C. l’Empereur chi­nois pro­mul­guera un édit pour ca­no­ni­ser son « Œuvre com­plète », dé­sor­mais un clas­sique, qui se verra at­tri­buer le titre post­hume de « Clas­sique au­then­tique de la splen­deur mé­ri­dio­nale » (« Nan­hua zhen­jing »2). En Tchouang-tseu, nous ren­con­trons un phi­lo­sophe ori­gi­nal dont le lan­gage de poète, plein d’images har­dies, d’artifices lit­té­raires, pos­sède un at­trait in­connu aux autres pen­seurs de la Chine. Son « Œuvre com­plète » prend l’aspect d’allégories mys­tiques ; de pen­sées non seule­ment ré­flé­chies et dé­mon­trées, mais res­sen­ties et pé­né­trant tout son être. Sa phi­lo­so­phie, c’est le quié­tisme na­tu­ra­liste. « Na­tu­ra­liste », car se­lon Tchouang-tseu, tout est bien à l’état na­tu­rel ; tout dé­gé­nère entre les mains de l’homme. « Quié­tisme », car pour re­trou­ver en soi la splen­deur ori­gi­nelle de la na­ture, il faut une tran­quillité comme celle de l’eau inerte ; un calme comme ce­lui du mi­roir : « Si la tran­quillité de l’eau per­met de re­flé­ter les choses, que ne peut celle de l’esprit ? Qu’il est tran­quille, l’esprit du saint ! Il est le mi­roir de l’univers et de tous les êtres »3. L’acte su­prême est de ne point in­ter­ve­nir, et la pa­role su­prême est de ne rien dire : « La nasse sert à prendre le pois­son ; quand le pois­son est pris, ou­bliez la nasse. Le piège sert à cap­tu­rer le lièvre ; quand le lièvre est pris, ou­bliez le piège. La pa­role sert à ex­pri­mer l’idée ; quand l’idée est sai­sie, ou­bliez la pa­role. [Où] pour­rais-je ren­con­trer quelqu’un qui ou­blie la pa­role, et dia­lo­guer avec lui ? »4 La pa­role n’est pas sûre, car c’est d’elle que pro­viennent toutes les dis­tinc­tions éta­blies ar­ti­fi­ciel­le­ment par l’homme. Or, l’univers est in­dis­tinct, in­for­mel, et soi-même est aussi l’autre : « Ja­dis, Tchouang-tseu rêva qu’il était un pa­pillon vol­ti­geant et sa­tis­fait de son sort et igno­rant qu’il était Tchouang-tseu lui-même ; brus­que­ment, il s’éveilla et s’aperçut avec éton­ne­ment qu’il était Tchouang-tseu. Il ne sut plus si c’était Tchouang-tseu rê­vant qu’il était un pa­pillon, ou un pa­pillon rê­vant qu’il était Tchouang-tseu »

  1. En chi­nois 莊子. Par­fois trans­crit Tchouang-tsée, Tchoang-tseu, Tchoang-tzeu, Tchouang-tsze, Tchuang-tze, Chwang-tsze, Chuang-tze, Choang-tzu, Zhuang Si, Zhouangzi ou Zhuangzi. Éga­le­ment connu sous le nom de Tchouang Tcheou (莊周). Par­fois trans­crit Tchuang-tcheou, Chuang Chou, Zhouang Zhou ou Zhuang Zhou. Haut
  2. En chi­nois « 南華真經 ». Par­fois trans­crit « Nan-houa tcheng-king », « Nan-hoà-cienn ching », « Nan hwa chin king », « Nan-hoa-tchenn king », « Nan-houa tchen-tsing » ou « Nan-hua chen ching ». Éga­le­ment connu sous le titre abrégé de « 南華經 » (« Nan­hua­jing »). Haut
  1. p. 111. Haut
  2. p. 221. Haut