Il s’agit de Joseph Joubert, un des plus grands stylistes français (XVIIIe-XIXe siècle). Cet homme singulier ne publia rien de son vivant, tant il tenait peu à la gloire, et ne fit rien d’autre, littéralement parlant, pendant toute sa vie, que de travailler à ses « Pensées », écrivant, raturant, ajoutant, retranchant et n’en finissant jamais. À sa mort en 1824, il laissait derrière lui deux cent cinq carnets, complétés par soixante liasses de papiers où se mêlaient, dans une grande confusion, des notes, des bribes d’essais, des brouillons de lettres. Ce n’est que bien des années plus tard que Jean-Baptiste-Michel Duchesne, neveu de Joubert, en fit un mince recueil, qu’il remit à l’illustre Chateaubriand, lequel se chargea de le préfacer et d’y mettre un peu d’ordre. Duchesne fit donc seul le choix de cette première édition des « Pensées », écartant celles qui étaient difficilement déchiffrables, retouchant celles qui lui semblaient trop longues ou trop courtes. Bien qu’ami des lettres, il n’avait pas un esprit assez exercé pour que ce choix fût satisfaisant, et il est dommage que sur la recommandation du nom de Chateaubriand on se soit habitué, pendant longtemps, à juger Joubert sur une édition qui, étant incomplète et fautive, ne le montre pas dans toute sa splendeur littéraire et philosophique. Mais qui est donc Joubert ? Quel est cet inconnu, cet anonyme, cet inédit qui s’était fait de la perfection une certaine idée qui l’empêchait de rien achever ? Voici comment Sainte-Beuve répond à cette question : « Ce fut un de ces heureux esprits qui passent leur vie à penser ; à converser avec leurs amis ; à songer dans la solitude ; à méditer quelque grand ouvrage qu’ils n’accompliront jamais, et qui ne nous arrive qu’en fragments ». Sur l’un de ses carnets, Joubert écrivait 1 : « Je suis comme Montaigne impropre au discours continu ». On peut y lire un aveu d’impuissance ; on peut y lire aussi la marque d’une esthétique chez cet homme qui se disait avare « de [son] encre » 2, et qui ne voulait « [se] donner la peine d’exprimer, avec soin, que des choses dignes d’être écrites sur de la soie ou sur l’airain » 3. Pensant pour la seule volupté de penser, pensant patiemment, il attendait, pour coucher un mot, que la goutte d’encre qui devait tomber de sa plume se changeât en « goutte de lumière » 4, « tourmenté » qu’il était « par la maudite ambition de mettre toujours tout un livre dans une page, toute une page dans une phrase et cette phrase dans un mot » 5.
Joubert, « Carnets. Tome II »
Il s’agit de Joseph Joubert, un des plus grands stylistes français (XVIIIe-XIXe siècle). Cet homme singulier ne publia rien de son vivant, tant il tenait peu à la gloire, et ne fit rien d’autre, littéralement parlant, pendant toute sa vie, que de travailler à ses « Pensées », écrivant, raturant, ajoutant, retranchant et n’en finissant jamais. À sa mort en 1824, il laissait derrière lui deux cent cinq carnets, complétés par soixante liasses de papiers où se mêlaient, dans une grande confusion, des notes, des bribes d’essais, des brouillons de lettres. Ce n’est que bien des années plus tard que Jean-Baptiste-Michel Duchesne, neveu de Joubert, en fit un mince recueil, qu’il remit à l’illustre Chateaubriand, lequel se chargea de le préfacer et d’y mettre un peu d’ordre. Duchesne fit donc seul le choix de cette première édition des « Pensées », écartant celles qui étaient difficilement déchiffrables, retouchant celles qui lui semblaient trop longues ou trop courtes. Bien qu’ami des lettres, il n’avait pas un esprit assez exercé pour que ce choix fût satisfaisant, et il est dommage que sur la recommandation du nom de Chateaubriand on se soit habitué, pendant longtemps, à juger Joubert sur une édition qui, étant incomplète et fautive, ne le montre pas dans toute sa splendeur littéraire et philosophique. Mais qui est donc Joubert ? Quel est cet inconnu, cet anonyme, cet inédit qui s’était fait de la perfection une certaine idée qui l’empêchait de rien achever ? Voici comment Sainte-Beuve répond à cette question : « Ce fut un de ces heureux esprits qui passent leur vie à penser ; à converser avec leurs amis ; à songer dans la solitude ; à méditer quelque grand ouvrage qu’ils n’accompliront jamais, et qui ne nous arrive qu’en fragments ». Sur l’un de ses carnets, Joubert écrivait 1 : « Je suis comme Montaigne impropre au discours continu ». On peut y lire un aveu d’impuissance ; on peut y lire aussi la marque d’une esthétique chez cet homme qui se disait avare « de [son] encre » 2, et qui ne voulait « [se] donner la peine d’exprimer, avec soin, que des choses dignes d’être écrites sur de la soie ou sur l’airain » 3. Pensant pour la seule volupté de penser, pensant patiemment, il attendait, pour coucher un mot, que la goutte d’encre qui devait tomber de sa plume se changeât en « goutte de lumière » 4, « tourmenté » qu’il était « par la maudite ambition de mettre toujours tout un livre dans une page, toute une page dans une phrase et cette phrase dans un mot » 5.
Joubert, « Carnets. Tome I »
Il s’agit de Joseph Joubert, un des plus grands stylistes français (XVIIIe-XIXe siècle). Cet homme singulier ne publia rien de son vivant, tant il tenait peu à la gloire, et ne fit rien d’autre, littéralement parlant, pendant toute sa vie, que de travailler à ses « Pensées », écrivant, raturant, ajoutant, retranchant et n’en finissant jamais. À sa mort en 1824, il laissait derrière lui deux cent cinq carnets, complétés par soixante liasses de papiers où se mêlaient, dans une grande confusion, des notes, des bribes d’essais, des brouillons de lettres. Ce n’est que bien des années plus tard que Jean-Baptiste-Michel Duchesne, neveu de Joubert, en fit un mince recueil, qu’il remit à l’illustre Chateaubriand, lequel se chargea de le préfacer et d’y mettre un peu d’ordre. Duchesne fit donc seul le choix de cette première édition des « Pensées », écartant celles qui étaient difficilement déchiffrables, retouchant celles qui lui semblaient trop longues ou trop courtes. Bien qu’ami des lettres, il n’avait pas un esprit assez exercé pour que ce choix fût satisfaisant, et il est dommage que sur la recommandation du nom de Chateaubriand on se soit habitué, pendant longtemps, à juger Joubert sur une édition qui, étant incomplète et fautive, ne le montre pas dans toute sa splendeur littéraire et philosophique. Mais qui est donc Joubert ? Quel est cet inconnu, cet anonyme, cet inédit qui s’était fait de la perfection une certaine idée qui l’empêchait de rien achever ? Voici comment Sainte-Beuve répond à cette question : « Ce fut un de ces heureux esprits qui passent leur vie à penser ; à converser avec leurs amis ; à songer dans la solitude ; à méditer quelque grand ouvrage qu’ils n’accompliront jamais, et qui ne nous arrive qu’en fragments ». Sur l’un de ses carnets, Joubert écrivait 1 : « Je suis comme Montaigne impropre au discours continu ». On peut y lire un aveu d’impuissance ; on peut y lire aussi la marque d’une esthétique chez cet homme qui se disait avare « de [son] encre » 2, et qui ne voulait « [se] donner la peine d’exprimer, avec soin, que des choses dignes d’être écrites sur de la soie ou sur l’airain » 3. Pensant pour la seule volupté de penser, pensant patiemment, il attendait, pour coucher un mot, que la goutte d’encre qui devait tomber de sa plume se changeât en « goutte de lumière » 4, « tourmenté » qu’il était « par la maudite ambition de mettre toujours tout un livre dans une page, toute une page dans une phrase et cette phrase dans un mot » 5.
Joubert, « Essais (1779-1821) »
Il s’agit de Joseph Joubert, un des plus grands stylistes français (XVIIIe-XIXe siècle). Cet homme singulier ne publia rien de son vivant, tant il tenait peu à la gloire, et ne fit rien d’autre, littéralement parlant, pendant toute sa vie, que de travailler à ses « Pensées », écrivant, raturant, ajoutant, retranchant et n’en finissant jamais. À sa mort en 1824, il laissait derrière lui deux cent cinq carnets, complétés par soixante liasses de papiers où se mêlaient, dans une grande confusion, des notes, des bribes d’essais, des brouillons de lettres. Ce n’est que bien des années plus tard que Jean-Baptiste-Michel Duchesne, neveu de Joubert, en fit un mince recueil, qu’il remit à l’illustre Chateaubriand, lequel se chargea de le préfacer et d’y mettre un peu d’ordre. Duchesne fit donc seul le choix de cette première édition des « Pensées », écartant celles qui étaient difficilement déchiffrables, retouchant celles qui lui semblaient trop longues ou trop courtes. Bien qu’ami des lettres, il n’avait pas un esprit assez exercé pour que ce choix fût satisfaisant, et il est dommage que sur la recommandation du nom de Chateaubriand on se soit habitué, pendant longtemps, à juger Joubert sur une édition qui, étant incomplète et fautive, ne le montre pas dans toute sa splendeur littéraire et philosophique. Mais qui est donc Joubert ? Quel est cet inconnu, cet anonyme, cet inédit qui s’était fait de la perfection une certaine idée qui l’empêchait de rien achever ? Voici comment Sainte-Beuve répond à cette question : « Ce fut un de ces heureux esprits qui passent leur vie à penser ; à converser avec leurs amis ; à songer dans la solitude ; à méditer quelque grand ouvrage qu’ils n’accompliront jamais, et qui ne nous arrive qu’en fragments ». Sur l’un de ses carnets, Joubert écrivait 1 : « Je suis comme Montaigne impropre au discours continu ». On peut y lire un aveu d’impuissance ; on peut y lire aussi la marque d’une esthétique chez cet homme qui se disait avare « de [son] encre » 2, et qui ne voulait « [se] donner la peine d’exprimer, avec soin, que des choses dignes d’être écrites sur de la soie ou sur l’airain » 3. Pensant pour la seule volupté de penser, pensant patiemment, il attendait, pour coucher un mot, que la goutte d’encre qui devait tomber de sa plume se changeât en « goutte de lumière » 4, « tourmenté » qu’il était « par la maudite ambition de mettre toujours tout un livre dans une page, toute une page dans une phrase et cette phrase dans un mot » 5.
Manilius, « Astronomicon. Tome II »
Il s’agit de Marcus Manilius, auteur latin (Ier siècle av. J.-C.-Ier siècle apr. J.-C.), autant poète qu’astronome ou astrologue, et dont l’œuvre décrit le monde comme une immense machine dont Dieu est la Raison suprême et le grand horloger. La vie de Manilius paraît avoir été celle d’un savant enthousiaste, mais retiré, parce qu’aucune source antique ne nous parle de lui. Quintillien, qui mentionne un grand nombre d’écrivains, ne dit rien sur notre savant, qui leur est pourtant supérieur. On a prétendu, d’après quelques tournures insolites qu’on ne trouve pas aisément chez des auteurs du même siècle, qu’il était un étranger. Cependant faut-il s’étonner que, traitant un sujet neuf et inhabituel, il ait employé des formes également inhabituelles ? Manilius le sentait lui-même et il s’en excuse dès les premières lignes de son poème : « Je serai », dit-il, « le premier des Romains qui ferai entendre sur l’Hélicon ces nouveaux concerts ». Il vivait, en tout cas, sous le règne d’Auguste, parce qu’il s’adresse à cet Empereur comme à un personnage contemporain. Et puis, dans un passage du livre I 1, il fait allusion à la défaite de Varus 2 comme à un événement tout récent. Or, elle survint en 9 apr. J.-C. Manilius a laissé à la postérité un unique poème intitulé « Astronomiques » (« Astronomicon » 3) et qui est intéressant à plus d’un titre. Il touche, à vrai dire, bien plus à l’astrologie qu’à l’astronomie, parce que, des cinq livres qu’il contient, le premier seulement se rapporte à la sphéricité de la Terre, à la division du ciel, aux comètes ; les quatre autres sont purement astrologiques et sont une sorte de traité complet de l’horoscope.
- Calqué sur le grec « Astronomikôn » (« Ἀστρονομικῶν »).
Manilius, « Astronomicon. Tome I »
Il s’agit de Marcus Manilius, auteur latin (Ier siècle av. J.-C.-Ier siècle apr. J.-C.), autant poète qu’astronome ou astrologue, et dont l’œuvre décrit le monde comme une immense machine dont Dieu est la Raison suprême et le grand horloger. La vie de Manilius paraît avoir été celle d’un savant enthousiaste, mais retiré, parce qu’aucune source antique ne nous parle de lui. Quintillien, qui mentionne un grand nombre d’écrivains, ne dit rien sur notre savant, qui leur est pourtant supérieur. On a prétendu, d’après quelques tournures insolites qu’on ne trouve pas aisément chez des auteurs du même siècle, qu’il était un étranger. Cependant faut-il s’étonner que, traitant un sujet neuf et inhabituel, il ait employé des formes également inhabituelles ? Manilius le sentait lui-même et il s’en excuse dès les premières lignes de son poème : « Je serai », dit-il, « le premier des Romains qui ferai entendre sur l’Hélicon ces nouveaux concerts ». Il vivait, en tout cas, sous le règne d’Auguste, parce qu’il s’adresse à cet Empereur comme à un personnage contemporain. Et puis, dans un passage du livre I 1, il fait allusion à la défaite de Varus 2 comme à un événement tout récent. Or, elle survint en 9 apr. J.-C. Manilius a laissé à la postérité un unique poème intitulé « Astronomiques » (« Astronomicon » 3) et qui est intéressant à plus d’un titre. Il touche, à vrai dire, bien plus à l’astrologie qu’à l’astronomie, parce que, des cinq livres qu’il contient, le premier seulement se rapporte à la sphéricité de la Terre, à la division du ciel, aux comètes ; les quatre autres sont purement astrologiques et sont une sorte de traité complet de l’horoscope.
- Calqué sur le grec « Astronomikôn » (« Ἀστρονομικῶν »).
« Choses dont parle Teika lorsqu’il parle d’amour : une lecture de la “Compétition poétique solitaire en cent tours de l’honorable Teika” »
Il s’agit de l’aristocrate japonais Fujiwara no Teika 1 (XIIe-XIIIe siècle), non seulement poète très fécond, encensé ou blâmé par ses contemporains pour son originalité ; mais aussi critique aux jugements duquel on s’en rapportait constamment, théoricien, éditeur d’œuvres anciennes, compilateur d’anthologies, auteur d’un journal tenu tout au long de sa vie dès sa dix-neuvième année — le « Meigetsu-ki » (« Journal de la lune claire »). Fils du poète Fujiwara no Shunzei 2, héritier important d’une lignée d’érudits, Teika servit plusieurs Empereurs, et notamment Go-Toba Tennô, lequel le récompensa de son attachement en le mettant au nombre des compilateurs du « Nouveau Recueil de poésies de jadis et naguère » (« Shinkokin wakashû »). À cette époque, il avait déjà la réputation d’un poète très doué, mais pratiquant un style déconcertant : « J’ai été quelquefois reconnu et quelquefois critiqué », reconnaît-il lui-même 3, « mais, depuis le début, j’ai manqué de goût pour [les règles] et n’ai appris qu’à produire des choses que les autres n’acceptaient pas. L’enseignement de mon regretté père se limitait à : “La [règle] de la poésie ne se cherche pas dans un vaste savoir ou encore en remontant à un lointain passé : elle jaillit de notre propre cœur, et c’est par soi-même qu’on la comprend” ». En l’an 1209, le shôgun Sanetomo, âgé de dix-sept ans, demanda à Teika de corriger quelques poèmes qu’il lui avait envoyés. Teika fit accompagner la correction d’un traité pédagogique, « Poèmes excellents de notre temps » (« Kindai shûka » 4), le premier d’une série de traités qui allaient imposer ses vues poétiques pour des décennies au moins. On y apprend que la vraie poésie, c’est celle qui, tout en ne quittant pas les limites de la raison, s’affranchit des chemins battus : « Le style excellent en poésie », dit-il 5, « c’est le style de poème qui, ayant transcendé les différents éléments du sujet, n’insiste sur aucun ; qui, bien que ne semblant appartenir à aucun des dix styles en particulier, nous fasse l’effet de les contenir tous ». Infatigable en dépit d’une santé sans cesse chancelante, Teika se montra, par ailleurs, un très grand philologue. Les meilleures éditions conservées, et quelquefois les plus anciennes, des classiques de la littérature japonaise sont des copies de sa main 6. Pourtant, à tort ou à raison, ce qui a le plus contribué à le rendre illustre, c’est une petite anthologie connue sous le nom de « De cent poètes un poème », que tout Japonais sait par cœur pour avoir joué, dès sa tendre enfance, avec le jeu de cartes qui en est inspiré.
- En japonais 藤原定家. Parfois transcrit Foujiwara no Sadaïé.
- En japonais 藤原俊成. Parfois transcrit Toshinari.
- « Fujiwara no Teika (1162-1241) et la Notion d’excellence en poésie », p. 70.
- En japonais « 近代秀歌 ».
- « Fujiwara no Teika (1162-1241) et la Notion d’excellence en poésie », p. 249.
- C’est le cas en particulier du « Dit du genji », de l’« Ise monogatari », du « Kokin-shû », dont il colligea les divers manuscrits, et qu’il commenta en profondeur.
« Fujiwara no Teika (1162-1241) et la Notion d’excellence en poésie »
éd. Collège de France-Institut des hautes études japonaises, coll. Bibliothèque de l’Institut des hautes études japonaises, Paris
Il s’agit de l’aristocrate japonais Fujiwara no Teika 1 (XIIe-XIIIe siècle), non seulement poète très fécond, encensé ou blâmé par ses contemporains pour son originalité ; mais aussi critique aux jugements duquel on s’en rapportait constamment, théoricien, éditeur d’œuvres anciennes, compilateur d’anthologies, auteur d’un journal tenu tout au long de sa vie dès sa dix-neuvième année — le « Meigetsu-ki » (« Journal de la lune claire »). Fils du poète Fujiwara no Shunzei 2, héritier important d’une lignée d’érudits, Teika servit plusieurs Empereurs, et notamment Go-Toba Tennô, lequel le récompensa de son attachement en le mettant au nombre des compilateurs du « Nouveau Recueil de poésies de jadis et naguère » (« Shinkokin wakashû »). À cette époque, il avait déjà la réputation d’un poète très doué, mais pratiquant un style déconcertant : « J’ai été quelquefois reconnu et quelquefois critiqué », reconnaît-il lui-même 3, « mais, depuis le début, j’ai manqué de goût pour [les règles] et n’ai appris qu’à produire des choses que les autres n’acceptaient pas. L’enseignement de mon regretté père se limitait à : “La [règle] de la poésie ne se cherche pas dans un vaste savoir ou encore en remontant à un lointain passé : elle jaillit de notre propre cœur, et c’est par soi-même qu’on la comprend” ». En l’an 1209, le shôgun Sanetomo, âgé de dix-sept ans, demanda à Teika de corriger quelques poèmes qu’il lui avait envoyés. Teika fit accompagner la correction d’un traité pédagogique, « Poèmes excellents de notre temps » (« Kindai shûka » 4), le premier d’une série de traités qui allaient imposer ses vues poétiques pour des décennies au moins. On y apprend que la vraie poésie, c’est celle qui, tout en ne quittant pas les limites de la raison, s’affranchit des chemins battus : « Le style excellent en poésie », dit-il 5, « c’est le style de poème qui, ayant transcendé les différents éléments du sujet, n’insiste sur aucun ; qui, bien que ne semblant appartenir à aucun des dix styles en particulier, nous fasse l’effet de les contenir tous ». Infatigable en dépit d’une santé sans cesse chancelante, Teika se montra, par ailleurs, un très grand philologue. Les meilleures éditions conservées, et quelquefois les plus anciennes, des classiques de la littérature japonaise sont des copies de sa main 6. Pourtant, à tort ou à raison, ce qui a le plus contribué à le rendre illustre, c’est une petite anthologie connue sous le nom de « De cent poètes un poème », que tout Japonais sait par cœur pour avoir joué, dès sa tendre enfance, avec le jeu de cartes qui en est inspiré.
- En japonais 藤原定家. Parfois transcrit Foujiwara no Sadaïé.
- En japonais 藤原俊成. Parfois transcrit Toshinari.
- « Fujiwara no Teika (1162-1241) et la Notion d’excellence en poésie », p. 70.
- En japonais « 近代秀歌 ».
- « Fujiwara no Teika (1162-1241) et la Notion d’excellence en poésie », p. 249.
- C’est le cas en particulier du « Dit du genji », de l’« Ise monogatari », du « Kokin-shû », dont il colligea les divers manuscrits, et qu’il commenta en profondeur.
Kyôka, « La Ronde nocturne de l’agent de police, “Yakô junsa” »
dans « Anthologie de nouvelles japonaises contemporaines. Tome II » (éd. Gallimard, coll. Du monde entier, Paris)
Il s’agit de « La Ronde nocturne de l’agent de police » (« Yakô junsa » 1) et autres œuvres d’Izumi Kyôka 2, écrivain japonais (XIXe-XXe siècle) qui créa, aussi bien dans ses contes fantastiques que dans ses nouvelles proches du poème en prose, un monde fait d’êtres surnaturels, de fantômes inquiétants et de femmes sensuelles, un monde sans doute en partie inspiré de sa mère artiste, qu’il perdit à l’âge de neuf ans. Fantasque, capricieux, Kyôka vivait entouré de ses peurs et superstitions ; il craignait les chiens et les éclairs et enlevait les lunettes quand il passait devant un temple, pour que rien ne brouillât son contact avec le divin. Il idéalisa le monde des geishas, au point d’en prendre une pour femme, en ajournant son mariage jusqu’au décès de son maître Ozaki Kôyô qui désapprouvait cette union. De l’Occident, il révérait les desseins étranges et décadents d’Aubrey Beardsley ; du Japon — les vieilles estampes et scènes de nô. Hélas ! les œuvres les plus fortes et les plus vraies de Kyôka restent pour l’heure inédites en français. Tel est le cas de « Nihonbashi » 3, l’histoire d’un jeune homme à la recherche de sa sœur qui lui avait payé ses études en devenant geisha ; ou bien « L’Ermite du mont Kôya » (« Kôya hijiri » 4), les confessions d’un moine soumis à la tentation par une magicienne voluptueuse, une sorte de Circé, qui avait le pouvoir de métamorphoser les hommes en bêtes. Même au Japon, malgré la popularité de ses œuvres, adaptées très tôt au théâtre et au cinéma, Kyôka s’éteignit dans une relative indifférence, laissé de côté par ses contemporains. Sa prédilection pour le fantastique, ses étranges types féminins qui rappelaient souvent, par leur beauté ténébreuse et troublante, les « belles dames sans merci » du romantisme occidental, ne correspondaient plus aux goûts du temps : « Quand je songe à Izumi Kyôka », dit un critique 5, « ce qui ne cesse de me surprendre, c’est cet enthousiasme et cette inflexible [obstination] à vouloir préserver un tel univers fantastique et plein de poésie, dans un Japon où, depuis [l’ère] Meiji, le courant principal était le réalisme… Ozaki Kôyô, ce maître pour qui Kyôka avait tant de respect, reste, me semble-t-il, en dernier lieu, un auteur réaliste. En France par exemple, même au XIXe siècle où le réalisme était le courant littéraire principal, [il] existait un certain nombre de romanciers fantastiques — Nerval, parmi d’autres… Dans la littérature japonaise contemporaine, Kyôka fait figure de cas unique et isolé ».
Kyôka, « Les Noix glacées, “Kurumi” »
dans « [Nouvelles japonaises]. Tome I. Les Noix, la Mouche, le Citron (1910-1926) » (éd. Ph. Picquier, Arles), p. 15-22
Il s’agit des « Noix glacées » (« Kurumi » 1) et autres œuvres d’Izumi Kyôka 2, écrivain japonais (XIXe-XXe siècle) qui créa, aussi bien dans ses contes fantastiques que dans ses nouvelles proches du poème en prose, un monde fait d’êtres surnaturels, de fantômes inquiétants et de femmes sensuelles, un monde sans doute en partie inspiré de sa mère artiste, qu’il perdit à l’âge de neuf ans. Fantasque, capricieux, Kyôka vivait entouré de ses peurs et superstitions ; il craignait les chiens et les éclairs et enlevait les lunettes quand il passait devant un temple, pour que rien ne brouillât son contact avec le divin. Il idéalisa le monde des geishas, au point d’en prendre une pour femme, en ajournant son mariage jusqu’au décès de son maître Ozaki Kôyô qui désapprouvait cette union. De l’Occident, il révérait les desseins étranges et décadents d’Aubrey Beardsley ; du Japon — les vieilles estampes et scènes de nô. Hélas ! les œuvres les plus fortes et les plus vraies de Kyôka restent pour l’heure inédites en français. Tel est le cas de « Nihonbashi » 3, l’histoire d’un jeune homme à la recherche de sa sœur qui lui avait payé ses études en devenant geisha ; ou bien « L’Ermite du mont Kôya » (« Kôya hijiri » 4), les confessions d’un moine soumis à la tentation par une magicienne voluptueuse, une sorte de Circé, qui avait le pouvoir de métamorphoser les hommes en bêtes. Même au Japon, malgré la popularité de ses œuvres, adaptées très tôt au théâtre et au cinéma, Kyôka s’éteignit dans une relative indifférence, laissé de côté par ses contemporains. Sa prédilection pour le fantastique, ses étranges types féminins qui rappelaient souvent, par leur beauté ténébreuse et troublante, les « belles dames sans merci » du romantisme occidental, ne correspondaient plus aux goûts du temps : « Quand je songe à Izumi Kyôka », dit un critique 5, « ce qui ne cesse de me surprendre, c’est cet enthousiasme et cette inflexible [obstination] à vouloir préserver un tel univers fantastique et plein de poésie, dans un Japon où, depuis [l’ère] Meiji, le courant principal était le réalisme… Ozaki Kôyô, ce maître pour qui Kyôka avait tant de respect, reste, me semble-t-il, en dernier lieu, un auteur réaliste. En France par exemple, même au XIXe siècle où le réalisme était le courant littéraire principal, [il] existait un certain nombre de romanciers fantastiques — Nerval, parmi d’autres… Dans la littérature japonaise contemporaine, Kyôka fait figure de cas unique et isolé ».
Kyôka, « Une Femme fidèle : récits »
Il s’agit d’« Une Femme fidèle » (« Bake ichô » 1) et autres œuvres d’Izumi Kyôka 2, écrivain japonais (XIXe-XXe siècle) qui créa, aussi bien dans ses contes fantastiques que dans ses nouvelles proches du poème en prose, un monde fait d’êtres surnaturels, de fantômes inquiétants et de femmes sensuelles, un monde sans doute en partie inspiré de sa mère artiste, qu’il perdit à l’âge de neuf ans. Fantasque, capricieux, Kyôka vivait entouré de ses peurs et superstitions ; il craignait les chiens et les éclairs et enlevait les lunettes quand il passait devant un temple, pour que rien ne brouillât son contact avec le divin. Il idéalisa le monde des geishas, au point d’en prendre une pour femme, en ajournant son mariage jusqu’au décès de son maître Ozaki Kôyô qui désapprouvait cette union. De l’Occident, il révérait les desseins étranges et décadents d’Aubrey Beardsley ; du Japon — les vieilles estampes et scènes de nô. Hélas ! les œuvres les plus fortes et les plus vraies de Kyôka restent pour l’heure inédites en français. Tel est le cas de « Nihonbashi » 3, l’histoire d’un jeune homme à la recherche de sa sœur qui lui avait payé ses études en devenant geisha ; ou bien « L’Ermite du mont Kôya » (« Kôya hijiri » 4), les confessions d’un moine soumis à la tentation par une magicienne voluptueuse, une sorte de Circé, qui avait le pouvoir de métamorphoser les hommes en bêtes. Même au Japon, malgré la popularité de ses œuvres, adaptées très tôt au théâtre et au cinéma, Kyôka s’éteignit dans une relative indifférence, laissé de côté par ses contemporains. Sa prédilection pour le fantastique, ses étranges types féminins qui rappelaient souvent, par leur beauté ténébreuse et troublante, les « belles dames sans merci » du romantisme occidental, ne correspondaient plus aux goûts du temps : « Quand je songe à Izumi Kyôka », dit un critique 5, « ce qui ne cesse de me surprendre, c’est cet enthousiasme et cette inflexible [obstination] à vouloir préserver un tel univers fantastique et plein de poésie, dans un Japon où, depuis [l’ère] Meiji, le courant principal était le réalisme… Ozaki Kôyô, ce maître pour qui Kyôka avait tant de respect, reste, me semble-t-il, en dernier lieu, un auteur réaliste. En France par exemple, même au XIXe siècle où le réalisme était le courant littéraire principal, [il] existait un certain nombre de romanciers fantastiques — Nerval, parmi d’autres… Dans la littérature japonaise contemporaine, Kyôka fait figure de cas unique et isolé ».
Kyôka, « La Femme ailée : récits »
Il s’agit de « La Femme ailée » (« Kechô » 1) et autres œuvres d’Izumi Kyôka 2, écrivain japonais (XIXe-XXe siècle) qui créa, aussi bien dans ses contes fantastiques que dans ses nouvelles proches du poème en prose, un monde fait d’êtres surnaturels, de fantômes inquiétants et de femmes sensuelles, un monde sans doute en partie inspiré de sa mère artiste, qu’il perdit à l’âge de neuf ans. Fantasque, capricieux, Kyôka vivait entouré de ses peurs et superstitions ; il craignait les chiens et les éclairs et enlevait les lunettes quand il passait devant un temple, pour que rien ne brouillât son contact avec le divin. Il idéalisa le monde des geishas, au point d’en prendre une pour femme, en ajournant son mariage jusqu’au décès de son maître Ozaki Kôyô qui désapprouvait cette union. De l’Occident, il révérait les desseins étranges et décadents d’Aubrey Beardsley ; du Japon — les vieilles estampes et scènes de nô. Hélas ! les œuvres les plus fortes et les plus vraies de Kyôka restent pour l’heure inédites en français. Tel est le cas de « Nihonbashi » 3, l’histoire d’un jeune homme à la recherche de sa sœur qui lui avait payé ses études en devenant geisha ; ou bien « L’Ermite du mont Kôya » (« Kôya hijiri » 4), les confessions d’un moine soumis à la tentation par une magicienne voluptueuse, une sorte de Circé, qui avait le pouvoir de métamorphoser les hommes en bêtes. Même au Japon, malgré la popularité de ses œuvres, adaptées très tôt au théâtre et au cinéma, Kyôka s’éteignit dans une relative indifférence, laissé de côté par ses contemporains. Sa prédilection pour le fantastique, ses étranges types féminins qui rappelaient souvent, par leur beauté ténébreuse et troublante, les « belles dames sans merci » du romantisme occidental, ne correspondaient plus aux goûts du temps : « Quand je songe à Izumi Kyôka », dit un critique 5, « ce qui ne cesse de me surprendre, c’est cet enthousiasme et cette inflexible [obstination] à vouloir préserver un tel univers fantastique et plein de poésie, dans un Japon où, depuis [l’ère] Meiji, le courant principal était le réalisme… Ozaki Kôyô, ce maître pour qui Kyôka avait tant de respect, reste, me semble-t-il, en dernier lieu, un auteur réaliste. En France par exemple, même au XIXe siècle où le réalisme était le courant littéraire principal, [il] existait un certain nombre de romanciers fantastiques — Nerval, parmi d’autres… Dans la littérature japonaise contemporaine, Kyôka fait figure de cas unique et isolé ».
Chalcondyle, « L’Histoire de la décadence de l’Empire grec et établissement de celui des Turcs »
Il s’agit de Laonic Chalcondyle, Athénien du XVe siècle apr. J.-C. qui a rédigé « L’Histoire de la décadence de l’Empire grec et établissement de celui des Turcs », ou littéralement « Démonstrations historiques, en dix livres » (« Apodeixeis historiôn deka » 1). J’adopte la manière commune d’orthographier son nom de famille, qui est de supprimer une des syllabes pour éviter le redoublement, écrivant Chalcondyle au lieu de Chalcocondyle 2. Quant à son prénom de Laonic ou Laonicos 3, quelques-uns préfèrent le changer en celui de Nicolas, dont il est le verlan. Quoi qu’il en soit, « L’Histoire » de Chalcondyle parle avec étendue des guerres des Grecs et autres chrétiens contre les Turcs ; elle commence vers l’an 1300 (date depuis laquelle les affaires des Grecs allèrent toujours de mal en pis) jusqu’à leur destruction et ruine finale par Mehmed II, qui prit Constantinople en l’an 1453. Chassé de sa patrie par ces funestes événements, Chalcondyle a évoqué, mieux qu’aucun autre avant lui, les souffrances de sa Grèce natale et a ainsi rappelé vers l’Orient l’attention de l’Europe oublieuse et indifférente. La douleur qu’il ressent d’être exilé, ne le rend pas injuste pour autant. Il fait preuve d’une grande objectivité à l’égard des Turcs ; il vante leurs qualités et leur rigoureuse discipline, qu’il oppose aux discordes et aux vices de ses compatriotes. Par ailleurs, malgré l’inaction de l’Europe, il montre une sincère estime pour les États qui témoignent du moins quelque sympathie à la cause grecque, surtout pour la France qui, tant de fois, prit l’initiative des croisades. Écoutons-le épuiser toutes les formules d’une vive admiration pour le nom français : « Je dirai… ceci des Français », dit-il, « que c’est une nation très noble et fort ancienne ; riche, opulente et de grand pouvoir. Et d’autant qu’[en] toutes ces choses ils surmontent et passent de bien loin tous les autres peuples de l’Occident, aussi… c’est à eux [que], de droit, l’autorité souveraine et l’administration de l’Empire romain doit appartenir ». Et aussi : « On sait assez que cette nation est fort ancienne sur toutes [les] autres, et qu’elle s’est davantage acquis une très grande et magnifique gloire pour avoir, tant de fois, vaincu et rembarré les barbares qui étaient sortis de l’Afrique, durant même que 4 l’Empire romain était comme annexé et héréditaire à [sa] couronne ».
- En grec « Ἀποδείξεις ἱστοριῶν δέκα ».
- En grec Χαλκοκονδύλης. Parfois transcrit Chalcondile, Chalcocondyle, Chalkokondyle, Chalkokondylis, Chalkondylas, Chalcocondylas, Chalcocondyles ou Chalkokondylès.
- En grec Λαόνικος. Parfois transcrit Laonice, Laonique, Laonikos ou Laonicus.
- « Durant même que » signifie « au moment même où, dans le même temps que ».