Il s’agit de poèmes classiques chinois sur le thé. C’est Li Po, au VIIIe siècle apr. J.-C., qui composa ce que l’on considère comme le premier poème sur le thé pour remercier son neveu, le moine Chung fu, qui lui avait offert du thé de la montagne de la Source de jade. Le poète avait entendu parler de cette montagne qui regorgeait de grottes. À l’extérieur, au milieu des rochers, poussaient des théiers. La Source de jade en aspergeait les racines et les branches de gouttes parfumées. Seul un vieil homme venait cueillir leurs feuilles qui, quand on les buvait, tonifiaient chair et os : il les séchait au soleil et les façonnait en briques 1. À l’âge de quatre-vingts ans passés, son teint gardait la couleur des pêches et des prunes. Alors que Li Po voyageait dans le Ching ling, le moine Chung fu, son neveu comme je l’ai dit plus haut, lui avait offert des dizaines de ces briques dont la forme ressemblait à une main humaine. On appelait ce thé « la main d’immortel ». Un matin, assis, ressentant encore les bienfaits de la boisson, Li Po composa des vers superbes et une préface pour en faire l’éloge. C’est également au VIIIe siècle que naquit Lu Tung 2, surnommé le « fou du thé ». « Du matin au soir », explique M. Paul Butel 3, « le maître [Lu Tung] ne faisait rien d’autre que de réciter des poèmes et de préparer la boisson dont il raffolait avec tant de passion que quelques-uns de ses contemporains le crurent fou. N’écrit-il pas “je ne m’intéresse nullement à l’immortalité, mais seulement au goût du thé” ? ». Autant Lu Yu est célèbre en prose pour son « Classique du thé » ; autant Lu Tung l’est en poésie pour son chant des « Sept tasses de thé » 4, qui décrit remarquablement le plaisir apporté par les tasses successives de thé, depuis la première qui « humecte lèvres et gosier » jusqu’à la septième qui provoque « un vent frais sous [les] aisselles », c’est-à-dire une extase quasiment religieuse. Plus qu’une idéalisation de la manière de boire, le thé représente chez lui une mystique de l’art de la vie, comme on le voit à son existence recluse, subtile, loin d’une carrière dans le fonctionnariat. Son théisme est un taoïsme déguisé.
- Le thé était jadis conservé sous forme de briques compressées, aussi dures qu’une pierre, comme il s’en vend encore dans les provinces orientales de la Russie.
- En chinois 盧仝. Parfois transcrit Lotung ou Lu Tong.
- « Histoire du thé », p. 22.
- En chinois « 七碗茶 ». Parfois traduit « Sept bols de thé ». Ce chant n’est, en réalité, que la partie centrale d’un long poème intitulé « Zoubi Meng jianyi ji xincha » (« 走筆謝孟諫議寄新茶 »), c’est-à-dire « Remerciements empressés adressés au censeur impérial Meng pour son cadeau de thé fraîchement coupé ».