Chateaubriand, « Itinéraire de Paris à Jérusalem. Tome III »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit de l’«Iti­né­raire de Pa­ris à » de , au­teur et , père du chré­tien. Le , le grand mal de Cha­teau­briand fut d’être né entre deux siècles, «comme au confluent de deux fleuves» 1, et de voir les ca­rac­tères op­po­sés de ces deux siècles se ren­con­trer dans ses opi­nions. Sorti des en­trailles de l’ancienne , de l’ancienne , il se plaça contre la , dès qu’il la vit dans ses pre­mières vio­lences, et il resta roya­liste, sou­vent contre son ins­tinct. Car au fond de lui-même, il était de la race, de la de Na­po­léon Bo­na­parte. Même fougue, même éclat, même mo­derne. Si les Bour­bons avaient mieux ap­pré­cié Cha­teau­briand, il est pos­sible qu’il eût été moins vul­né­rable au de l’Empereur de­venu res­plen­dis­sant comme un «large ». Le pa­ral­lèle qu’il fait dans ses «Mé­moires d’outre-tombe» entre l’Empire et la mo­nar­chie bour­bo­nienne, pour cruel qu’il soit, est l’expression sin­cère de la concep­tion de l’auteur, tel­le­ment plus vraie que celle du po­li­tique : «Re­tom­ber de Bo­na­parte et de l’Empire à ce qui les a sui­vis, c’est tom­ber de la dans le néant; du som­met d’une mon­tagne dans un gouffre. Tout n’est-il pas ter­miné avec Na­po­léon?… Com­ment nom­mer Louis XVIII en place de l’Empereur? Je rou­gis en [y] pen­sant». Triste jusqu’au déses­poir, sans amis et sans es­pé­rance, il était ob­sédé par un passé à ja­mais éva­noui et tombé dans le néant. «Je n’ai plus qu’à m’asseoir sur des ruines et à mé­pri­ser cette », écri­vait-il 2 en son­geant qu’il était lui-même une ruine en­core plus chan­ce­lante. Au­cune ne ve­nait le conso­ler ex­cepté la chré­tienne, à la­quelle il était re­venu avec et avec vé­hé­mence. Sa mère et sa sœur avaient eu la plus grande part à cette conver­sion : «Ma mère, après avoir été je­tée à soixante-douze ans dans des ca­chots où elle vit pé­rir une par­tie de ses , ex­pira en­fin sur un gra­bat, où ses mal­heurs l’avaient re­lé­guée. Le sou­ve­nir de mes éga­re­ments [le de mon “Es­sai sur les ”] ré­pan­dit sur ses der­niers jours une grande amer­tume; elle char­gea, en mou­rant, une de mes sœurs de me rap­pe­ler à cette re­li­gion dans la­quelle j’avais été élevé. Ma sœur me manda le der­nier vœu de ma mère. Quand la lettre me par­vint au-delà des mers, ma sœur elle-même n’existait plus; elle était morte aussi des suites de son . Ces deux sor­ties du tom­beau, cette qui ser­vait d’interprète à la mort, m’ont frappé; je suis de­venu chré­tien»

  1. «Mé­moires d’outre-tombe», liv. XLIII, ch. VIII. Icône Haut
  1. «Études his­to­riques». Icône Haut

Chateaubriand, « Itinéraire de Paris à Jérusalem. Tome II »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit de l’«Iti­né­raire de Pa­ris à » de , au­teur et , père du chré­tien. Le , le grand mal de Cha­teau­briand fut d’être né entre deux siècles, «comme au confluent de deux fleuves» 1, et de voir les ca­rac­tères op­po­sés de ces deux siècles se ren­con­trer dans ses opi­nions. Sorti des en­trailles de l’ancienne , de l’ancienne , il se plaça contre la , dès qu’il la vit dans ses pre­mières vio­lences, et il resta roya­liste, sou­vent contre son ins­tinct. Car au fond de lui-même, il était de la race, de la de Na­po­léon Bo­na­parte. Même fougue, même éclat, même mo­derne. Si les Bour­bons avaient mieux ap­pré­cié Cha­teau­briand, il est pos­sible qu’il eût été moins vul­né­rable au de l’Empereur de­venu res­plen­dis­sant comme un «large ». Le pa­ral­lèle qu’il fait dans ses «Mé­moires d’outre-tombe» entre l’Empire et la mo­nar­chie bour­bo­nienne, pour cruel qu’il soit, est l’expression sin­cère de la concep­tion de l’auteur, tel­le­ment plus vraie que celle du po­li­tique : «Re­tom­ber de Bo­na­parte et de l’Empire à ce qui les a sui­vis, c’est tom­ber de la dans le néant; du som­met d’une mon­tagne dans un gouffre. Tout n’est-il pas ter­miné avec Na­po­léon?… Com­ment nom­mer Louis XVIII en place de l’Empereur? Je rou­gis en [y] pen­sant». Triste jusqu’au déses­poir, sans amis et sans es­pé­rance, il était ob­sédé par un passé à ja­mais éva­noui et tombé dans le néant. «Je n’ai plus qu’à m’asseoir sur des ruines et à mé­pri­ser cette », écri­vait-il 2 en son­geant qu’il était lui-même une ruine en­core plus chan­ce­lante. Au­cune ne ve­nait le conso­ler ex­cepté la chré­tienne, à la­quelle il était re­venu avec et avec vé­hé­mence. Sa mère et sa sœur avaient eu la plus grande part à cette conver­sion : «Ma mère, après avoir été je­tée à soixante-douze ans dans des ca­chots où elle vit pé­rir une par­tie de ses , ex­pira en­fin sur un gra­bat, où ses mal­heurs l’avaient re­lé­guée. Le sou­ve­nir de mes éga­re­ments [le de mon “Es­sai sur les ”] ré­pan­dit sur ses der­niers jours une grande amer­tume; elle char­gea, en mou­rant, une de mes sœurs de me rap­pe­ler à cette re­li­gion dans la­quelle j’avais été élevé. Ma sœur me manda le der­nier vœu de ma mère. Quand la lettre me par­vint au-delà des mers, ma sœur elle-même n’existait plus; elle était morte aussi des suites de son . Ces deux sor­ties du tom­beau, cette qui ser­vait d’interprète à la mort, m’ont frappé; je suis de­venu chré­tien»

  1. «Mé­moires d’outre-tombe», liv. XLIII, ch. VIII. Icône Haut
  1. «Études his­to­riques». Icône Haut

Chateaubriand, « Itinéraire de Paris à Jérusalem. Tome I »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit de l’«Iti­né­raire de Pa­ris à » de , au­teur et , père du chré­tien. Le , le grand mal de Cha­teau­briand fut d’être né entre deux siècles, «comme au confluent de deux fleuves» 1, et de voir les ca­rac­tères op­po­sés de ces deux siècles se ren­con­trer dans ses opi­nions. Sorti des en­trailles de l’ancienne , de l’ancienne , il se plaça contre la , dès qu’il la vit dans ses pre­mières vio­lences, et il resta roya­liste, sou­vent contre son ins­tinct. Car au fond de lui-même, il était de la race, de la de Na­po­léon Bo­na­parte. Même fougue, même éclat, même mo­derne. Si les Bour­bons avaient mieux ap­pré­cié Cha­teau­briand, il est pos­sible qu’il eût été moins vul­né­rable au de l’Empereur de­venu res­plen­dis­sant comme un «large ». Le pa­ral­lèle qu’il fait dans ses «Mé­moires d’outre-tombe» entre l’Empire et la mo­nar­chie bour­bo­nienne, pour cruel qu’il soit, est l’expression sin­cère de la concep­tion de l’auteur, tel­le­ment plus vraie que celle du po­li­tique : «Re­tom­ber de Bo­na­parte et de l’Empire à ce qui les a sui­vis, c’est tom­ber de la dans le néant; du som­met d’une mon­tagne dans un gouffre. Tout n’est-il pas ter­miné avec Na­po­léon?… Com­ment nom­mer Louis XVIII en place de l’Empereur? Je rou­gis en [y] pen­sant». Triste jusqu’au déses­poir, sans amis et sans es­pé­rance, il était ob­sédé par un passé à ja­mais éva­noui et tombé dans le néant. «Je n’ai plus qu’à m’asseoir sur des ruines et à mé­pri­ser cette », écri­vait-il 2 en son­geant qu’il était lui-même une ruine en­core plus chan­ce­lante. Au­cune ne ve­nait le conso­ler ex­cepté la chré­tienne, à la­quelle il était re­venu avec et avec vé­hé­mence. Sa mère et sa sœur avaient eu la plus grande part à cette conver­sion : «Ma mère, après avoir été je­tée à soixante-douze ans dans des ca­chots où elle vit pé­rir une par­tie de ses , ex­pira en­fin sur un gra­bat, où ses mal­heurs l’avaient re­lé­guée. Le sou­ve­nir de mes éga­re­ments [le de mon “Es­sai sur les ”] ré­pan­dit sur ses der­niers jours une grande amer­tume; elle char­gea, en mou­rant, une de mes sœurs de me rap­pe­ler à cette re­li­gion dans la­quelle j’avais été élevé. Ma sœur me manda le der­nier vœu de ma mère. Quand la lettre me par­vint au-delà des mers, ma sœur elle-même n’existait plus; elle était morte aussi des suites de son . Ces deux sor­ties du tom­beau, cette qui ser­vait d’interprète à la mort, m’ont frappé; je suis de­venu chré­tien»

  1. «Mé­moires d’outre-tombe», liv. XLIII, ch. VIII. Icône Haut
  1. «Études his­to­riques». Icône Haut

« Les Poèmes de Cao Cao (155-220) »

éd. Collège de France-Institut des hautes études chinoises, coll. Bibliothèque de l’Institut des hautes études chinoises, Paris

éd. Col­lège de -Ins­ti­tut des hautes études chi­noises, coll. Bi­blio­thèque de l’Institut des hautes études chi­noises, Pa­ris

Il s’agit des poèmes de Ts’ao Ts’ao 1, gé­né­ral et po­li­ti­cien , dé­fait dans la ba­taille de la fa­laise Rouge en 208 apr. J.-C. Cet ivre d’action qui, simple chef de bande à ses dé­buts, sut se tailler, dans la dis­lo­quée et trou­blée de la fin des Han, la part du lion, et mo­men­ta­né­ment du moins, à uni­fier le pays sous son au­to­rité — cet homme ivre d’action, dis-je, trouva parmi ses sou­cis d’État et de as­sez de loi­sirs pour se li­vrer à la . Aussi, les bio­graphes le dé­crivent-ils as­sis à dos de , «la longue lance en tra­vers de sa selle», bu­vant du et «com­po­sant des vers in­ébran­lables» 2 pleins d’énergie mâle et de force hé­roïque :

«Du vieux cour­sier, cou­ché dans l’écurie,
L’ se si­tue à mille “li”
[c’est-à-dire sur un champ de ba­taille loin­tain].
Quand le hé­ros touche au soir de la ,
Son cœur vaillant n’a pas fini de battre
» 3.

Sa ré­pu­ta­tion ac­quise, Ts’ao Ts’ao em­ploya tous les res­sorts de son pour ob­te­nir d’être nommé pre­mier mi­nistre. Il réus­sit; et élevé dans ce poste, il ne tra­vailla dé­sor­mais qu’à se faire des pro­té­gés, en em­bau­chant ceux qui lui pa­rais­saient dé­voués à ses in­té­rêts, et en des­ti­tuant qui­conque n’adhérait pas aveu­glé­ment à toutes ses vo­lon­tés. Son am­bi­tion fi­nit par éteindre en lui ses belles qua­li­tés. «Il avait dé­li­vré son [Em­pe­reur] d’un ty­ran qui le per­sé­cu­tait; mais ce fut pour le faire gé­mir sous une autre ty­ran­nie, moins cruelle sans , mais qui n’en était pas moins réelle», dit très bien le père Jo­seph Amiot 4. «Il de­vint fourbe, vin­di­ca­tif, cruel, per­fide, et ne garda pas même l’extérieur de ce qu’on ap­pe­lait ses an­ciennes .» Ts’ao Ts’ao mou­rut en 220 apr. J.-C., en em­por­tant avec lui la haine d’une , dont il au­rait pu être l’idole s’il s’était contenté d’être le pre­mier des su­jets de son sou­ve­rain lé­gi­time. Peu de au­pa­ra­vant, il avait as­so­cié son fils au pre­mier mi­nis­tère et l’avait nommé son suc­ces­seur dans la prin­ci­pauté de Ouei; ce­lui-ci donna à Ts’ao Ts’ao, son père, le titre post­hume de «Ouei-Ou-Ti» 5Em­pe­reur Ou des Ouei»).

  1. En chi­nois 曹操. Par­fois trans­crit Cao Cao. Icône Haut
  2. En chi­nois 橫槊賦詩. Icône Haut
  3. p. 152. Icône Haut
  1. «Ouei-ou-ti, mi­nistre», p. 105. Icône Haut
  2. En chi­nois 魏武帝. Par­fois trans­crit «Wei-Wu-Di». Icône Haut

Shen Fu, « Récits d’une vie fugitive : mémoires d’un lettré pauvre »

éd. Gallimard, coll. UNESCO d’œuvres représentatives-Connaissance de l’Orient, Paris

éd. Gal­li­mard, coll. UNESCO d’œuvres re­pré­sen­ta­tives-Connais­sance de l’, Pa­ris

Il s’agit des «Six Ré­cits au fil in­cons­tant des jours» 1 sheng liu ji» 2) de Shen Fu 3. Ces six ré­cits — qui, en , ne sont que quatre, les deux der­niers n’étant pas jusqu’à nous — consti­tuent un mo­nu­ment élevé par Shen Fu à la de Yun, son épouse dé­funte. «C’était le 30 mars 1803», dit-il 4. «Sa main agrip­pant la mienne, Yun vou­lut par­ler…; mais, sans forces, elle ne put que ré­pé­ter dans un souffle : “lai shi, lai shi”… “l’ fu­ture”… 5 Sou­dain, elle ha­leta, sa mâ­choire se rai­dit et son di­laté prit une fixité sai­sis­sante. Je l’appelai et l’appelai de nou­veau et en­core; mais en vain. Elle ne pou­vait plus pro­fé­rer une . Deux ruis­seaux de larmes conti­nuèrent à cou­ler le long de ses joues. Bien­tôt, son souffle s’affaiblit, ses larmes se ta­rirent et en­fin son s’éteignit.» Ce sont des ré­cits uniques jusque-là dans la par leurs pe­tits faits exacts et par leurs dé­tails fa­mi­liers sur la conju­gale. Nous nous trou­vons in­tro­duits, sans pré­ten­tion et en toute sim­pli­cité, dans l’intimité d’un pauvre let­tré qui ma­nie la clas­sique d’une ma­nière certes mal­ha­bile, mais dont l’austère sin­cé­rité nous émeut par­fois : «Mon re­gret», dit-il 6, «est de n’avoir reçu, étant en­fant, qu’une ins­truc­tion in­com­plète et d’être borné dans mes connais­sances. Aussi, ne re­la­te­rai-je, sans or­ne­ment, que des vrais et des faits réels. Re­cher­cher le dans ce que j’écris se­rait comme exi­ger l’éclat d’un non poli». Pa­ra­doxa­le­ment, c’est ce ca­rac­tère or­di­naire de Shen Fu qui fait son ex­tra­or­di­naire et qui est la ma­jeure du que connut son ou­vrage de­puis qu’il a été trouvé sur l’étal d’un bro­can­teur en 1849.

  1. Au­tre­fois tra­duit «Six Cha­pitres d’une vie flot­tante» ou «Six Mé­moires sur une vie flot­tante». Icône Haut
  2. En «浮生六記». Au­tre­fois trans­crit «Fou-cheng lieou-ki» ou «Fou­sheng liuji». Titre em­prunté au poème «Chun ye yan li yuan xu» («春夜宴桃李園序») de Li Po : «L’univers n’est que [la halte] des créa­tures, et le — l’hôte pro­vi­soire de l’éternité; “au fil in­cons­tant des jours”, notre vie n’est qu’un songe», etc. Icône Haut
  3. En chi­nois 沈復. Au­tre­fois trans­crit Chen Fou. Icône Haut
  1. p. 98. Icône Haut
  2. En chi­nois 來世. C’est, se­lon les croyances boud­dhiques, l’existence qui vient im­mé­dia­te­ment après l’existence ac­tuelle. Icône Haut
  3. p. 21. Icône Haut

Chateaubriand, « Les Natchez. Tome II »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit des «Nat­chez» de , au­teur et , père du chré­tien. Le , le grand mal de Cha­teau­briand fut d’être né entre deux siècles, «comme au confluent de deux fleuves» 1, et de voir les ca­rac­tères op­po­sés de ces deux siècles se ren­con­trer dans ses opi­nions. Sorti des en­trailles de l’ancienne , de l’ancienne , il se plaça contre la , dès qu’il la vit dans ses pre­mières vio­lences, et il resta roya­liste, sou­vent contre son ins­tinct. Car au fond de lui-même, il était de la race, de la de Na­po­léon Bo­na­parte. Même fougue, même éclat, même mo­derne. Si les Bour­bons avaient mieux ap­pré­cié Cha­teau­briand, il est pos­sible qu’il eût été moins vul­né­rable au de l’Empereur de­venu res­plen­dis­sant comme un «large ». Le pa­ral­lèle qu’il fait dans ses «Mé­moires d’outre-tombe» entre l’Empire et la mo­nar­chie bour­bo­nienne, pour cruel qu’il soit, est l’expression sin­cère de la concep­tion de l’auteur, tel­le­ment plus vraie que celle du po­li­tique : «Re­tom­ber de Bo­na­parte et de l’Empire à ce qui les a sui­vis, c’est tom­ber de la dans le néant; du som­met d’une mon­tagne dans un gouffre. Tout n’est-il pas ter­miné avec Na­po­léon?… Com­ment nom­mer Louis XVIII en place de l’Empereur? Je rou­gis en [y] pen­sant». Triste jusqu’au déses­poir, sans amis et sans es­pé­rance, il était ob­sédé par un passé à ja­mais éva­noui et tombé dans le néant. «Je n’ai plus qu’à m’asseoir sur des ruines et à mé­pri­ser cette », écri­vait-il 2 en son­geant qu’il était lui-même une ruine en­core plus chan­ce­lante. Au­cune ne ve­nait le conso­ler ex­cepté la chré­tienne, à la­quelle il était re­venu avec et avec vé­hé­mence. Sa mère et sa sœur avaient eu la plus grande part à cette conver­sion : «Ma mère, après avoir été je­tée à soixante-douze ans dans des ca­chots où elle vit pé­rir une par­tie de ses , ex­pira en­fin sur un gra­bat, où ses mal­heurs l’avaient re­lé­guée. Le sou­ve­nir de mes éga­re­ments [le de mon “Es­sai sur les ”] ré­pan­dit sur ses der­niers jours une grande amer­tume; elle char­gea, en mou­rant, une de mes sœurs de me rap­pe­ler à cette re­li­gion dans la­quelle j’avais été élevé. Ma sœur me manda le der­nier vœu de ma mère. Quand la lettre me par­vint au-delà des mers, ma sœur elle-même n’existait plus; elle était morte aussi des suites de son . Ces deux sor­ties du tom­beau, cette qui ser­vait d’interprète à la mort, m’ont frappé; je suis de­venu chré­tien»

  1. «Mé­moires d’outre-tombe», liv. XLIII, ch. VIII. Icône Haut
  1. «Études his­to­riques». Icône Haut

Chateaubriand, « Les Natchez. Tome I »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit des «Nat­chez» de , au­teur et , père du chré­tien. Le , le grand mal de Cha­teau­briand fut d’être né entre deux siècles, «comme au confluent de deux fleuves» 1, et de voir les ca­rac­tères op­po­sés de ces deux siècles se ren­con­trer dans ses opi­nions. Sorti des en­trailles de l’ancienne , de l’ancienne , il se plaça contre la , dès qu’il la vit dans ses pre­mières vio­lences, et il resta roya­liste, sou­vent contre son ins­tinct. Car au fond de lui-même, il était de la race, de la de Na­po­léon Bo­na­parte. Même fougue, même éclat, même mo­derne. Si les Bour­bons avaient mieux ap­pré­cié Cha­teau­briand, il est pos­sible qu’il eût été moins vul­né­rable au de l’Empereur de­venu res­plen­dis­sant comme un «large ». Le pa­ral­lèle qu’il fait dans ses «Mé­moires d’outre-tombe» entre l’Empire et la mo­nar­chie bour­bo­nienne, pour cruel qu’il soit, est l’expression sin­cère de la concep­tion de l’auteur, tel­le­ment plus vraie que celle du po­li­tique : «Re­tom­ber de Bo­na­parte et de l’Empire à ce qui les a sui­vis, c’est tom­ber de la dans le néant; du som­met d’une mon­tagne dans un gouffre. Tout n’est-il pas ter­miné avec Na­po­léon?… Com­ment nom­mer Louis XVIII en place de l’Empereur? Je rou­gis en [y] pen­sant». Triste jusqu’au déses­poir, sans amis et sans es­pé­rance, il était ob­sédé par un passé à ja­mais éva­noui et tombé dans le néant. «Je n’ai plus qu’à m’asseoir sur des ruines et à mé­pri­ser cette », écri­vait-il 2 en son­geant qu’il était lui-même une ruine en­core plus chan­ce­lante. Au­cune ne ve­nait le conso­ler ex­cepté la chré­tienne, à la­quelle il était re­venu avec et avec vé­hé­mence. Sa mère et sa sœur avaient eu la plus grande part à cette conver­sion : «Ma mère, après avoir été je­tée à soixante-douze ans dans des ca­chots où elle vit pé­rir une par­tie de ses , ex­pira en­fin sur un gra­bat, où ses mal­heurs l’avaient re­lé­guée. Le sou­ve­nir de mes éga­re­ments [le de mon “Es­sai sur les ”] ré­pan­dit sur ses der­niers jours une grande amer­tume; elle char­gea, en mou­rant, une de mes sœurs de me rap­pe­ler à cette re­li­gion dans la­quelle j’avais été élevé. Ma sœur me manda le der­nier vœu de ma mère. Quand la lettre me par­vint au-delà des mers, ma sœur elle-même n’existait plus; elle était morte aussi des suites de son . Ces deux sor­ties du tom­beau, cette qui ser­vait d’interprète à la mort, m’ont frappé; je suis de­venu chré­tien»

  1. «Mé­moires d’outre-tombe», liv. XLIII, ch. VIII. Icône Haut
  1. «Études his­to­riques». Icône Haut

Chateaubriand, « Atala • René • Les Aventures du dernier Abencérage »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit d’«Atala» et autres œuvres de , au­teur et , père du chré­tien. Le , le grand mal de Cha­teau­briand fut d’être né entre deux siècles, «comme au confluent de deux fleuves» 1, et de voir les ca­rac­tères op­po­sés de ces deux siècles se ren­con­trer dans ses opi­nions. Sorti des en­trailles de l’ancienne , de l’ancienne , il se plaça contre la , dès qu’il la vit dans ses pre­mières vio­lences, et il resta roya­liste, sou­vent contre son ins­tinct. Car au fond de lui-même, il était de la race, de la de Na­po­léon Bo­na­parte. Même fougue, même éclat, même mo­derne. Si les Bour­bons avaient mieux ap­pré­cié Cha­teau­briand, il est pos­sible qu’il eût été moins vul­né­rable au de l’Empereur de­venu res­plen­dis­sant comme un «large ». Le pa­ral­lèle qu’il fait dans ses «Mé­moires d’outre-tombe» entre l’Empire et la mo­nar­chie bour­bo­nienne, pour cruel qu’il soit, est l’expression sin­cère de la concep­tion de l’auteur, tel­le­ment plus vraie que celle du po­li­tique : «Re­tom­ber de Bo­na­parte et de l’Empire à ce qui les a sui­vis, c’est tom­ber de la dans le néant; du som­met d’une mon­tagne dans un gouffre. Tout n’est-il pas ter­miné avec Na­po­léon?… Com­ment nom­mer Louis XVIII en place de l’Empereur? Je rou­gis en [y] pen­sant». Triste jusqu’au déses­poir, sans amis et sans es­pé­rance, il était ob­sédé par un passé à ja­mais éva­noui et tombé dans le néant. «Je n’ai plus qu’à m’asseoir sur des ruines et à mé­pri­ser cette », écri­vait-il 2 en son­geant qu’il était lui-même une ruine en­core plus chan­ce­lante. Au­cune ne ve­nait le conso­ler ex­cepté la chré­tienne, à la­quelle il était re­venu avec et avec vé­hé­mence. Sa mère et sa sœur avaient eu la plus grande part à cette conver­sion : «Ma mère, après avoir été je­tée à soixante-douze ans dans des ca­chots où elle vit pé­rir une par­tie de ses , ex­pira en­fin sur un gra­bat, où ses mal­heurs l’avaient re­lé­guée. Le sou­ve­nir de mes éga­re­ments [le de mon “Es­sai sur les ”] ré­pan­dit sur ses der­niers jours une grande amer­tume; elle char­gea, en mou­rant, une de mes sœurs de me rap­pe­ler à cette re­li­gion dans la­quelle j’avais été élevé. Ma sœur me manda le der­nier vœu de ma mère. Quand la lettre me par­vint au-delà des mers, ma sœur elle-même n’existait plus; elle était morte aussi des suites de son . Ces deux sor­ties du tom­beau, cette qui ser­vait d’interprète à la mort, m’ont frappé; je suis de­venu chré­tien»

  1. «Mé­moires d’outre-tombe», liv. XLIII, ch. VIII. Icône Haut
  1. «Études his­to­riques». Icône Haut

Yamamoto, « Barberousse : roman »

éd. du Rocher, coll. Série japonaise, Monaco

éd. du Ro­cher, coll. Sé­rie ja­po­naise, Mo­naco

Il s’agit de «L’Étrange du dis­pen­saire de Bar­be­rousse» («Aka­hige shin­ryô­tan» 1) de M. Sa­tomu Shi­mizu 2, ro­man­cier , plus connu sous le sur­nom de Shû­gorô Ya­ma­moto 3. M. Shi­mizu na­quit en 1903. Faute de moyens fi­nan­ciers, il aban­donna ses études se­con­daires et en­tra en tant que com­mis dans une li­brai­rie de Tô­kyô, dont le pa­tron le prit en af­fec­tion et lui per­mit d’étudier chaque soir. Mais le grand trem­ble­ment de de 1923 contrai­gnit la li­brai­rie à fer­mer ses portes. Après un sé­jour à Ôsaka, où il fit ses dé­buts dans un jour­nal lo­cal, M. Shi­mizu re­ga­gna Tô­kyô et dé­cida de se consa­crer à l’. Une ins­pi­rée de son sé­jour et in­ti­tu­lée «Au bord du de Suma» («Su­ma­dera fu­kin» 4) mar­qua son en­trée dans le lit­té­raire. Une faute de l’éditeur at­tri­bua pour­tant cette nou­velle à Shû­gorô Ya­ma­moto, le dé­funt pa­tron de la li­brai­rie, que M. Shi­mizu consi­dé­rait comme son père spi­ri­tuel. L’écrivain gar­dera dé­sor­mais ce sur­nom. À la ma­nière d’Émile Zola, M. Shi­mizu sa­vait re­muer lon­gue­ment et tris­te­ment tous les des­sous de la hu­maine; ra­mas­ser des têtes éparses en une masse for­mi­dable; mettre la foule en mou­ve­ment : «Il s’attarde aux bas-fonds de la bête hu­maine, au jeu des forces du et des nerfs en ce qu’elles ont de plus in­sul­tant pour l’ hu­main. Il fouille et étale les lai­deurs se­crètes de la chair et ses mal­fai­sances… Il y a dans presque tous ses ro­mans, au­tour des pro­ta­go­nistes, une quan­tité de se­con­daires, un “ser­vum pe­cus” 5 qui sou­vent marche en bande, qui fait le fond de la scène et qui s’en dé­tache et prend la par in­ter­valles, à la fa­çon du chœur an­tique» 6. Ce sont, dans «L’Étrange His­toire du dis­pen­saire de Bar­be­rousse», le chœur des ma­lades et ce­lui des lais­sés pour compte; dans «Le Quar­tier sans sai­sons» («Ki­setsu no nai ma­chi» 7), le chœur des mi­sé­rables et ce­lui des sans-le-sou; dans «Le Sa­pin, seul, est resté» («Momi no ki wa no­kotta» 8), le chœur des pro­vin­ciaux in­ti­mi­dés par le shô­gun; dans le «Conte du ba­teau de » («Ao­beka mo­no­ga­tari» 9), le chœur des pê­cheurs. Par eux, les fi­gures du pre­mier plan se trouvent mê­lées à une large por­tion d’; et comme cette hu­ma­nité est mê­lée elle-même à la des choses, il se dé­gage de ces vastes en­sembles une im­pres­sion de four­mi­lière im­mense, pro­fonde, grouillant dans l’ombre ou, au contraire, pé­tillant au , dé­rou­lant des vies qui se suivent sans fin.

  1. En ja­po­nais «赤ひげ診療譚». Icône Haut
  2. En ja­po­nais 清水三十六. Icône Haut
  3. En ja­po­nais 山本周五郎. Icône Haut
  4. En ja­po­nais «須磨寺附近», in­édit en . Icône Haut
  5. Un «trou­peau ser­vile». Icône Haut
  1. Jules Le­maître, «Les Contem­po­rains. Tome I». Icône Haut
  2. En ja­po­nais «季節のない街», in­édit en fran­çais. Icône Haut
  3. En ja­po­nais «樅ノ木は残った», in­édit en fran­çais. Icône Haut
  4. En ja­po­nais «青べか物語», in­édit en fran­çais. Icône Haut

« Notice sur le poète persan Enveri, suivie d’un extrait de ses “Odes” »

dans « Journal asiatique », sér. 9, vol. 5, p. 235-268

dans «Jour­nal asia­tique», sér. 9, vol. 5, p. 235-268

Il s’agit d’une tra­duc­tion par­tielle des «» d’ 1, poète de per­sane, éga­le­ment connu sous le nom d’Anvari Abi­vardi 2, car il na­quit près d’Abivard, dans l’actuel (XIIe siècle apr. J.-C.). Ce fut le poète le plus brillant de la Cour du sul­tan Ah­mad San­jar. Le de ses com­po­si­tions est as­sez dif­fi­cile, et cer­taines de ses «Odes» ont be­soin d’un com­men­taire pour être com­prises. L’ode, ce­pen­dant, est le genre où An­vari est é comme su­pé­rieur à tous les autres per­sans, comme en té­moigne ce dis­tique : «Parmi les poètes, trois sont , en dé­pit de la de Ma­ho­met : “Plus de pro­phète après !”; dans l’ Fir­dousi, dans le gha­zel Saadi, dans l’ode An­vari» 3. On sait peu de chose sur sa , sauf les cir­cons­tances dans les­quelles il de­vint le poète of­fi­ciel du sul­tan. Les voici, d’ailleurs. Moezzi, qui le pré­céda dans ce poste, jouis­sait d’une telle qu’il lui suf­fi­sait d’entendre une ode une fois pour la re­te­nir par cœur. Aussi, chaque fois qu’un poète ré­ci­tait une ode de­vant le sul­tan Ah­mad San­jar, lorsque la pièce ar­ri­vait à sa fin, plai­sait-elle à ce mo­narque, Moezzi ne man­quait pas de s’écrier : «Il y a beau que j’ai com­posé cette ; d’ailleurs, elle est en­core dans ma mé­moire» 4, et il la ré­ci­tait du pre­mier au der­nier vers. Les poètes pré­ten­dants étaient plon­gés dans la stu­pé­fac­tion, ne sa­chant par quel moyen pré­sen­ter au sul­tan Ah­mad San­jar des vers dont ce mo­narque fût per­suadé que Moezzi n’était pas l’auteur. An­vari trouva le stra­ta­gème sui­vant : il re­vê­tit des ha­bits tout râ­pés et orna sa tête d’une ai­grette ex­tra­or­di­naire, puis se ren­dit avec un air de fo­lie chez Moezzi. «Je suis poète», lui dit-il, «et j’ai com­posé quelques vers en l’ du sul­tan; j’attends de vous que vous les lui dé­cla­miez et que vous re­ce­viez pour mon compte un ca­deau sé­rieux. — Ré­cite-les-moi», ré­pon­dit Moezzi. An­vari com­mença en ces termes : «Vive le roi, vive le roi, vive le roi! Vive l’émir, vive l’émir, vive l’émir!», et il conti­nua à dé­bi­ter d’autres ba­li­vernes de la même force. Moezzi se fi­gura avoir af­faire à un bouf­fon et lui dit : «De­main ma­tin, trouve-toi à la Cour du sul­tan : je lui ex­po­se­rai ta si­tua­tion, et j’obtiendrai qu’il t’attache à son ser­vice». Le len­de­main, An­vari s’habilla avec conve­nance, se coiffa d’un tur­ban élé­gant et en­tra dans le . Pris de court, Moezzi ne put que dire : «Dé­clame-nous l’ode que tu as com­po­sée en l’honneur du sul­tan». Aus­si­tôt, An­vari ré­cita le dé­but d’une ode pleine de com­pa­rai­sons au­da­cieuses et de louanges su­perbes

  1. En انوری. Au­tre­fois trans­crit En­weri, En­very, En­veri, En­verri, An­veri, An­very, An­weri, An­wery, Anouary, An­wary ou An­warī. Icône Haut
  2. En per­san انوری ابیوردی. Icône Haut
  1. Dans Al­bert de Bi­ber­stein Ka­zi­mirski, «An­veri». Icône Haut
  2. «No­tice sur le poète per­san En­veri», p. 242. Icône Haut

« Les Dix-neuf Poèmes anciens »

éd. Les Belles Lettres, coll. Bibliothèque chinoise, Paris

éd. Les Belles Lettres, coll. Bi­blio­thèque chi­noise, Pa­ris

Il s’agit des «Dix-neuf Poèmes an­ciens» 1Gu­shi shi­jiu shou» 2), en­semble de dix-neuf poèmes , tous ano­nymes, qui tirent leur beauté des images douces et sym­bo­liques et de l’expression toute per­son­nelle de leur . Très peu connus en , ils datent pro­ba­ble­ment du dé­clin de la dy­nas­tie des Han (IIe siècle apr. J.-C.), qui fut mar­qué par de graves troubles po­li­tiques, et l’emprise du se re­lâ­chant, par une de la qui s’intéressa non plus aux choses, mais aux in­times. Pour la pre­mière fois en , les «Dix-neuf Poèmes an­ciens» évo­quèrent — certes sur un ton po­pu­laire, mais avec art tout de même, et un art qui a ses titres de — l’amertume de l’, la de l’ , le sen­ti­ment dou­lou­reux de la fra­gi­lité hu­maine, la han­tise du qui passe et de la  : «Se­lon une brillante étude du pro­fes­seur Yo­shi­kawa 3, l’idée que l’ est le jouet d’un des­tin in­com­pré­hen­sible et ca­pri­cieux ne se dé­ve­loppe en Chine que sous les Han. Bien qu’en [cette] idée ap­pa­raisse déjà dans le “Shi Jing” et dans les “Élé­gies de Chu”… les du “Shi Jing” croient en gé­né­ral à la du , et ceux des “Élé­gies de Chu” ac­cusent plu­tôt les hommes que le ha­sard de leurs mal­heurs. Il semble donc que la dé­so­la­tion si­len­cieuse des “Dix-neuf Poèmes an­ciens” soit bien l’indice d’un nou­veau», ex­plique M. Jean- Diény

  1. Au­tre­fois tra­duit «Les Dix-Neuf Poèmes des temps très re­cu­lés». Icône Haut
  2. En chi­nois «古詩十九首». Au­tre­fois trans­crit «Kou che che kieou cheou» ou «Ku-shih shih-chiu shou». Icône Haut
  1. Kô­jirô Yo­shi­kawa, «推移の悲哀ー古詩十九首の主題» («La Tris­tesse de l’impermanence — le thème prin­ci­pal des “Dix-neuf Poèmes an­ciens”»), in­édit en . Icône Haut

Sima Qian, « Les Mémoires historiques. Tome I. [Chapitres 1-4] »

éd. Librairie d’Amérique et d’Orient A. Maisonneuve, coll. UNESCO d’œuvres représentatives, Paris

éd. Li­brai­rie d’ et d’ A. Mai­son­neuve, coll. UNESCO d’œuvres re­pré­sen­ta­tives, Pa­ris

Il s’agit des «Mé­moires his­to­riques» («Shi Ji» 1) de  2, illustre chro­ni­queur (IIe-Ier siècle av. J.-C.) que ses com­pa­triotes placent au-des­sus de tous en di­sant qu’autant le l’emporte en éclat sur les autres astres, au­tant Sima Qian l’emporte en mé­rite sur les autres ; et que les eu­ro­péens sur­nomment l’«Hé­ro­dote de la ». Fils d’un sa­vant et sa­vant lui-même, Sima Qian fut élevé par l’Empereur à la di­gnité de «grand scribe» («tai shi» 3) en 108 av. J.-C. Son père, qui avait été son pré­dé­ces­seur dans cet em­ploi, sem­blait l’avoir prévu; car il avait fait voya­ger son fils dans tout l’Empire et lui avait laissé un im­mense hé­ri­tage en et en . De plus, dès que Sima Qian prit pos­ses­sion de sa charge, la Bi­blio­thèque im­pé­riale lui fut ou­verte; il alla s’y en­se­ve­lir. «De même qu’un qui porte une cu­vette sur la tête ne peut pas le­ver les yeux vers le , de même je rom­pis toute re­la­tion… car jour et je ne pen­sais qu’à em­ployer jusqu’au bout mes in­dignes ca­pa­ci­tés et j’appliquais tout mon cœur à m’acquitter de ma charge», dit-il 4. Mais une dis­grâce qu’il s’attira en pre­nant la dé­fense d’un mal­heu­reux, ou plu­tôt un mot sur le goût de l’Empereur pour la  5, le fit tom­ber en dis­grâce et le condamna à la cas­tra­tion. Sima Qian était si pauvre, qu’il ne fut pas en état de don­ner les deux cents onces d’argent pour se ré­di­mer du sup­plice in­fa­mant. Ce mal­heur, qui as­som­brit tout le reste de sa , ne fut pas sans exer­cer une pro­fonde sur sa . Non seule­ment Sima Qian n’avait pas pu se ra­che­ter, mais per­sonne n’avait osé prendre sa dé­fense. Aussi loue-t-il fort dans ses «Mé­moires his­to­riques» tous «ceux qui font peu de cas de leur propre vie pour al­ler au se­cours de l’homme de bien qui est en pé­ril» 6. Il ap­prouve sou­vent aussi des hommes qui avaient été ca­lom­niés et mis au ban de la . En­fin, n’est-ce pas l’amertume de son propre cœur, ai­gri par la , qui s’exprime dans ce cri : «Quand Zhufu Yan 7 [mar­chait sur] le che­min des hon­neurs, tous les hauts di­gni­taires l’exaltaient; quand son re­nom fut abattu, et qu’il eut été mis à avec toute sa , les of­fi­ciers par­lèrent à l’envi de ses dé­fauts; c’est dé­plo­rable!»

  1. En chi­nois «史記». Au­tre­fois trans­crit «Che Ki», «Se-ki», «Sée-ki», «Ssé-ki», «Schi Ki», «Shi Ki» ou «Shih Chi». Icône Haut
  2. En chi­nois 司馬遷. Au­tre­fois trans­crit Sy-ma Ts’ien, Sé­mat­siene, Ssé­mat­sien, Se-ma Ts’ien, Sze-ma Csien, Sz’ma Ts’ien, Sze-ma Ts’ien, Sseû-ma Ts’ien, Sse-ma-thsien, Ssé ma Tsian ou Ssu-ma Ch’ien. Icône Haut
  3. En chi­nois 太史. Au­tre­fois trans­crit «t’ai che». Icône Haut
  4. «Lettre à Ren An» («報任安書»). Icône Haut
  1. Sima Qian avait cri­ti­qué tous les im­pos­teurs qui jouis­saient d’un grand cré­dit à la Cour grâce aux fables qu’ils dé­bi­taient : tels étaient un ma­gi­cien qui pré­ten­dait mon­trer les em­preintes lais­sées par les pieds gi­gan­tesques d’êtres sur­na­tu­rels; un de­vin qui par­lait au nom de la prin­cesse des , et en qui l’Empereur avait tant de confiance qu’il s’attablait seul avec lui; un char­la­tan qui pro­met­tait l’; etc. Icône Haut
  2. ch. CXXIV. Icône Haut
  3. En chi­nois 主父偃. Au­tre­fois trans­crit Tchou-fou Yen ou Chu- Yen. L’Empereur Wu avait nommé, au­près de chaque roi, des conseillers qui étaient en des rap­por­teurs. Leur tâche était sou­vent pé­rilleuse : le conseiller Zhufu Yan fut mis à mort avec toute sa fa­mille à cause des faits qu’il avait rap­por­tés. Icône Haut

Hugo, « Les Misérables. Tome V »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit des «Mi­sé­rables» et autres œuvres de (XIXe siècle). Il faut re­con­naître que Hugo est non seule­ment le pre­mier en rang des de fran­çaise, de­puis que cette langue a été fixée; mais le seul qui ait un vrai­ment à ce titre d’écrivain dans sa pleine ac­cep­tion. Toutes les ca­té­go­ries de l’ lit­té­raire se trouvent en lui dé­jouées. La qui vou­drait dé­mê­ler cette ti­ta­nique, stu­pé­fiante, te­nant quelque chose de la di­vi­nité, est en pré­sence du pro­blème le plus in­so­luble. Fut-il poète, ro­man­cier ou pen­seur? Fut-il spi­ri­tua­liste ou réa­liste? Il fut tout cela et plus en­core. Nou­veau Qui­chotte, cet est allé por­ter ses pas sur tous les che­mins de l’esprit, mon­ter sur toutes les bar­ri­cades qu’il ren­con­trait, sou­tien des faibles et pour­fen­deur des ty­rans, son­neur de clai­rons et amant de la vio­lette; si bien qu’aucune des fa­milles qui se par­tagent l’espèce hu­maine au et au mo­ral ne peut se l’attribuer en­tiè­re­ment. Tan­tôt égal à la , com­paré à la mon­tagne, rap­pro­ché du , as­si­milé à l’ouragan, tan­tôt phi­lo­sophe, re­dres­seur des abus du siècle, pro­fes­seur d’histoire et guide , tan­tôt chargé d’apitoyer le sur la femme, de le mettre à ge­noux de­vant le vieillard pour le vé­né­rer et de­vant l’enfant pour le conso­ler, il fut je ne sais quel suc­cé­dané de la . Avec sa , c’est un monde cy­clo­péen d’idées et d’impressions qui est parti, un conti­nent de gra­nit qui s’est dé­ta­ché et a roulé avec fra­cas au fond des abîmes. «Qui pour­rait dire : “J’aime ceci ou cela dans Hugo”?», dit Édouard Dru­mont 1. «Comme l’océan, comme la mon­tagne, comme la fo­rêt, ce éveille l’idée de l’. Ce qu’on aime dans l’océan, ce n’est point une vague, ce sont des vagues in­ces­sam­ment re­nou­ve­lées; ce qu’on aime dans la fo­rêt, ce n’est point un arbre ou une feuille, ce sont ces mil­liers d’ et ces mil­liers de feuilles qui confondent leur ver­dure et leur bruit.»

  1. «Vic­tor Hugo de­vant l’opinion», p. 104. Icône Haut