Il s’agit des « Misérables » et autres œuvres de Victor Hugo (XIXe siècle). Il faut reconnaître que Hugo est non seulement le premier en rang des écrivains de langue française, depuis que cette langue a été fixée ; mais le seul qui ait un droit vraiment absolu à ce titre d’écrivain dans sa pleine acception. Toutes les catégories de l’histoire littéraire se trouvent en lui déjouées. La critique qui voudrait démêler cette figure titanique, stupéfiante, tenant quelque chose de la divinité, est en présence du problème le plus insoluble. Fut-il poète, romancier ou penseur ? Fut-il spiritualiste ou réaliste ? Il fut tout cela et plus encore. Nouveau don Quichotte, cet homme est allé porter ses pas sur tous les chemins de l’esprit, monter sur toutes les barricades qu’il rencontrait, soutien des faibles et pourfendeur des tyrans, sonneur de clairons et amant de la violette ; si bien qu’aucune des familles qui se partagent l’espèce humaine au physique et au moral ne peut se l’attribuer entièrement. Tantôt égal à la mer, comparé à la montagne, rapproché du soleil, assimilé à l’ouragan, tantôt philosophe, redresseur des abus du siècle, professeur d’histoire et guide politique, tantôt chargé d’apitoyer le monde sur la femme, de le mettre à genoux devant le vieillard pour le vénérer et devant l’enfant pour le consoler, il fut je ne sais quel succédané de la nature. Avec sa mort, c’est un monde cyclopéen d’idées et d’impressions qui est parti, un continent de granit qui s’est détaché et a roulé avec fracas au fond des abîmes. « Qui pourrait dire : “J’aime ceci ou cela dans Hugo” ? », dit Édouard Drumont 1. « Comme l’océan, comme la montagne, comme la forêt, ce génie éveille l’idée de l’infini. Ce qu’on aime dans l’océan, ce n’est point une vague, ce sont des vagues incessamment renouvelées ; ce qu’on aime dans la forêt, ce n’est point un arbre ou une feuille, ce sont ces milliers d’arbres et ces milliers de feuilles qui confondent leur verdure et leur bruit. »
Hugo, « Les Misérables. Tome III »
Il s’agit des « Misérables » et autres œuvres de Victor Hugo (XIXe siècle). Il faut reconnaître que Hugo est non seulement le premier en rang des écrivains de langue française, depuis que cette langue a été fixée ; mais le seul qui ait un droit vraiment absolu à ce titre d’écrivain dans sa pleine acception. Toutes les catégories de l’histoire littéraire se trouvent en lui déjouées. La critique qui voudrait démêler cette figure titanique, stupéfiante, tenant quelque chose de la divinité, est en présence du problème le plus insoluble. Fut-il poète, romancier ou penseur ? Fut-il spiritualiste ou réaliste ? Il fut tout cela et plus encore. Nouveau don Quichotte, cet homme est allé porter ses pas sur tous les chemins de l’esprit, monter sur toutes les barricades qu’il rencontrait, soutien des faibles et pourfendeur des tyrans, sonneur de clairons et amant de la violette ; si bien qu’aucune des familles qui se partagent l’espèce humaine au physique et au moral ne peut se l’attribuer entièrement. Tantôt égal à la mer, comparé à la montagne, rapproché du soleil, assimilé à l’ouragan, tantôt philosophe, redresseur des abus du siècle, professeur d’histoire et guide politique, tantôt chargé d’apitoyer le monde sur la femme, de le mettre à genoux devant le vieillard pour le vénérer et devant l’enfant pour le consoler, il fut je ne sais quel succédané de la nature. Avec sa mort, c’est un monde cyclopéen d’idées et d’impressions qui est parti, un continent de granit qui s’est détaché et a roulé avec fracas au fond des abîmes. « Qui pourrait dire : “J’aime ceci ou cela dans Hugo” ? », dit Édouard Drumont 1. « Comme l’océan, comme la montagne, comme la forêt, ce génie éveille l’idée de l’infini. Ce qu’on aime dans l’océan, ce n’est point une vague, ce sont des vagues incessamment renouvelées ; ce qu’on aime dans la forêt, ce n’est point un arbre ou une feuille, ce sont ces milliers d’arbres et ces milliers de feuilles qui confondent leur verdure et leur bruit. »
Hugo, « Les Misérables. Tome II »
Il s’agit des « Misérables » et autres œuvres de Victor Hugo (XIXe siècle). Il faut reconnaître que Hugo est non seulement le premier en rang des écrivains de langue française, depuis que cette langue a été fixée ; mais le seul qui ait un droit vraiment absolu à ce titre d’écrivain dans sa pleine acception. Toutes les catégories de l’histoire littéraire se trouvent en lui déjouées. La critique qui voudrait démêler cette figure titanique, stupéfiante, tenant quelque chose de la divinité, est en présence du problème le plus insoluble. Fut-il poète, romancier ou penseur ? Fut-il spiritualiste ou réaliste ? Il fut tout cela et plus encore. Nouveau don Quichotte, cet homme est allé porter ses pas sur tous les chemins de l’esprit, monter sur toutes les barricades qu’il rencontrait, soutien des faibles et pourfendeur des tyrans, sonneur de clairons et amant de la violette ; si bien qu’aucune des familles qui se partagent l’espèce humaine au physique et au moral ne peut se l’attribuer entièrement. Tantôt égal à la mer, comparé à la montagne, rapproché du soleil, assimilé à l’ouragan, tantôt philosophe, redresseur des abus du siècle, professeur d’histoire et guide politique, tantôt chargé d’apitoyer le monde sur la femme, de le mettre à genoux devant le vieillard pour le vénérer et devant l’enfant pour le consoler, il fut je ne sais quel succédané de la nature. Avec sa mort, c’est un monde cyclopéen d’idées et d’impressions qui est parti, un continent de granit qui s’est détaché et a roulé avec fracas au fond des abîmes. « Qui pourrait dire : “J’aime ceci ou cela dans Hugo” ? », dit Édouard Drumont 1. « Comme l’océan, comme la montagne, comme la forêt, ce génie éveille l’idée de l’infini. Ce qu’on aime dans l’océan, ce n’est point une vague, ce sont des vagues incessamment renouvelées ; ce qu’on aime dans la forêt, ce n’est point un arbre ou une feuille, ce sont ces milliers d’arbres et ces milliers de feuilles qui confondent leur verdure et leur bruit. »
Hugo, « Les Misérables. Tome I »
Il s’agit des « Misérables » et autres œuvres de Victor Hugo (XIXe siècle). Il faut reconnaître que Hugo est non seulement le premier en rang des écrivains de langue française, depuis que cette langue a été fixée ; mais le seul qui ait un droit vraiment absolu à ce titre d’écrivain dans sa pleine acception. Toutes les catégories de l’histoire littéraire se trouvent en lui déjouées. La critique qui voudrait démêler cette figure titanique, stupéfiante, tenant quelque chose de la divinité, est en présence du problème le plus insoluble. Fut-il poète, romancier ou penseur ? Fut-il spiritualiste ou réaliste ? Il fut tout cela et plus encore. Nouveau don Quichotte, cet homme est allé porter ses pas sur tous les chemins de l’esprit, monter sur toutes les barricades qu’il rencontrait, soutien des faibles et pourfendeur des tyrans, sonneur de clairons et amant de la violette ; si bien qu’aucune des familles qui se partagent l’espèce humaine au physique et au moral ne peut se l’attribuer entièrement. Tantôt égal à la mer, comparé à la montagne, rapproché du soleil, assimilé à l’ouragan, tantôt philosophe, redresseur des abus du siècle, professeur d’histoire et guide politique, tantôt chargé d’apitoyer le monde sur la femme, de le mettre à genoux devant le vieillard pour le vénérer et devant l’enfant pour le consoler, il fut je ne sais quel succédané de la nature. Avec sa mort, c’est un monde cyclopéen d’idées et d’impressions qui est parti, un continent de granit qui s’est détaché et a roulé avec fracas au fond des abîmes. « Qui pourrait dire : “J’aime ceci ou cela dans Hugo” ? », dit Édouard Drumont 1. « Comme l’océan, comme la montagne, comme la forêt, ce génie éveille l’idée de l’infini. Ce qu’on aime dans l’océan, ce n’est point une vague, ce sont des vagues incessamment renouvelées ; ce qu’on aime dans la forêt, ce n’est point un arbre ou une feuille, ce sont ces milliers d’arbres et ces milliers de feuilles qui confondent leur verdure et leur bruit. »
Béliaev, « La Tête du professeur Dowell : roman »
Il s’agit du roman « La Tête du professeur Dowell » d’Alexandre Béliaev 1, un des seuls écrivains soviétiques à avoir consacré toute son œuvre à la science-fiction. Il y a un épisode tragique dans la vie de Béliaev sans lequel nous ne comprendrions jamais que la moitié de cet écrivain ; sans lequel un côté de cet homme nous échapperait toujours. Un après-midi, le garçon qui portait le prénom ordinaire d’Alexandre, eut le désir extraordinaire de s’envoler dans les airs. Aussitôt décidé, aussitôt fait. Il attacha des balais à ses bras, monta sur le toit de la grange, et presque sans hésitation… sauta en bas. Loin de trouver le saut désagréable, il en fit, tout excité, un second et un troisième ; mais au dernier, il se fractura la colonne vertébrale et fut cloué au lit. Il sembla en voie de guérison ; mais en 1916 se déclara une tuberculose osseuse — maladie grave, dont les attaques douloureuses l’obligèrent à porter un corset orthopédique jusqu’à la fin de sa vie. Rien ne put arrêter, cependant, l’envol de son imagination. Affranchir les hommes des limites que la nature leur a posées, dans l’espoir — illusoire sans doute — que cet affranchissement les rendrait maîtres de leur destin, telle fut l’ambition de Béliaev enfermé entre les quatre murs de sa chambre d’hôpital. Ainsi, « La Tête du professeur Dowell » (« Golova professora Doouélia » 2) débarrasse l’esprit humain du corps ; « L’Homme qui ne dort jamais » (« Tchélovek, kotoryi né spit » 3) le libère du sommeil ; « Le Maître du monde » (« Vlastéline mira » 4) envisage la brillante perspective de l’homme devenu télépathe ; « L’Homme amphibie » (« Tchélovek-amfibia » 5) décrit le premier poisson parmi les hommes ou le premier homme parmi les poissons : « L’idée est toujours la même », dit Béliaev dans ce roman, son plus important et son plus célèbre, « l’être humain n’est pas parfait. Tout en ayant acquis au cours de l’évolution bon nombre d’avantages en comparaison de ses prédateurs animaux, [il] a dans le même temps perdu beaucoup de ce qu’il possédait dans les stades plus anciens de son développement… Pourquoi ne pas rendre à l’être humain [ces] facultés ? »
Gorgâni, « Le Roman de “Wîs et Râmîn” »
éd. Les Belles Lettres, coll. UNESCO d’œuvres représentatives-Traduction de textes persans, Paris
Il s’agit du « Wîs et Râmîn » 1 de Fakhr-od-Dîn As’ad Gorgâni 2. Gorgâni est le créateur du roman courtois en langue persane. On doit reconnaître que souvent les préciosités et l’afféterie qui dominent son style l’ont desservi, mais il serait injuste de le confondre avec les auteurs à peu près oubliés. Il a beaucoup de leurs défauts, mais ils n’ont aucune de ses beautés. Le « Wîs et Râmîn » servit à embellir les œuvres de Nezâmî et de Roûmî. Peut-on douter qu’un homme qui rendit ce service n’eût quelque génie ? « Si tu es Râmîn », dit Roûmî 3, « ne cherche rien d’autre que ta Wîs ! C’est ton “moi” essentiel qui est ta Wîs et ta bien-aimée, et toutes ces choses extérieures ne sont pour toi que calamité. » Voici en quelle occasion Gorgâni composa ce roman qui offre de grandes analogies avec un autre roman que ses versions en diverses langues ont rendu célèbre en Occident : « Tristan et Iseut ». Entre les années 1049 et 1055, Gorgâni se rendit dans la ville d’Ispahan, à la requête d’Abou’l-Fath, gouverneur de cette ville 4. Abou’l-Fath adressa la parole au poète, qui s’en trouva très honoré, et il lui dit : « Reste avec nous cet hiver et ne pense pas au Kouhestân. Au printemps, quand l’univers se rénovera, quand l’atmosphère s’adoucira, tu t’en iras ; je te ferai cadeau du nécessaire, rien ne te manquera ». Un mois après, il lui dit : « Quel est ton avis sur la légende de “Wîs et Râmîn” ? On dit que c’est une fort belle chose ; dans ce pays, tous l’aiment ». Gorgâni répondit : « En effet, c’est une fort jolie légende, colligée par six érudits. Je ne connais pas meilleure histoire ; on dirait un charmant jardin. Mais elle est écrite en langue pehlvi 5, et ceux qui la lisent ne peuvent l’expliquer ; car un chacun ne lit pas bien cette langue, et si même il la lit bien, il n’en comprend pas le sens… Mais si un écrivain capable s’y appliquait, cette histoire serait aussi belle qu’un trésor plein de joyaux, car elle est renommée, possède originalités sans nombre en ses diverses parties ». Ayant entendu ce discours, Abou’l-Fath demanda au poète d’aller écrire cette légende avec la plume de l’éloquence, la faire vivre par son souffle, l’animer de métaphores enchâssées çà et là dans le récit « comme des perles dignes des rois enchâssées dans l’or »
- En persan « ویس و رامین ». Parfois traduit « Veïs et Ramin », « Veïçeh et Ramin », « Wéissé et Ramin », « Weise et Ramin », « Veisse et Ramin », « Viz et Ramin », « Vis et Raminn » ou « Wis et Râmmin ».
- En persan فخرالدین اسعد گرگانی. Parfois transcrit Faḵr al-Din As‘ad Gorgāni, Fachr-uddīn As’ad Dschurdschānī, Fakhr Eddin Essaad Djourdjani, Fakhr-uddin Asad Jurjani, Fakhroddin Asaad Gorgani, Fakhr ad-Din Asad Gurgāni ou Fakhré-aldin-assad Gorgâni.
- « Mathnawî », liv. III, v. 228-229.
- Le même que celui décrit dans le « Safar-nâmeh » : « Le sultan Togrul Beg le Seldjoukide (que Dieu lui fasse miséricorde !) avait établi comme gouverneur à Ispahan, après qu’il s’en fut rendu maître, un homme encore jeune, originaire de Nichapour et qui avait une grande habileté comme secrétaire et comme calligraphe ; son caractère était calme et sa physionomie agréable » (p. 253-254).
- Ancienne langue de l’Iran, formée par le mélange de l’idiome des Perses (peuple aryen) et des Babyloniens (peuple sémitique).
Ayyûqî, « Le Roman de “Varqe et Golšâh” »
dans « Arts asiatiques », vol. 22, p. 1-264
Il s’agit du « Varqe et Golšâh » (« Varqe va Golšâh » 1), le premier roman d’amour persan (XIe siècle apr. J.-C.). Jusqu’à récemment, les orientalistes se demandaient si le « Varqe et Golšâh » avait jamais été mis par écrit, ou s’il avait uniquement existé à l’état de tradition orale ; de l’auteur, ils ignoraient même le nom. Mais la découverte récente d’un manuscrit de l’ouvrage au Palais de Topkapı, à Istanbul, mit fin aux incertitudes et aux doutes. Il s’ouvre par le panégyrique d’un certain sultan Mahmûd, auquel il est dédié :
« Ô Ayyûqî, si tu as quelque intelligence et quelque entendement
Mets-les au service de l’art du panégyrique
Recherche de tout cœur la bienveillance [du] sultan [conquérant]
Chante de toute ton âme la louange de sultan Mahmûd » 2.
Le poète, dont le nom ou le surnom est Ayyûqî 3, ainsi que le montre cet extrait, a mis en vers un récit pour le présenter au souverain. C’est celui de deux jeunes gens nés le même jour et élevés ensemble, qui s’éprennent l’un de l’autre, puis qui sont séparés par des différences de rang et de situation, et réunis après de terribles épreuves. Le poète dit lui-même que « cette histoire étonnante [est] prise des histoires en langue arabe et des livres arabes » ; et en effet, une histoire analogue, mais beaucoup moins développée, est rapportée dans le « Livre des chants » d’Abû al-Faraj. Le style du roman persan est coulant, marqué par les répétitions, émaillé d’expressions d’allure populaire ; c’est probablement la raison de son succès dans les pays turcophones, auquel il doit sa survie. « Une analyse rapide montre qu’Ayyûqî l’a… tissé de thèmes que l’on retrouve ailleurs, par exemple dans le… roman courtois le plus ancien, “Wîs et Râmîn”, composé par Gorgâni vers le milieu du XIe siècle. Les deux romans relatent l’aventure d’adolescents qui s’éprennent d’amour pour avoir été élevés ensemble. Chaque fois, la jeune fille est donnée en mariage à un prince qu’elle n’aime point, pour des raisons de convenance, et se soustrait à l’acte nuptial. On retrouve l’anecdote du souverain à qui on l’a refusée, et qui l’enlève. Celle du jeune amant qui part en quête de l’aimée et parvient au château où elle est retenue », dit M. Assadullah Souren Melikian-Chirvani
Asadî de Ṭoûs, « Le Livre de Gerchâsp : poème persan. Tome II »
éd. P. Geuthner, coll. Publications de l’École nationale des langues orientales vivantes, Paris
Il s’agit du « Livre de Gerchâsp » (« Gerchâsp-nâmè » 1), épopée iranienne (XIe siècle apr. J.-C.). Firdousi n’avait pas épuisé toute la masse de souvenirs qui s’étaient conservés sur la chronologie des rois de l’Iran, sur leurs généalogies, sur leurs expéditions et sur leurs biographies ; son « Livre des rois », parce qu’il touchait vivement et directement un sentiment national, trouva une foule d’imitateurs. Presque tous les héros dont Firdousi avait parlé, ainsi que quelques autres qu’il avait négligés, devinrent les sujets d’épopées secondaires, écrites par on ne sait trop qui et on ne sait trop quand. « La longueur excessive de quelques-uns de ces ouvrages prouve non seulement l’abondance des matériaux qui existaient encore, mais aussi l’intérêt que le peuple y mettait : car ces interminables aventures, racontées sans art et sans grâce, n’auraient trouvé ni lecteurs ni auditeurs, si l’intérêt du fond n’eût pas fait supporter la médiocrité de la forme », dit Jules Mohl 2. « Le Livre de Gerchâsp » d’Asadî de Ṭoûs 3 fut la seule épopée de ce cycle secondaire à se rendre illustre et à faire conserver le nom de son auteur. La supériorité de son art est du côté de la description du tumulte des guerres, de la dévastation, du carnage, des feux de l’incendie. Asadî de Ṭoûs fournit quelques détails sur les motifs qui lui firent entreprendre son poème. Il raconte qu’il cherchait un moyen pour que son nom fût connu, lorsque deux personnages vinrent l’exhorter en lui disant : « Firdousi de Ṭoûs, ce cerveau pur, a rendu justice aux discours élégants. Il a orné le monde en écrivant le “Livre des Rois” ; il a cherché la gloire en composant ce poème. Tu es son compatriote, et de même profession : tu as, dans ton discours, des pensées alertes. Au moyen de ce vieux livre qui est notre compagnon, mets en vers une histoire… ! Par la science, tu créeras ainsi un gai jardin qui ne sera jamais vide de fruits. Le monde ne dure éternellement pour personne ; la meilleure chose à en conserver, c’est la bonne renommée, et c’est assez » 4. Il conçut dès lors l’ambition d’égaler ou de surpasser Firdousi.
- En persan « گرشاسپنامه ». Parfois transcrit « Guerschasp-nameh », « Karšāsp-nāmah », « Garšāsb-nāma » ou « Garshaspnama ».
- « Préface au “Livre des rois. Tome I” », p. LXII.
Asadî de Ṭoûs, « Le Livre de Gerchâsp : poème persan. Tome I »
éd. P. Geuthner, coll. Publications de l’École nationale des langues orientales vivantes, Paris
Il s’agit du « Livre de Gerchâsp » (« Gerchâsp-nâmè » 1), épopée iranienne (XIe siècle apr. J.-C.). Firdousi n’avait pas épuisé toute la masse de souvenirs qui s’étaient conservés sur la chronologie des rois de l’Iran, sur leurs généalogies, sur leurs expéditions et sur leurs biographies ; son « Livre des rois », parce qu’il touchait vivement et directement un sentiment national, trouva une foule d’imitateurs. Presque tous les héros dont Firdousi avait parlé, ainsi que quelques autres qu’il avait négligés, devinrent les sujets d’épopées secondaires, écrites par on ne sait trop qui et on ne sait trop quand. « La longueur excessive de quelques-uns de ces ouvrages prouve non seulement l’abondance des matériaux qui existaient encore, mais aussi l’intérêt que le peuple y mettait : car ces interminables aventures, racontées sans art et sans grâce, n’auraient trouvé ni lecteurs ni auditeurs, si l’intérêt du fond n’eût pas fait supporter la médiocrité de la forme », dit Jules Mohl 2. « Le Livre de Gerchâsp » d’Asadî de Ṭoûs 3 fut la seule épopée de ce cycle secondaire à se rendre illustre et à faire conserver le nom de son auteur. La supériorité de son art est du côté de la description du tumulte des guerres, de la dévastation, du carnage, des feux de l’incendie. Asadî de Ṭoûs fournit quelques détails sur les motifs qui lui firent entreprendre son poème. Il raconte qu’il cherchait un moyen pour que son nom fût connu, lorsque deux personnages vinrent l’exhorter en lui disant : « Firdousi de Ṭoûs, ce cerveau pur, a rendu justice aux discours élégants. Il a orné le monde en écrivant le “Livre des Rois” ; il a cherché la gloire en composant ce poème. Tu es son compatriote, et de même profession : tu as, dans ton discours, des pensées alertes. Au moyen de ce vieux livre qui est notre compagnon, mets en vers une histoire… ! Par la science, tu créeras ainsi un gai jardin qui ne sera jamais vide de fruits. Le monde ne dure éternellement pour personne ; la meilleure chose à en conserver, c’est la bonne renommée, et c’est assez » 4. Il conçut dès lors l’ambition d’égaler ou de surpasser Firdousi.
- En persan « گرشاسپنامه ». Parfois transcrit « Guerschasp-nameh », « Karšāsp-nāmah », « Garšāsb-nāma » ou « Garshaspnama ».
- « Préface au “Livre des rois. Tome I” », p. LXII.
Voltaire, « Correspondance. Tome I. 1704-1738 »
Il s’agit de la « Correspondance » de Voltaire, la meilleure, la plus délicieuse de toutes les correspondances ; celle qui fut à elle seule l’esprit de l’Europe (XVIIIe siècle). « En recommandant la lecture de Voltaire », dit un critique 1, « j’avoue mes préférences. S’il fallait sacrifier quelque chose de lui, je donnerais les tragédies et les comédies pour garder les petits vers ; s’il fallait sacrifier encore quelque chose, je donnerais plutôt les histoires, toutes charmantes qu’elles sont, que les romans ; …mais enfin il y a une chose que je ne me déciderais jamais à livrer, c’est la “Correspondance” ». En effet, de tous les genres littéraires dont s’occupa Voltaire, celui où il fut le plus original ; celui où il eut un ton que personne ne lui avait donné, et que tout le monde voulut imiter ; celui, enfin, où il domina, de l’aveu même des jaloux qui consentent quelquefois à reconnaître un mérite unanimement reconnu, c’est le genre épistolaire. On y trouve l’ensemble et la perfection de tous les styles ; on y trouve la facilité brillante d’un esprit aussi supérieur aux sujets qu’il traite, qu’aux gens à qui il s’adresse : « Quel génie se joue dans ses poésies et ses plaisanteries et ses lettres immortelles ! Or, tout ce qu’on admire dans les deux premières se retrouve dans les lettres avec une inépuisable abondance : vers faciles, railleries charmantes à propos de tous les personnages et de tous les événements qui ont passé, dans ce siècle agité, devant cet esprit curieux… Ce qu’il peut se succéder, pendant plus de soixante ans, d’amours, de haines, de plaisirs, de douleurs, de colères, dans une âme singulièrement impressionnable et mobile, est exprimé là au vif… chaque sentiment entier occupant toute l’âme, comme s’il devait durer éternellement, puis effacé tout à coup par un autre… ; variété inépuisable des sujets qui passent sous cette plume légère ; séductions d’un esprit enchanteur qui veut plaire et invente pour plaire les tours les plus délicats, toujours aimable, toujours nouveau. Tout cela forme un des spectacles les plus attrayants qu’on puisse avoir en ce monde », dit le même critique. De tous les hommes célèbres dont on a imprimé les lettres après leur mort, Voltaire est le premier qui ait écrit à la fois en écrivain et en homme du monde, et qui ait montré qu’il est aussi naturellement l’un que l’autre. Son talent, qui peut être inégal dans ses grands ouvrages, est toujours parfait dans ses jeux, quand sa plume court avec une rapidité, une négligence, qui n’appartiennent qu’à lui.
« Élégies de Chu, “Chu ci” »
éd. Gallimard, coll. Connaissance de l’Orient, Paris
Il s’agit des « Élégies de Chu » (« Chu ci » 1), recueil chinois de vingt-cinq élégies ou poésies lyriques, dont les plus célèbres furent composées par Qu Yuan 2 (IIIe siècle av. J.-C.) et par son disciple Song Yu 3 (IIe siècle av. J.-C.). Au point de vue de la forme, les « Élégies de Chu » se distinguent par le retour invariable d’une sorte d’interjection plaintive, « xi ! » 4, qui se répète tous les deux vers. Quant au fond, elles n’ont d’autre but que celui d’exhaler des plaintes, et de reprocher au roi de Chu la faute qu’il commit en congédiant Qu Yuan. On raconte que ce malheureux poète avait une conduite exemplaire ; c’est pourquoi il aima mieux mourir que de rester dans l’entourage corrompu du roi. Il s’en éloigna donc, et parvenu aux bords de la rivière Mi Luo 5, il erra longtemps se parlant à lui-même : il avait dénoué ses cheveux en signe de deuil et les laissait tomber sur son visage amaigri. Un pêcheur le rencontrant dans cet état lui dit : « N’es-tu pas celui que l’on croyait un des plus grands de l’Empire ? Comment donc en es-tu réduit à une pareille situation ? » Qu Yuan répondit : « Le monde entier est dans le désordre ; moi seul, j’ai conservé ma pureté. Tous se sont assoupis dans l’ivresse ; moi seul, je suis resté vigilant. Voilà pourquoi je suis exilé ». Le pêcheur dit : « Le véritable sage ne se laisse embarrasser par aucune chose et sait vivre avec son siècle. Si le monde entier est dans le désordre, pourquoi ne sais-tu pas t’en accommoder ?… » Qu Yuan répondit : « J’ai entendu dire que celui qui vient de se purifier dans un bain, prend soin de secouer la poussière de son bonnet et de changer de vêtements. Quel homme voudrait donc, quand il est pur, se laisser souiller au contact de ce qui ne l’est pas ? J’aime mieux chercher la mort dans les eaux de cette rivière et servir de pâture aux poissons… » Il écrivit alors un dernier poème, et serrant une grosse pierre contre sa poitrine, il se précipita dans la rivière Mi Luo.
« L’Œuvre de la poétesse vietnamienne Hồ-Xuân-Hương »
éd. École française d’Extrême-Orient, coll. Textes et Documents sur l’Indochine-Textes nôm, Paris
Il s’agit de Hồ Xuân Hương, poétesse non conformiste vietnamienne (XIXe siècle). Sa jeunesse bouillonnante de sève, son rire espiègle et insouciant, l’habileté de ses compositions dont le sens est généralement double — un sens manifeste, peu critiquable au point de vue de la morale, et un sens parallèle, en filigrane, d’un érotisme extrême —, son goût et son talent enfin dans l’emploi de la langue populaire, suffisent pour que les Vietnamiens la chérissent comme la gamine la plus spirituelle de leur littérature nationale. « On aurait dit une fille qui, retroussant sa jupe, barboterait dans une mare », dit un critique 1. La légende raconte 2 que ses parents moururent de bonne heure, et qu’elle et sa sœur se partagèrent l’héritage, qui était considérable. Hồ Xuân Hương, avec sa part, construisit un riche jardin où se voyaient trois beaux pavillons. Ce jardin était entouré de viviers ; et devant les pavillons, il y avait toutes sortes d’arbustes taillés et de pierres recouvertes d’inscriptions. Là, elle tenait des concours poétiques et proposait de choisir pour mari celui qui réussirait à la vaincre. Cependant, aucun ne le put. Quoique ses vers licencieux soient condamnés unanimement par les moralistes, Hồ Xuân Hương y est poussée non par un penchant vers de mauvaises mœurs, mais par la tournure même de son esprit littéraire, comme jadis la poétesse Sappho dans ses sublimes compositions. Si l’on pénètre au fond des choses, ne découvre-t-on pas, chez cette femme de lettres, une âme à la fois souveraine, saine, robuste, d’une sensualité frémissante :
« Mon corps est comme le fruit du jaquier sur l’arbre.
Son écorce est rugueuse, sa pulpe épaisse ;
Seigneur, si vous l’aimez, plantez-y votre coin,
Mais, je vous prie, ne le palpez pas pour qu’il vous englue les mains »
- « Histoire de Hồ Xuân Hương » dans « Contes et Légendes annamites ».
Blaga, « Manole, Maître bâtisseur : drame en cinq actes »
éd. Librairie bleue, coll. Théâtre, Troyes
Il s’agit de « Manole, Maître bâtisseur » (« Meșterul Manole ») de Lucian Blaga, poète, dramaturge et philosophe roumain, dont l’œuvre sublime se résume en un vers : « Je crois que l’éternité est née au village » 1. Né en 1895 au village de Lancrăm, dont le nom, dit-il, rappelle « la sonorité des larmes » (« sunetele lacrimei »), fils d’un prêtre orthodoxe, Blaga fit son entrée à l’Académie roumaine sans prononcer, comme de coutume, l’éloge de son prédécesseur. Son discours de réception fut un éloge du village romain, comme le fut aussi toute son œuvre. Pour l’auteur de « L’Âme du village » (« Sufletul satului »), les paysages campagnards, les chemins de terre et de boue sont « le seuil du monde » (« prag de lume »), le village-idée d’où partent les vastes horizons de la création artistique et poétique. Les regards rêveurs des paysans sondent l’univers, se perdant dans l’infini. L’homme de la ville au contraire vit « dans le fragment, la relativité, le concret mécanique, dans une tristesse constante et dans une superficialité lucide ». Cet éloge de l’âme du village comme creuset, comme âme de la nation est doublé de l’angoisse devant le mystère de ce que Blaga appelle « le Grand Anonyme » (« Marele Anonim »), c’est-à-dire Dieu. Face à cette angoisse-là, la solution qu’il ébauche, en s’inspirant des romantiques allemands, passe par le sacrifice de l’individu en tant qu’individu au profit d’une spiritualité collective, anonyme et spontanée. Puisque les grandes questions du monde restent sans réponse, la sagesse serait de se taire et de se fondre avec la terre dans les sillons de l’éternité :
« Regarde, c’est le soir », dit Blaga 2.
« L’âme du village palpite près de nous
Comme une odeur timide d’herbe coupée,
Comme une chute de fumée des avant-toits de paille… »
- Dans Constantin Ciopraga, « La Personnalité de la littérature roumaine ».