Il s’agit du « Sùphàt » 1 de M. Rim Kin 2, ancêtre des lettres modernes du Cambodge, romancier d’expression khmère et française, président de l’Association des écrivains khmers. M. Rim Kin naquit en 1911 dans une famille « khmère krom », c’est-à-dire originaire du Viêt-nam. Son nom véritable était Kim Kin, mais suite à une faute d’écriture du chef de la commune, Kim se transforma en Rim. M. Rim Kin, donc, commença à écrire au collège Sisowath qui, destiné à toute l’Indochine, recevait beaucoup de jeunes Vietnamiens. Il joignit très tôt à ses talents d’écrivain une grande expérience du théâtre. En tant que comédien, il obtint du succès dans les « Fourberies de Scapin » et le « Médecin volant », joués en français, et le « Médecin malgré lui », joué en khmer. Il traduisit par ailleurs dans cette langue « Le Cid » de Corneille et « Sans famille » d’Hector Malot. Ce fut, sans doute, dans sa longue fréquentation du français que M. Rim Kin trouva le secret de ses phrases simples et élégantes, de sa langue claire et dépouillée. Dans sa dizaine de romans, il prêcha l’effort, la ténacité, l’aide donnée à son prochain comme sources de vraie richesse. Car il croyait au travail et en faisait la base de sa foi : « Il est bien vrai que les divinités secourent les humains », dit-il 3, « mais il faut aussi que les humains sachent se secourir eux-mêmes : se secourir, c’est s’appliquer constamment au travail, endurer courageusement l’adversité et la misère ». À cette époque, le Viêt-nam, riche en écrivains, publiait beaucoup, et les marchés de Phnom Penh étaient inondés de livres vietnamiens. Ce fut pour que les Cambodgiens « n’aient plus honte devant les étrangers », selon ses mots, que M. Rim Kin se mit à écrire en khmer. Son « Sùphàt », publié en 1938, marque la naissance du roman cambodgien. Ironie du sort, le livre fut imprimé à Saigon, et il fallut attendre le début de 1942 pour le voir enfin arriver à Phnom Penh.
vie intellectuelle
« Abou ṭ-Ṭayyib al-Motanabbî, un poète arabe du Xᵉ siècle : essai d’histoire littéraire »
Il s’agit d’Abou’ltayyib 1, surnommé Moténabbi 2, orgueilleux poète de Cour, rendu célèbre en servant différents princes arabes, en chantant leurs hauts faits et leurs bienfaits, en se brouillant avec eux, en se vengeant par des satires des louanges qu’il leur avait données auparavant. Ses poèmes ont quelquefois de la beauté dans leur éloquence ; mais, plus souvent encore, ils ne brillent que par ce singulier mélange d’insolence et de politesse, de bassesse et d’orgueil qui distingue les courtisans ; cet art de plaire aux grands en se moquant d’eux. Si l’on en croit ses rivaux, ce poète était le fils d’un simple porteur d’eau dans la ville de Koufa (en Irak), quoiqu’il se vantât beaucoup de sa noblesse. Dès sa jeunesse, il fut tourmenté par une ambition incommensurable, réconfortée par les succès de sa poésie, qui était payée très chèrement par les princes auxquels il s’attachait. Bientôt, la tête lui tourna, et il crut pouvoir passer à un aussi juste titre pour prophète en vers, que Mahomet l’avait été en prose ; cela lui valut le surnom de Moténabbi (« celui qui se prétend prophète »). Mais, enfin, quand il se vit dans l’impossibilité de réaliser cet idéal ; quand le temps et les occasions le détrompèrent en le rappelant à une vie si brève, si ordinaire, si fatalement humaine ; quand il songea que des pans entiers de son ambitieuse nature resteraient à jamais ensevelis dans l’ombre, ce fut un débordement d’une amertume sans pareille. « De là, cet amour-propre qui, au lieu de rechercher à bien faire pour gagner l’estime d’autrui et devenir altruisme, se transforme en égoïsme haineux et malveillant à l’égard des autres [ou en] joie quand ils ont échoué », dit M. Joseph Daher 3. Témoin les vers suivants où il dit aux hommes tout le mépris et toute la haine qu’ils lui inspirent : « Je critique les petites gens de ce siècle, car le plus docte d’entre eux est un crétin, le plus énergique un lâche, le plus noble un chien, le plus clairvoyant un aveugle, le plus vigilant un loir, et le plus courageux un singe ».
- En arabe أبو الطيب. Parfois transcrit Abou’l Tayib, Abou ṭ-Ṭayyib, Aboul Thaïeb ou Abū al-Ṭaiyib.
- En arabe المتنبي. Parfois transcrit Motanabbî, Motanabby, Moténabby, Motenabi, Motenebbi, Moutanabbi, Moutanabi, Mutanabi ou Mutanabbī.
- « Essai sur le pessimisme chez le poète arabe al-Mutanabbī », p. 54.
« Les Auteurs du printemps russe. Okoudjava • Vyssotski »
Il s’agit de Boulat Okoudjava 1 et de Vladimir Vyssotski 2, les chanteurs soviétiques les plus éminents, mais aussi les plus persécutés par la haine et par la sottise du régime. Ils restent à tout jamais comme un témoignage des humiliations et du désespoir infligés à tout un peuple par une tribu de bureaucrates bornés, effrayés par l’ombre de la vérité, terrorisés par la sincérité, traumatisés par le talent. Toutes les chansons de ces deux paroliers ont un point commun : elles révèlent, avec douleur, des pans entiers d’une « autre » histoire, non pas l’histoire officielle, écrite par le régime, mais celle vécue par des millions de gens — marins, aviateurs, paysans, étudiants, ouvriers d’usine — et jusque-là entièrement passée sous silence dans les publications. « Mes protagonistes ne sont pas de ces hauts personnages chers à l’histoire romancée, mais de petites gens, des obscurs, des médiocres. Ce type d’humanité me convient mieux », dit Okoudjava 3. « En règle générale, les grands ont conscience de leur grandeur… et jouent les coquettes pour la postérité… Les humbles, au contraire, conservent leur naturel et se tiennent sans affectation. Avec eux, tout est simple, aisé. Ils n’en laissent pas moins leur trace dans les événements, peuvent nous servir d’exemples, de mises en garde et de sources d’inspiration. » Un soir de tristesse et de solitude, Okoudjava errait à travers Moscou. Le hasard lui fit prendre le dernier trolleybus. Grâce à la présence silencieuse des autres voyageurs, des gens simples, il trouva un remède aux tourments de son âme, à la « biéda » 4 (« malheur ») :
« Quand je suis impuissant à vaincre le malheur,
Que le désespoir me guette,
Je prends en marche le trolley bleu,
Le dernier,
Au hasard.
Trolley de minuit, file par les rues,
Fais ta ronde au long des boulevards
Pour ramasser ceux qui, dans la nuit, ont fait
Naufrage,
Naufrage »
- En russe Булат Окуджава. Parfois transcrit Okudžava, Okudzhava, Okudschawa, Okudjava ou Okudzsava.
- En russe Владимир Высоцкий. Parfois transcrit Vissotski, Vissotsky, Vyssotsky, Vysotsky, Vısotski, Vısotskiy, Visocki, Vysockij, Wyssozki, Vysotski, Viszockij ou Wysocki.
Ibn al-Moqaffa, « Le Livre de “Kalila et Dimna” »
Il s’agit du « Kalila et Dimna » (« Kalîla wa Dimna » 1), ensemble de contes qui font l’admiration de l’Orient, et dont les animaux sont les principaux acteurs. Tous les éléments assurent à l’Inde l’honneur d’avoir donné naissance à ces contes : l’existence d’un recueil plus ancien, le « Pañcatantra », ne laisse aucun doute sur l’origine indienne ; et Firdousi confirme cette même origine dans son « Livre des rois », où il dit : « Il y a dans le trésor du radja un livre que les hommes de bien appellent “Pañcatantra”, et quand les hommes sont engourdis par l’ignorance, le “Pañcatantra” est comme l’herbe de leur résurrection… car il est le guide vers la [sagesse] » 2. Ce fut au VIe siècle apr. J.-C. que Noûchirévân le Juste 3, roi de Perse, engagea un médecin célèbre, Barzoui ou Barzouyèh 4, à rapporter de l’Inde, outre le « Pañcatantra », divers autres ouvrages du même genre. Après un long séjour dans l’Inde, Barzouyèh parvint à force de ruses et d’adresse à s’en procurer des exemplaires. Son premier soin fut aussitôt d’en composer un recueil en pehlvi, auquel il donna le nom de « Kalila et Dimna », parce que le récit des aventures de ces deux chacals en formait la principale partie. Cette version du « Kalila et Dimna » eut le sort de tout ce qui constituait la littérature persane au temps des Sassanides : elle fut détruite lors de la conquête de la Perse par les Arabes et sacrifiée au zèle aveugle des premiers musulmans. Au VIIIe siècle apr. J.-C., le peu qui échappa à la destruction fut traduit en arabe par un autre Persan, Ibn al-Moqaffa 5, avec tant de mérite et tant d’élégance, que ces mêmes musulmans l’accusèrent d’avoir travaillé, mais vainement, à imiter et même à surpasser le style du Coran. « Alors, arabe vraiment, le “Kalila”, ou iranien, indien même, en ses plus lointains refuges ? La réponse est à chercher dans l’histoire du livre. Et que nous dit-elle ? Qu’il est devenu, très vite, l’une des pièces essentielles d’un patrimoine, un livre-clef », dit M. André Miquel
- En arabe « كليلة ودمنة ». Parfois transcrit « Kolaïla ou Dimna » ou « Kalīlah wa Dimnah ».
- « Le Livre des rois ; traduit et commenté par Jules Mohl. Tome VI », p. 361.
- Surnom de Khosrow Ier, dit Chosroès le Grand, qui régna sur la Perse au VIe siècle apr. J.-C.
- En persan برزوی ou برزویه. Parfois transcrit Burzōy, Burzoyé, Burzōē, Borzūya, Burzuyah, Borzoueh, Borzouyeh, Borziyeh ou Berzouyèh.
- En arabe بن المقفع. Autrefois transcrit Ibn al-Muqaffa‘, Ibn Muqafaa, Ibn Moqafaa’, Ebn-almoukaffa, Ibn al-Mukaffâ, Ibn al-Moḳaffa‘, Ibn al-Mouqaffa’, Ibn al Mouqafaa, Aben Mochafa, Ebn-almocaffa ou Ebn-almokaffa. Par suite d’une faute, بن المقنع, transcrit Ebn-almocanna, Ebn Mocannaa, Ben Mocannâ ou Ben Mocannaah.
Hugo, « Le Rhin. Tome I »
Il s’agit du « Rhin » et autres œuvres de Victor Hugo (XIXe siècle). Il faut reconnaître que Hugo est non seulement le premier en rang des écrivains de langue française, depuis que cette langue a été fixée ; mais le seul qui ait un droit vraiment absolu à ce titre d’écrivain dans sa pleine acception. Toutes les catégories de l’histoire littéraire se trouvent en lui déjouées. La critique qui voudrait démêler cette figure titanique, stupéfiante, tenant quelque chose de la divinité, est en présence du problème le plus insoluble. Fut-il poète, romancier ou penseur ? Fut-il spiritualiste ou réaliste ? Il fut tout cela et plus encore. Nouveau don Quichotte, cet homme est allé porter ses pas sur tous les chemins de l’esprit, monter sur toutes les barricades qu’il rencontrait, soutien des faibles et pourfendeur des tyrans, sonneur de clairons et amant de la violette ; si bien qu’aucune des familles qui se partagent l’espèce humaine au physique et au moral ne peut se l’attribuer entièrement. Tantôt égal à la mer, comparé à la montagne, rapproché du soleil, assimilé à l’ouragan, tantôt philosophe, redresseur des abus du siècle, professeur d’histoire et guide politique, tantôt chargé d’apitoyer le monde sur la femme, de le mettre à genoux devant le vieillard pour le vénérer et devant l’enfant pour le consoler, il fut je ne sais quel succédané de la nature. Avec sa mort, c’est un monde cyclopéen d’idées et d’impressions qui est parti, un continent de granit qui s’est détaché et a roulé avec fracas au fond des abîmes. « Qui pourrait dire : “J’aime ceci ou cela dans Hugo” ? », dit Édouard Drumont 1. « Comme l’océan, comme la montagne, comme la forêt, ce génie éveille l’idée de l’infini. Ce qu’on aime dans l’océan, ce n’est point une vague, ce sont des vagues incessamment renouvelées ; ce qu’on aime dans la forêt, ce n’est point un arbre ou une feuille, ce sont ces milliers d’arbres et ces milliers de feuilles qui confondent leur verdure et leur bruit. »
Hugo, « Quatre-vingt-treize »
Il s’agit de « Quatre-vingt-treize » et autres œuvres de Victor Hugo (XIXe siècle). Il faut reconnaître que Hugo est non seulement le premier en rang des écrivains de langue française, depuis que cette langue a été fixée ; mais le seul qui ait un droit vraiment absolu à ce titre d’écrivain dans sa pleine acception. Toutes les catégories de l’histoire littéraire se trouvent en lui déjouées. La critique qui voudrait démêler cette figure titanique, stupéfiante, tenant quelque chose de la divinité, est en présence du problème le plus insoluble. Fut-il poète, romancier ou penseur ? Fut-il spiritualiste ou réaliste ? Il fut tout cela et plus encore. Nouveau don Quichotte, cet homme est allé porter ses pas sur tous les chemins de l’esprit, monter sur toutes les barricades qu’il rencontrait, soutien des faibles et pourfendeur des tyrans, sonneur de clairons et amant de la violette ; si bien qu’aucune des familles qui se partagent l’espèce humaine au physique et au moral ne peut se l’attribuer entièrement. Tantôt égal à la mer, comparé à la montagne, rapproché du soleil, assimilé à l’ouragan, tantôt philosophe, redresseur des abus du siècle, professeur d’histoire et guide politique, tantôt chargé d’apitoyer le monde sur la femme, de le mettre à genoux devant le vieillard pour le vénérer et devant l’enfant pour le consoler, il fut je ne sais quel succédané de la nature. Avec sa mort, c’est un monde cyclopéen d’idées et d’impressions qui est parti, un continent de granit qui s’est détaché et a roulé avec fracas au fond des abîmes. « Qui pourrait dire : “J’aime ceci ou cela dans Hugo” ? », dit Édouard Drumont 1. « Comme l’océan, comme la montagne, comme la forêt, ce génie éveille l’idée de l’infini. Ce qu’on aime dans l’océan, ce n’est point une vague, ce sont des vagues incessamment renouvelées ; ce qu’on aime dans la forêt, ce n’est point un arbre ou une feuille, ce sont ces milliers d’arbres et ces milliers de feuilles qui confondent leur verdure et leur bruit. »
Hugo, « L’Homme qui rit. Tome II »
Il s’agit de « L’Homme qui rit » et autres œuvres de Victor Hugo (XIXe siècle). Il faut reconnaître que Hugo est non seulement le premier en rang des écrivains de langue française, depuis que cette langue a été fixée ; mais le seul qui ait un droit vraiment absolu à ce titre d’écrivain dans sa pleine acception. Toutes les catégories de l’histoire littéraire se trouvent en lui déjouées. La critique qui voudrait démêler cette figure titanique, stupéfiante, tenant quelque chose de la divinité, est en présence du problème le plus insoluble. Fut-il poète, romancier ou penseur ? Fut-il spiritualiste ou réaliste ? Il fut tout cela et plus encore. Nouveau don Quichotte, cet homme est allé porter ses pas sur tous les chemins de l’esprit, monter sur toutes les barricades qu’il rencontrait, soutien des faibles et pourfendeur des tyrans, sonneur de clairons et amant de la violette ; si bien qu’aucune des familles qui se partagent l’espèce humaine au physique et au moral ne peut se l’attribuer entièrement. Tantôt égal à la mer, comparé à la montagne, rapproché du soleil, assimilé à l’ouragan, tantôt philosophe, redresseur des abus du siècle, professeur d’histoire et guide politique, tantôt chargé d’apitoyer le monde sur la femme, de le mettre à genoux devant le vieillard pour le vénérer et devant l’enfant pour le consoler, il fut je ne sais quel succédané de la nature. Avec sa mort, c’est un monde cyclopéen d’idées et d’impressions qui est parti, un continent de granit qui s’est détaché et a roulé avec fracas au fond des abîmes. « Qui pourrait dire : “J’aime ceci ou cela dans Hugo” ? », dit Édouard Drumont 1. « Comme l’océan, comme la montagne, comme la forêt, ce génie éveille l’idée de l’infini. Ce qu’on aime dans l’océan, ce n’est point une vague, ce sont des vagues incessamment renouvelées ; ce qu’on aime dans la forêt, ce n’est point un arbre ou une feuille, ce sont ces milliers d’arbres et ces milliers de feuilles qui confondent leur verdure et leur bruit. »
Hugo, « L’Homme qui rit. Tome I »
Il s’agit de « L’Homme qui rit » et autres œuvres de Victor Hugo (XIXe siècle). Il faut reconnaître que Hugo est non seulement le premier en rang des écrivains de langue française, depuis que cette langue a été fixée ; mais le seul qui ait un droit vraiment absolu à ce titre d’écrivain dans sa pleine acception. Toutes les catégories de l’histoire littéraire se trouvent en lui déjouées. La critique qui voudrait démêler cette figure titanique, stupéfiante, tenant quelque chose de la divinité, est en présence du problème le plus insoluble. Fut-il poète, romancier ou penseur ? Fut-il spiritualiste ou réaliste ? Il fut tout cela et plus encore. Nouveau don Quichotte, cet homme est allé porter ses pas sur tous les chemins de l’esprit, monter sur toutes les barricades qu’il rencontrait, soutien des faibles et pourfendeur des tyrans, sonneur de clairons et amant de la violette ; si bien qu’aucune des familles qui se partagent l’espèce humaine au physique et au moral ne peut se l’attribuer entièrement. Tantôt égal à la mer, comparé à la montagne, rapproché du soleil, assimilé à l’ouragan, tantôt philosophe, redresseur des abus du siècle, professeur d’histoire et guide politique, tantôt chargé d’apitoyer le monde sur la femme, de le mettre à genoux devant le vieillard pour le vénérer et devant l’enfant pour le consoler, il fut je ne sais quel succédané de la nature. Avec sa mort, c’est un monde cyclopéen d’idées et d’impressions qui est parti, un continent de granit qui s’est détaché et a roulé avec fracas au fond des abîmes. « Qui pourrait dire : “J’aime ceci ou cela dans Hugo” ? », dit Édouard Drumont 1. « Comme l’océan, comme la montagne, comme la forêt, ce génie éveille l’idée de l’infini. Ce qu’on aime dans l’océan, ce n’est point une vague, ce sont des vagues incessamment renouvelées ; ce qu’on aime dans la forêt, ce n’est point un arbre ou une feuille, ce sont ces milliers d’arbres et ces milliers de feuilles qui confondent leur verdure et leur bruit. »
Hugo, « Les Châtiments »
Il s’agit des « Châtiments » et autres œuvres de Victor Hugo (XIXe siècle). Il faut reconnaître que Hugo est non seulement le premier en rang des écrivains de langue française, depuis que cette langue a été fixée ; mais le seul qui ait un droit vraiment absolu à ce titre d’écrivain dans sa pleine acception. Toutes les catégories de l’histoire littéraire se trouvent en lui déjouées. La critique qui voudrait démêler cette figure titanique, stupéfiante, tenant quelque chose de la divinité, est en présence du problème le plus insoluble. Fut-il poète, romancier ou penseur ? Fut-il spiritualiste ou réaliste ? Il fut tout cela et plus encore. Nouveau don Quichotte, cet homme est allé porter ses pas sur tous les chemins de l’esprit, monter sur toutes les barricades qu’il rencontrait, soutien des faibles et pourfendeur des tyrans, sonneur de clairons et amant de la violette ; si bien qu’aucune des familles qui se partagent l’espèce humaine au physique et au moral ne peut se l’attribuer entièrement. Tantôt égal à la mer, comparé à la montagne, rapproché du soleil, assimilé à l’ouragan, tantôt philosophe, redresseur des abus du siècle, professeur d’histoire et guide politique, tantôt chargé d’apitoyer le monde sur la femme, de le mettre à genoux devant le vieillard pour le vénérer et devant l’enfant pour le consoler, il fut je ne sais quel succédané de la nature. Avec sa mort, c’est un monde cyclopéen d’idées et d’impressions qui est parti, un continent de granit qui s’est détaché et a roulé avec fracas au fond des abîmes. « Qui pourrait dire : “J’aime ceci ou cela dans Hugo” ? », dit Édouard Drumont 1. « Comme l’océan, comme la montagne, comme la forêt, ce génie éveille l’idée de l’infini. Ce qu’on aime dans l’océan, ce n’est point une vague, ce sont des vagues incessamment renouvelées ; ce qu’on aime dans la forêt, ce n’est point un arbre ou une feuille, ce sont ces milliers d’arbres et ces milliers de feuilles qui confondent leur verdure et leur bruit. »
Miyazawa, « Les Astres Jumeaux »
éd. Le Serpent à plumes, coll. Fiction étrangère, Paris
Il s’agit des « Astres Jumeaux » (« Futago no hoshi » 1) et autres contes de Kenji Miyazawa 2, écrivain japonais, très célèbre dans son pays, où il renouvela les œuvres pour la jeunesse, en mêlant le monde des hommes à celui des animaux ou des esprits ; en proposant une autre façon de percevoir la vie, avec un élan spontané vers les choses et avec une grande sympathie pour la nature, émotions qui faisaient défaut dans les productions modernes du Japon. « Ce que je raconte », dit Miyazawa, « je l’ai reçu des forêts, des champs et des lignes de chemin de fer, ou bien encore de l’arc-en-ciel et de la lumière de la lune. Vraiment, quand, seul, on traverse le crépuscule bleuté des forêts de hêtres et qu’en octobre, on se tient, tremblant, dans le vent de montagne, quoi qu’on fasse, on ne peut qu’avoir ces sensations. Vraiment, quoi qu’on fasse, il semble bien qu’on ne puisse que ressentir ces choses… Il y a certainement des passages qui vous sembleront incompréhensibles, mais ces passages, moi non plus, je ne les comprends pas. Ce que je souhaite profondément, c’est que ces courts récits, en fin de compte, soient pour vous une nourriture pure et véritable. » 3 Miyazawa était le fils aîné d’une famille de cinq enfants. La tradition aurait voulu qu’il succédât à son père, qui tenait à Hanamaki un commerce de vêtements d’occasion, et qui faisait aussi fonction d’usurier ; mais le dégoût de Miyazawa pour ce genre de métier et son penchant pour l’étude le détournèrent tout à fait de cette voie. L’opposition parfois violente qu’il manifesta contre son père, fut aggravée encore lorsqu’à dix-huit ans il découvrit « Le Lotus de la bonne loi », texte bouddhique qu’il ne cessera, dans la suite de sa vie, de copier, de réciter, d’appliquer avec ferveur : « Lorsque j’oublie mon existence dans le vent et la lumière, lorsque le monde s’est métamorphosé dans mon jardin, ou lorsque je suis transporté à l’idée que la galaxie tout entière est moi-même, quel bonheur ! » Aucun de ses proches ne partagera son zèle, à l’exception de sa sœur Toshiko. À la mort précoce de celle-ci, en 1922, Miyazawa entreprendra un long voyage jusqu’à l’île de Sakhaline, dans l’espoir de communiquer, en quelque sorte, avec cette défunte dont il gardera toujours les cendres auprès de lui
« L’Épopée de Gilgameš : le grand homme qui ne voulait pas mourir »
Il s’agit de l’« Épopée de Gilgameš », connue dans l’Antiquité par ses mots liminaires « Celui qui a tout vu… », épopée qui, par son ampleur, par sa force, par l’éminent et l’universel de ses thèmes, par la vogue persistante dont elle a joui pendant plus d’un millénaire, mérite assurément d’être considérée comme l’œuvre la plus représentative de la Mésopotamie ancienne 1. Littérairement, elle contient la relation d’un Déluge, d’un Noé, d’un serpent pernicieux, pareils à ceux qui sont racontés dans notre « Genèse » ; elle annonce et prépare les épopées d’idéale perfection, telles que « L’Iliade » et « Râmâyaṇa ». Mais contrairement à ces œuvres, qu’elle précède de nombreux siècles, l’« Épopée de Gilgameš » n’est pas le produit d’une seule époque, ni même d’un seul peuple. Existant sous forme de poèmes séparés dans la littérature sumérienne la plus reculée (IIIe millénaire av. J.-C.), elle prit corps dans une rédaction akkadienne (IIe millénaire av. J.-C.) et déborda largement les frontières de la Babylonie et l’Assyrie, puisque, par de mystérieuses influences, elle fut copiée et adaptée depuis la Palestine jusqu’au cœur de l’Anatolie, à la Cour des rois hittites. Sous sa forme définitive et la plus complète, celle sous laquelle on l’a retrouvée à Ninive, dans les vestiges de la bibliothèque d’Assurbanipal 2 (VIIe siècle av. J.-C.), elle comptait douze tablettes, de quelque trois cents vers chacune. À notre grand regret, « il ne nous en est parvenu, à ce jour, qu’un peu moins des deux tiers », explique M. Jean Bottéro 3. « Mais ces fragments, par pure chance, ont été si raisonnablement distribués tout au long de sa trame que nous en discernons encore assez bien la séquence et la trajectoire ; et même ainsi entrecoupé, ce cheminement nous fascine. »
- Ce pays que les Anciens nommaient Mésopotamie (« entre-fleuves ») correspond à peu près à l’Irak actuel.
- Parfois transcrit Assourbanipal, Ashurbanipal, Aschurbanipal, Achour-bani-pal ou Asurbanipal.
« L’Ami qui venait de l’an mil : Su Dongpo (1037-1101) »
Il s’agit d’une traduction partielle des poèmes de Su Shi 1, plus connu sous le sobriquet de Su Dongpo 2 (« Su de la Pente de l’Est »), du nom de la parcelle sur laquelle il construit en 1082 apr. J.-C. la Salle des Neiges qui lui tient lieu de cabinet : « Sur un flanc de la Pente de l’Est, Maître Su acquit un potager abandonné. Il l’aménagea, l’entoura de murs et y construisit une pièce d’audience qu’il nomma sur un panneau horizontal la Salle des Neiges 3. Il avait peint sur les quatre parois… un paysage d’hiver ininterrompu. Qu’il se levât, s’assît, montât et descendît, regardât tout l’espace ou furtivement, tout n’était que neiges. Maître Su y résidait et il avait vraiment trouvé là sa place dans le monde » 4. Poète, prosateur, peintre à ses heures, Su Dongpo a porté à la perfection l’impression d’aisance et de naturel que dégage la poésie chinoise sous le règne des Song 5. Cette impression est due à la spontanéité des pensées exprimées, à la concision des images — simples suggestions donnant uniquement les traits les plus essentiels pour provoquer l’effet voulu :
« La vie de l’homme :
L’empreinte d’une oie sauvage sur la neige.
Envolé, l’oiseau est déjà loin »
- En chinois 蘇軾. Autrefois transcrit Su Shih, Su She ou Sou Che.
- En chinois 蘇東坡. Autrefois transcrit Su Dongbo, Su Tung po, Sou Toung-po, Sou Tong-p’o ou Sou Tong-p’ouo.
- En chinois 雪堂.
- « Commémorations », p. 276.
- De l’an 960 à l’an 1279.
Miyazawa, « Le Bureau des chats : contes »
Il s’agit du « Bureau des chats » (« Neko no jimusho » 1) et autres contes de Kenji Miyazawa 2, écrivain japonais, très célèbre dans son pays, où il renouvela les œuvres pour la jeunesse, en mêlant le monde des hommes à celui des animaux ou des esprits ; en proposant une autre façon de percevoir la vie, avec un élan spontané vers les choses et avec une grande sympathie pour la nature, émotions qui faisaient défaut dans les productions modernes du Japon. « Ce que je raconte », dit Miyazawa, « je l’ai reçu des forêts, des champs et des lignes de chemin de fer, ou bien encore de l’arc-en-ciel et de la lumière de la lune. Vraiment, quand, seul, on traverse le crépuscule bleuté des forêts de hêtres et qu’en octobre, on se tient, tremblant, dans le vent de montagne, quoi qu’on fasse, on ne peut qu’avoir ces sensations. Vraiment, quoi qu’on fasse, il semble bien qu’on ne puisse que ressentir ces choses… Il y a certainement des passages qui vous sembleront incompréhensibles, mais ces passages, moi non plus, je ne les comprends pas. Ce que je souhaite profondément, c’est que ces courts récits, en fin de compte, soient pour vous une nourriture pure et véritable. » 3 Miyazawa était le fils aîné d’une famille de cinq enfants. La tradition aurait voulu qu’il succédât à son père, qui tenait à Hanamaki un commerce de vêtements d’occasion, et qui faisait aussi fonction d’usurier ; mais le dégoût de Miyazawa pour ce genre de métier et son penchant pour l’étude le détournèrent tout à fait de cette voie. L’opposition parfois violente qu’il manifesta contre son père, fut aggravée encore lorsqu’à dix-huit ans il découvrit « Le Lotus de la bonne loi », texte bouddhique qu’il ne cessera, dans la suite de sa vie, de copier, de réciter, d’appliquer avec ferveur : « Lorsque j’oublie mon existence dans le vent et la lumière, lorsque le monde s’est métamorphosé dans mon jardin, ou lorsque je suis transporté à l’idée que la galaxie tout entière est moi-même, quel bonheur ! » Aucun de ses proches ne partagera son zèle, à l’exception de sa sœur Toshiko. À la mort précoce de celle-ci, en 1922, Miyazawa entreprendra un long voyage jusqu’à l’île de Sakhaline, dans l’espoir de communiquer, en quelque sorte, avec cette défunte dont il gardera toujours les cendres auprès de lui