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« Les Poèmes de Cao Cao (155-220) »

éd. Collège de France-Institut des hautes études chinoises, coll. Bibliothèque de l’Institut des hautes études chinoises, Paris

éd. Col­lège de -Ins­ti­tut des hautes études chi­noises, coll. Bi­blio­thèque de l’Institut des hautes études chi­noises, Pa­ris

Il s’agit des poèmes de Ts’ao Ts’ao 1, gé­né­ral et po­li­ti­cien , dé­fait dans la ba­taille de la fa­laise Rouge en 208 apr. J.-C. Cet ivre d’action qui, simple chef de bande à ses dé­buts, sut se tailler, dans la dis­lo­quée et trou­blée de la fin des Han, la part du lion, et mo­men­ta­né­ment du moins, à uni­fier le pays sous son au­to­rité — cet homme ivre d’action, dis-je, trouva parmi ses sou­cis d’État et de as­sez de loi­sirs pour se li­vrer à la . Aussi, les bio­graphes le dé­crivent-ils as­sis à dos de , «la longue lance en tra­vers de sa selle», bu­vant du et «com­po­sant des vers in­ébran­lables» 2 pleins d’énergie mâle et de force hé­roïque :

«Du vieux cour­sier, cou­ché dans l’écurie,
L’ se si­tue à mille “li”
[c’est-à-dire sur un champ de ba­taille loin­tain].
Quand le hé­ros touche au soir de la ,
Son cœur vaillant n’a pas fini de battre
» 3.

Sa ré­pu­ta­tion ac­quise, Ts’ao Ts’ao em­ploya tous les res­sorts de son pour ob­te­nir d’être nommé pre­mier mi­nistre. Il réus­sit; et élevé dans ce poste, il ne tra­vailla dé­sor­mais qu’à se faire des pro­té­gés, en em­bau­chant ceux qui lui pa­rais­saient dé­voués à ses in­té­rêts, et en des­ti­tuant qui­conque n’adhérait pas aveu­glé­ment à toutes ses vo­lon­tés. Son am­bi­tion fi­nit par éteindre en lui ses belles qua­li­tés. «Il avait dé­li­vré son [Em­pe­reur] d’un ty­ran qui le per­sé­cu­tait; mais ce fut pour le faire gé­mir sous une autre ty­ran­nie, moins cruelle sans , mais qui n’en était pas moins réelle», dit très bien le père Jo­seph Amiot 4. «Il de­vint fourbe, vin­di­ca­tif, cruel, per­fide, et ne garda pas même l’extérieur de ce qu’on ap­pe­lait ses an­ciennes .» Ts’ao Ts’ao mou­rut en 220 apr. J.-C., en em­por­tant avec lui la haine d’une , dont il au­rait pu être l’idole s’il s’était contenté d’être le pre­mier des su­jets de son sou­ve­rain lé­gi­time. Peu de au­pa­ra­vant, il avait as­so­cié son fils au pre­mier mi­nis­tère et l’avait nommé son suc­ces­seur dans la prin­ci­pauté de Ouei; ce­lui-ci donna à Ts’ao Ts’ao, son père, le titre post­hume de «Ouei-Ou-Ti» 5Em­pe­reur Ou des Ouei»).

  1. En chi­nois 曹操. Par­fois trans­crit Cao Cao. Icône Haut
  2. En chi­nois 橫槊賦詩. Icône Haut
  3. p. 152. Icône Haut
  1. «Ouei-ou-ti, mi­nistre», p. 105. Icône Haut
  2. En chi­nois 魏武帝. Par­fois trans­crit «Wei-Wu-Di». Icône Haut

Shen Fu, « Récits d’une vie fugitive : mémoires d’un lettré pauvre »

éd. Gallimard, coll. UNESCO d’œuvres représentatives-Connaissance de l’Orient, Paris

éd. Gal­li­mard, coll. UNESCO d’œuvres re­pré­sen­ta­tives-Connais­sance de l’, Pa­ris

Il s’agit des «Six Ré­cits au fil in­cons­tant des jours» 1 sheng liu ji» 2) de Shen Fu 3. Ces six ré­cits — qui, en , ne sont que quatre, les deux der­niers n’étant pas jusqu’à nous — consti­tuent un mo­nu­ment élevé par Shen Fu à la de Yun, son épouse dé­funte. «C’était le 30 mars 1803», dit-il 4. «Sa main agrip­pant la mienne, Yun vou­lut par­ler…; mais, sans forces, elle ne put que ré­pé­ter dans un souffle : “lai shi, lai shi”… “l’ fu­ture”… 5 Sou­dain, elle ha­leta, sa mâ­choire se rai­dit et son di­laté prit une fixité sai­sis­sante. Je l’appelai et l’appelai de nou­veau et en­core; mais en vain. Elle ne pou­vait plus pro­fé­rer une . Deux ruis­seaux de larmes conti­nuèrent à cou­ler le long de ses joues. Bien­tôt, son souffle s’affaiblit, ses larmes se ta­rirent et en­fin son s’éteignit.» Ce sont des ré­cits uniques jusque-là dans la par leurs pe­tits faits exacts et par leurs dé­tails fa­mi­liers sur la conju­gale. Nous nous trou­vons in­tro­duits, sans pré­ten­tion et en toute sim­pli­cité, dans l’intimité d’un pauvre let­tré qui ma­nie la clas­sique d’une ma­nière certes mal­ha­bile, mais dont l’austère sin­cé­rité nous émeut par­fois : «Mon re­gret», dit-il 6, «est de n’avoir reçu, étant en­fant, qu’une ins­truc­tion in­com­plète et d’être borné dans mes connais­sances. Aussi, ne re­la­te­rai-je, sans or­ne­ment, que des vrais et des faits réels. Re­cher­cher le dans ce que j’écris se­rait comme exi­ger l’éclat d’un non poli». Pa­ra­doxa­le­ment, c’est ce ca­rac­tère or­di­naire de Shen Fu qui fait son ex­tra­or­di­naire et qui est la ma­jeure du que connut son ou­vrage de­puis qu’il a été trouvé sur l’étal d’un bro­can­teur en 1849.

  1. Au­tre­fois tra­duit «Six Cha­pitres d’une vie flot­tante» ou «Six Mé­moires sur une vie flot­tante». Icône Haut
  2. En «浮生六記». Au­tre­fois trans­crit «Fou-cheng lieou-ki» ou «Fou­sheng liuji». Titre em­prunté au poème «Chun ye yan li yuan xu» («春夜宴桃李園序») de Li Po : «L’univers n’est que [la halte] des créa­tures, et le — l’hôte pro­vi­soire de l’éternité; “au fil in­cons­tant des jours”, notre vie n’est qu’un songe», etc. Icône Haut
  3. En chi­nois 沈復. Au­tre­fois trans­crit Chen Fou. Icône Haut
  1. p. 98. Icône Haut
  2. En chi­nois 來世. C’est, se­lon les croyances boud­dhiques, l’existence qui vient im­mé­dia­te­ment après l’existence ac­tuelle. Icône Haut
  3. p. 21. Icône Haut

« Les Dix-neuf Poèmes anciens »

éd. Les Belles Lettres, coll. Bibliothèque chinoise, Paris

éd. Les Belles Lettres, coll. Bi­blio­thèque chi­noise, Pa­ris

Il s’agit des «Dix-neuf Poèmes an­ciens» 1Gu­shi shi­jiu shou» 2), en­semble de dix-neuf poèmes , tous ano­nymes, qui tirent leur beauté des images douces et sym­bo­liques et de l’expression toute per­son­nelle de leur . Très peu connus en , ils datent pro­ba­ble­ment du dé­clin de la dy­nas­tie des Han (IIe siècle apr. J.-C.), qui fut mar­qué par de graves troubles po­li­tiques, et l’emprise du se re­lâ­chant, par une de la qui s’intéressa non plus aux choses, mais aux in­times. Pour la pre­mière fois en , les «Dix-neuf Poèmes an­ciens» évo­quèrent — certes sur un ton po­pu­laire, mais avec art tout de même, et un art qui a ses titres de — l’amertume de l’, la de l’ , le sen­ti­ment dou­lou­reux de la fra­gi­lité hu­maine, la han­tise du qui passe et de la  : «Se­lon une brillante étude du pro­fes­seur Yo­shi­kawa 3, l’idée que l’ est le jouet d’un des­tin in­com­pré­hen­sible et ca­pri­cieux ne se dé­ve­loppe en Chine que sous les Han. Bien qu’en [cette] idée ap­pa­raisse déjà dans le “Shi Jing” et dans les “Élé­gies de Chu”… les du “Shi Jing” croient en gé­né­ral à la du , et ceux des “Élé­gies de Chu” ac­cusent plu­tôt les hommes que le ha­sard de leurs mal­heurs. Il semble donc que la dé­so­la­tion si­len­cieuse des “Dix-neuf Poèmes an­ciens” soit bien l’indice d’un nou­veau», ex­plique M. Jean- Diény

  1. Au­tre­fois tra­duit «Les Dix-Neuf Poèmes des temps très re­cu­lés». Icône Haut
  2. En chi­nois «古詩十九首». Au­tre­fois trans­crit «Kou che che kieou cheou» ou «Ku-shih shih-chiu shou». Icône Haut
  1. Kô­jirô Yo­shi­kawa, «推移の悲哀ー古詩十九首の主題» («La Tris­tesse de l’impermanence — le thème prin­ci­pal des “Dix-neuf Poèmes an­ciens”»), in­édit en . Icône Haut

Sima Qian, « Les Mémoires historiques. Tome I. [Chapitres 1-4] »

éd. Librairie d’Amérique et d’Orient A. Maisonneuve, coll. UNESCO d’œuvres représentatives, Paris

éd. Li­brai­rie d’ et d’ A. Mai­son­neuve, coll. UNESCO d’œuvres re­pré­sen­ta­tives, Pa­ris

Il s’agit des «Mé­moires his­to­riques» («Shi Ji» 1) de  2, illustre chro­ni­queur (IIe-Ier siècle av. J.-C.) que ses com­pa­triotes placent au-des­sus de tous en di­sant qu’autant le l’emporte en éclat sur les autres astres, au­tant Sima Qian l’emporte en mé­rite sur les autres ; et que les eu­ro­péens sur­nomment l’«Hé­ro­dote de la ». Fils d’un sa­vant et sa­vant lui-même, Sima Qian fut élevé par l’Empereur à la di­gnité de «grand scribe» («tai shi» 3) en 108 av. J.-C. Son père, qui avait été son pré­dé­ces­seur dans cet em­ploi, sem­blait l’avoir prévu; car il avait fait voya­ger son fils dans tout l’Empire et lui avait laissé un im­mense hé­ri­tage en et en . De plus, dès que Sima Qian prit pos­ses­sion de sa charge, la Bi­blio­thèque im­pé­riale lui fut ou­verte; il alla s’y en­se­ve­lir. «De même qu’un qui porte une cu­vette sur la tête ne peut pas le­ver les yeux vers le , de même je rom­pis toute re­la­tion… car jour et je ne pen­sais qu’à em­ployer jusqu’au bout mes in­dignes ca­pa­ci­tés et j’appliquais tout mon cœur à m’acquitter de ma charge», dit-il 4. Mais une dis­grâce qu’il s’attira en pre­nant la dé­fense d’un mal­heu­reux, ou plu­tôt un mot sur le goût de l’Empereur pour la  5, le fit tom­ber en dis­grâce et le condamna à la cas­tra­tion. Sima Qian était si pauvre, qu’il ne fut pas en état de don­ner les deux cents onces d’argent pour se ré­di­mer du sup­plice in­fa­mant. Ce mal­heur, qui as­som­brit tout le reste de sa , ne fut pas sans exer­cer une pro­fonde sur sa . Non seule­ment Sima Qian n’avait pas pu se ra­che­ter, mais per­sonne n’avait osé prendre sa dé­fense. Aussi loue-t-il fort dans ses «Mé­moires his­to­riques» tous «ceux qui font peu de cas de leur propre vie pour al­ler au se­cours de l’homme de bien qui est en pé­ril» 6. Il ap­prouve sou­vent aussi des hommes qui avaient été ca­lom­niés et mis au ban de la . En­fin, n’est-ce pas l’amertume de son propre cœur, ai­gri par la , qui s’exprime dans ce cri : «Quand Zhufu Yan 7 [mar­chait sur] le che­min des hon­neurs, tous les hauts di­gni­taires l’exaltaient; quand son re­nom fut abattu, et qu’il eut été mis à avec toute sa , les of­fi­ciers par­lèrent à l’envi de ses dé­fauts; c’est dé­plo­rable!»

  1. En chi­nois «史記». Au­tre­fois trans­crit «Che Ki», «Se-ki», «Sée-ki», «Ssé-ki», «Schi Ki», «Shi Ki» ou «Shih Chi». Icône Haut
  2. En chi­nois 司馬遷. Au­tre­fois trans­crit Sy-ma Ts’ien, Sé­mat­siene, Ssé­mat­sien, Se-ma Ts’ien, Sze-ma Csien, Sz’ma Ts’ien, Sze-ma Ts’ien, Sseû-ma Ts’ien, Sse-ma-thsien, Ssé ma Tsian ou Ssu-ma Ch’ien. Icône Haut
  3. En chi­nois 太史. Au­tre­fois trans­crit «t’ai che». Icône Haut
  4. «Lettre à Ren An» («報任安書»). Icône Haut
  1. Sima Qian avait cri­ti­qué tous les im­pos­teurs qui jouis­saient d’un grand cré­dit à la Cour grâce aux fables qu’ils dé­bi­taient : tels étaient un ma­gi­cien qui pré­ten­dait mon­trer les em­preintes lais­sées par les pieds gi­gan­tesques d’êtres sur­na­tu­rels; un de­vin qui par­lait au nom de la prin­cesse des , et en qui l’Empereur avait tant de confiance qu’il s’attablait seul avec lui; un char­la­tan qui pro­met­tait l’; etc. Icône Haut
  2. ch. CXXIV. Icône Haut
  3. En chi­nois 主父偃. Au­tre­fois trans­crit Tchou-fou Yen ou Chu- Yen. L’Empereur Wu avait nommé, au­près de chaque roi, des conseillers qui étaient en des rap­por­teurs. Leur tâche était sou­vent pé­rilleuse : le conseiller Zhufu Yan fut mis à mort avec toute sa fa­mille à cause des faits qu’il avait rap­por­tés. Icône Haut

« Élégies de Chu, “Chu ci” »

éd. Gallimard, coll. Connaissance de l’Orient, Paris

éd. Gal­li­mard, coll. Connais­sance de l’, Pa­ris

Il s’agit des «Élé­gies de Chu» («Chu ci» 1), re­cueil de vingt-cinq ou poé­sies ly­riques, dont les plus cé­lèbres furent com­po­sées par Qu Yuan 2 (IIIe siècle av. J.-C.) et par son dis­ciple Song Yu 3 (IIe siècle av. J.-C.). Au point de vue de la forme, les «Élé­gies de Chu» se dis­tinguent par le re­tour in­va­riable d’une sorte d’interjection plain­tive, «xi!» 4, qui se ré­pète tous les deux vers. Quant au fond, elles n’ont d’autre but que ce­lui d’exhaler des plaintes, et de re­pro­cher au roi de Chu la faute qu’il com­mit en congé­diant Qu Yuan. On ra­conte que ce mal­heu­reux poète avait une conduite exem­plaire; c’est pour­quoi il aima mieux mou­rir que de res­ter dans l’entourage cor­rompu du roi. Il s’en éloi­gna donc, et par­venu aux bords de la ri­vière Mi Luo 5, il erra long­temps se par­lant à lui-même : il avait dé­noué ses che­veux en signe de et les lais­sait tom­ber sur son vi­sage amai­gri. Un pê­cheur le ren­con­trant dans cet état lui dit : «N’es-tu pas ce­lui que l’on croyait un des plus grands de l’Empire? Com­ment donc en es-tu ré­duit à une pa­reille si­tua­tion?» Qu Yuan ré­pon­dit : «Le en­tier est dans le désordre; seul, j’ai conservé ma pu­reté. Tous se sont as­sou­pis dans l’ivresse; moi seul, je suis resté vi­gi­lant. Voilà pour­quoi je suis é». Le pê­cheur dit : «Le vé­ri­table ne se laisse em­bar­ras­ser par au­cune chose et sait vivre avec son siècle. Si le monde en­tier est dans le désordre, pour­quoi ne sais-tu pas t’en ac­com­mo­der?…» Qu Yuan ré­pon­dit : «J’ai en­tendu dire que ce­lui qui vient de se pu­ri­fier dans un bain, prend soin de se­couer la pous­sière de son bon­net et de chan­ger de . Quel vou­drait donc, quand il est pur, se lais­ser souiller au contact de ce qui ne l’est pas? J’aime mieux cher­cher la dans les eaux de cette ri­vière et ser­vir de pâ­ture aux pois­sons…» Il écri­vit alors un der­nier poème, et ser­rant une grosse contre sa poi­trine, il se pré­ci­pita dans la ri­vière Mi Luo.

  1. En chi­nois «楚辭». Au­tre­fois trans­crit «Tsou-tse», «Tch’ou ts’eu» ou «Chu tzu». Icône Haut
  2. En chi­nois 屈原. Au­tre­fois trans­crit Kiu-youen, K’iu-yuen, K’iu Yuan, K’üh Yüan, Chhu Yuan ou Ch’ü Yüan. Icône Haut
  3. En chi­nois 宋玉. Au­tre­fois trans­crit Soung-yo ou Sung Yü. Icône Haut
  1. En chi­nois . Icône Haut
  2. En chi­nois 汩羅. Cette ri­vière, dans le Hu­nan, est for­mée par la confluence de la Mi et de la Luo. Icône Haut

Lu Yu, « Le Classique du thé, “Chajing” »

éd. Payot & Rivages, coll. Rivages poche-Petite Bibliothèque, Paris

éd. Payot & Ri­vages, coll. Ri­vages poche-Pe­tite Bi­blio­thèque, Pa­ris

Il s’agit du «Cha Jing» 1Clas­sique du thé» 2), le plus an­cien ou­vrage connu sur le thé (VIIIe siècle apr. J.-C.). En , le thé est un pro­duit de consom­ma­tion constante : c’est le breu­vage du pauvre et du riche. Chaque rue compte un cer­tain nombre de mai­sons de thé où, pour quelques sous, le pas­sant trouve une tasse d’un ex­cellent thé pour re­po­ser ses forces et ré­veiller ses . Au , la pré­pa­ra­tion de cette bois­son est un pré­texte au culte de la pu­reté et du raf­fi­ne­ment, un cé­ré­mo­nial où hôte et in­vité s’unissent pour réa­li­ser la plus haute com­mu­nion. Là, l’esprit de l’Extrême- règne sans conteste. «Il ne faut donc ja­mais of­frir de thé à un , à moins de vou­loir an­crer dé­fi­ni­ti­ve­ment dans son es­prit l’idée que tout Oc­ci­den­tal est un bar­bare», ex­plique un gas­tro­nome 3. C’est sous la dy­nas­tie des Tang 4 que le thé de­vint la bois­son or­di­naire et de pre­mière né­ces­sité pour les . Pen­dant une tren­taine de jours par an, des ar­mées de cueilleuses, jeunes pour la plu­part, le cueillaient au pe­tit jour et le por­taient en chan­tant. La ca­pi­tale fas­tueuse des Tang, Chang’an 5, abri­tait de grands bu­veurs, à la fois et , peintres et cal­li­graphes. L’un d’eux, nommé Lu Yu 6, se fit l’apôtre ex­clu­sif du thé, et dans son pe­tit ou­vrage, le «Cha Jing», pu­blié en 780 apr. J.-C., il for­mula l’art de cette bois­son qui fait en­core ré­fé­rence : en de quoi les mar­chands de thé l’honoreront comme leur tu­té­laire. Le «Cha Jing» traite, en dix cha­pitres, des du thé, des étapes de sa fa­bri­ca­tion, des us­ten­siles et des fa­çons de le boire pour ob­te­nir des ef­fets aussi sub­tils et aussi dé­li­cieux que ceux du . Mais l’amateur de belles-lettres ne prê­tera de l’intérêt qu’au sep­tième et plus long cha­pitre, qui est une suc­ces­sion d’, de bribes de poèmes mê­lant cette bois­son à la de di­vers  : vé­ri­table piège tendu à la .

  1. En chi­nois «茶經». Par­fois trans­crit «Tcha-Tching», «Ch’a Ching», «Cha­king», «Tch’a King» ou «Tch’a Tsing». Icône Haut
  2. Par­fois tra­duit «Livre du thé» ou «Le Ca­non du thé». Icône Haut
  3. M. Ma­rin Wagda. Icône Haut
  1. De l’an 618 à l’an 907. Icône Haut
  2. Aujourd’hui Xi’an (西安). Au­tre­fois trans­crit Tch’ang-ngan. Icône Haut
  3. En chi­nois 陸羽. Au­tre­fois trans­crit Lou-yu, Lu Jü ou Lu­wuh. À ne pas confondre avec Lu You, le poète de la dy­nas­tie des Song, qui vé­cut quatre siècles plus tard. Icône Haut

Mao Tsé-toung, « Poésies complètes »

éd. Parti pris, Montréal

éd. Parti pris, Mont­réal

Il s’agit des poèmes au­to­bio­gra­phiques de Mao Tsé-toung 1. Alors que son «Pe­tit Livre rouge» a été pu­blié à des cen­taines de mil­lions d’exemplaires; alors que des trai­tés théo­riques aussi in­si­pides, avouons-le, que ses «De la pra­tique» et «De la contra­dic­tion» ont été les Bibles d’un mil­liard de ; ce que Mao Tsé-toung a écrit de plus beau peut-être a été le moins im­primé : ses poèmes. Ils sont l’œuvre d’un qui fut d’abord bi­blio­thé­caire, cal­li­graphe, stra­tège de la Longue Marche, avant d’être le fa­na­tique re­li­gieux d’une qui se pré­ten­dra mar­xiste et ne le sera ja­mais le moins du . En dé­pit de leur ca­rac­tère na­tio­nal, et même na­tio­na­liste, Mao Tsé-toung hé­sita lon­gue­ment avant de di­vul­guer ces poèmes : sans tra­his­saient-ils quelque op­po­si­tion, et même quelque dé­chi­re­ment, dans la du chef d’État qu’il était de­venu : «Je n’ai ja­mais é qu’ils soient of­fi­ciel­le­ment pu­bliés», se jus­ti­fie-t-il 2, «à cause de leur an­tique; et j’ai de se­mer une mau­vaise graine, qui pour­rait in­fluen­cer de fa­çon in­cor­recte notre . En outre, il y a dans mon tra­vail très peu de , et rien que de très or­di­naire». Re­pla­cés sur la carte, ces poèmes jouent le rôle de stèles éri­gées en des lieux don­nés, pour sou­li­gner, com­mé­mo­rer, cé­lé­brer la geste ré­vo­lu­tion­naire de Mao Tsé-toung, de­puis son dé­part du vil­lage na­tal :

«Fra­giles images de mon dé­part — mau­dite l’ qui passe! —
Du vieux jar­din, il y a trente-deux ans
Le dra­peau rouge alors s’enroulait aux lances des serfs
Et les mains noires te­naient haut le fouet des ty­rans
» 3

jusqu’à son re­tour aux monts Jing gang 4, qui avaient servi de pre­mier bas­tion de l’Armée rouge et de ber­ceau de la ré­vo­lu­tion com­mu­niste

  1. En chi­nois 毛澤東. Par­fois trans­crit Mao Tsö-tong, Mao Tsö-toung, Mao Tse-tung, Mao Ce Dun, Mao Ce-tung, Mao Ze­tong, Mao Tze Dong ou Mao Ze­dong. Icône Haut
  2. Dans le nu­méro inau­gu­ral de la re­vue «Shi­kan» («诗刊»), c’est-à-dire «». Icône Haut
  1. p. 89. Icône Haut
  2. En chi­nois 井岡山. Icône Haut

Lu You, « Le Vieil Homme qui n’en fait qu’à sa guise : poèmes »

éd. Moundarren, Millemont

éd. Moun­dar­ren, Mil­le­mont

Il s’agit de  1, un des les plus fé­conds (XIIe siècle apr. J.-C.). La quan­tité in­nom­brable des com­po­si­tions poé­tiques de Lu You (dix mille de conser­vées, un nombre égal de per­dues) ne manque pas d’étonner, et le si­no­logue est comme sur­pris et ef­frayé quand il voit se dé­ployer de­vant lui le vaste champ de ces poé­sies, ne sa­chant trop quelles li­mites im­po­ser à son étude; et sur­tout, hé­si­tant à faire un choix. Si, dans ce des­sein, il se fie au goût des , c’est-à-dire s’il aborde seule­ment les poé­sies ées comme su­blimes par les Chi­nois, il fera fausse route. Trop sou­vent, celles-ci ne sont ap­pré­ciées que pour leurs thèmes pa­trio­tiques et leur es­prit de ré­sis­tance, qui ser­vi­ront de mo­dèles aux «Poé­sies com­plètes» d’un Mao Tsé-toung. En , Lu You fut un poète d’une ex­trê­me­ment va­riée. Les qu’il cueillit furent des plus di­verses. Il prit son bien là où il le trouva; et les pro­cla­ma­tions pa­trio­tiques de ses dé­buts ont ten­dance à s’éclipser, sur­tout vers la fin de sa , de­vant un éloge des pay­sages cam­pa­gnards ou le dé­ta­che­ment d’un ni­ché au fond des et fo­rêts : «Son œuvre pro­li­fique tisse la chro­nique de son quo­ti­dien, avec… un pen­chant inné pour la et les joies de la vie cam­pa­gnarde qui le rap­proche de Tao Yuan ming. Sa de la vie, ins­pi­rée par le dé­ta­che­ment ïste, trans­pa­raît dans “Adresse à mes vi­si­teurs” : “À l’ombre des mû­riers les sen­teurs de cent herbes / À midi le vent frais le bruit des dé­vi­doirs à soie / Vi­si­teurs, tai­sez-vous sur les af­faires du / Et par­ta­gez plu­tôt avec monts et fo­rêts la longue jour­née d’été”», ex­plique M. Guil­hem Fabre 2. Lu You ap­pe­lait son ate­lier «le nid aux » («shu chao» 3). Il n’y re­ce­vait pas d’invités et n’y ac­cueillait pas son épouse ni ses . Per­chés sur les éta­gères, ali­gnés par de­vant, cou­chés pêle-mêle sur son lit, où qu’on por­tât le re­gard, on y voyait des livres. Qu’il man­geât, bût, se le­vât ou s’assît; qu’il souf­frît ou gé­mît; qu’il fût triste ou se mît en , ce n’était ja­mais sans un livre. Si d’aventure il son­geait à sor­tir, le désordre in­ex­tri­cable des livres l’enserrait comme des branches en­tre­mê­lées, et il ne pou­vait avan­cer. Alors, il di­sait en riant : «N’est-ce pas là ce que j’appelle mon “nid”?» 4

  1. En chi­nois 陸游. Au­tre­fois trans­crit Lou Yeou, Lu Yiu ou Lu Yu. À ne pas confondre avec Lu Yu, l’auteur du «Clas­sique du thé», qui vé­cut quatre siècles plus tôt. Icône Haut
  2. «Ins­tants éter­nels : cent et quelques poèmes connus par cœur en » (éd. La Dif­fé­rence, Pa­ris), p. 261. Icône Haut
  1. En chi­nois 書巢. Icône Haut
  2. «Vi­site chez Lu You, poète chi­nois du XIIe siècle», p. 11. Icône Haut

« Lu You : mandarin, poète et résistant de la Chine des Song »

éd. Presses universitaires d’Aix-Marseille, Aix-en-Provence

éd. Presses uni­ver­si­taires d’Aix-Marseille, Aix-en-Pro­vence

Il s’agit de  1, un des les plus fé­conds (XIIe siècle apr. J.-C.). La quan­tité in­nom­brable des com­po­si­tions poé­tiques de Lu You (dix mille de conser­vées, un nombre égal de per­dues) ne manque pas d’étonner, et le si­no­logue est comme sur­pris et ef­frayé quand il voit se dé­ployer de­vant lui le vaste champ de ces poé­sies, ne sa­chant trop quelles li­mites im­po­ser à son étude; et sur­tout, hé­si­tant à faire un choix. Si, dans ce des­sein, il se fie au goût des , c’est-à-dire s’il aborde seule­ment les poé­sies ées comme su­blimes par les , il fera fausse route. Trop sou­vent, celles-ci ne sont ap­pré­ciées que pour leurs thèmes pa­trio­tiques et leur es­prit de ré­sis­tance, qui ser­vi­ront de mo­dèles aux «Poé­sies com­plètes» d’un Mao Tsé-toung. En , Lu You fut un poète d’une ex­trê­me­ment va­riée. Les qu’il cueillit furent des plus di­verses. Il prit son bien là où il le trouva; et les pro­cla­ma­tions pa­trio­tiques de ses dé­buts ont ten­dance à s’éclipser, sur­tout vers la fin de sa , de­vant un éloge des pay­sages cam­pa­gnards ou le dé­ta­che­ment d’un ni­ché au fond des et fo­rêts : «Son œuvre pro­li­fique tisse la chro­nique de son quo­ti­dien, avec… un pen­chant inné pour la et les joies de la vie cam­pa­gnarde qui le rap­proche de Tao Yuan ming. Sa de la vie, ins­pi­rée par le dé­ta­che­ment ïste, trans­pa­raît dans “Adresse à mes vi­si­teurs” : “À l’ombre des mû­riers les sen­teurs de cent herbes / À midi le vent frais le bruit des dé­vi­doirs à soie / Vi­si­teurs, tai­sez-vous sur les af­faires du / Et par­ta­gez plu­tôt avec monts et fo­rêts la longue jour­née d’été”», ex­plique M. Guil­hem Fabre 2. Lu You ap­pe­lait son ate­lier «le nid aux » («shu chao» 3). Il n’y re­ce­vait pas d’invités et n’y ac­cueillait pas son épouse ni ses . Per­chés sur les éta­gères, ali­gnés par de­vant, cou­chés pêle-mêle sur son lit, où qu’on por­tât le re­gard, on y voyait des livres. Qu’il man­geât, bût, se le­vât ou s’assît; qu’il souf­frît ou gé­mît; qu’il fût triste ou se mît en , ce n’était ja­mais sans un livre. Si d’aventure il son­geait à sor­tir, le désordre in­ex­tri­cable des livres l’enserrait comme des branches en­tre­mê­lées, et il ne pou­vait avan­cer. Alors, il di­sait en riant : «N’est-ce pas là ce que j’appelle mon “nid”?» 4

  1. En chi­nois 陸游. Au­tre­fois trans­crit Lou Yeou, Lu Yiu ou Lu Yu. À ne pas confondre avec Lu Yu, l’auteur du «Clas­sique du thé», qui vé­cut quatre siècles plus tôt. Icône Haut
  2. «Ins­tants éter­nels : cent et quelques poèmes connus par cœur en » (éd. La Dif­fé­rence, Pa­ris), p. 261. Icône Haut
  1. En chi­nois 書巢. Icône Haut
  2. «Vi­site chez Lu You, poète chi­nois du XIIe siècle», p. 11. Icône Haut

Li Qing zhao, « Œuvres poétiques complètes »

éd. Gallimard, coll. UNESCO d’œuvres représentatives-Connaissance de l’Orient, Paris

éd. Gal­li­mard, coll. UNESCO d’œuvres re­pré­sen­ta­tives-Connais­sance de l’, Pa­ris

Il s’agit de Li Qing zhao 1, poé­tesse chi­noise (XIIe siècle apr. J.-C.). Née dans une man­da­ri­nale culti­vée, elle épousa à dix-huit ans un jeune col­lec­tion­neur, Zhao Ming cheng 2. L’union fut par­faite, les deux époux par­ta­geant une pas­sion com­mune pour la cal­li­gra­phie et la au mi­lieu des ob­jets d’art, dont dix chambres de leur mai­son étaient rem­plies. Mais l’invasion des Jürčen 3 fit brû­ler ce tré­sor et obli­gea les deux époux à se ré­fu­gier au Sud du fleuve  : «Les ha­bi­tants», ra­conte Li Qing zhao 4, «s’enfuient, de l’Est à l’Ouest, du Sud au Nord. Les mon­ta­gnards pro­jettent d’entrer dans les . Les ci­ta­dins pensent à ga­gner les et les fo­rêts. Aux heures de midi, on voit sta­tion­ner de longues files de . Il n’y a plus per­sonne qui ne soit sans abri». Quatre ans plus tard, Li Qing zhao per­dait son mari et fut ré­duite à me­ner une in­stable sans trou­ver le re­pos. Aussi, si ses pre­mières œuvres re­flètent la pé­riode heu­reuse de sa vie, celles qui suivent l’exode vers le Sud et la de l’époux ex­priment la . Eh bien! ce n’est que dans ces der­nières œuvres, com­po­sées sur la route et au mi­lieu des ha­sards, que Li Qing zhao montre des qua­li­tés propres à une grande poé­tesse, et j’ose dire que ses souf­frances, ses plaintes, ses larmes sont la moi­tié de son . Pour s’en convaincre, il suf­fit de consi­dé­rer son poème com­posé sur l’air de «Sheng sheng man» 5Chaque note est lente»). Les trois pre­miers vers («Je tâ­tonne à gauche, je cherche à droite. fraîche, so­li­tude froide. Mon cœur erre et se perd dans tant d’ombres, pâles, sombres.») sont ci­tés en­core de nos jours pour illus­trer une grande dé­tresse. Quant au dé­but du vers sui­vant («La su­bite cède au »), il est de­venu un pour ex­pri­mer une si­tua­tion chan­geante. En­fin, les deux der­niers vers («Dans un tel état, com­ment en fi­nir avec ce seul mot ter­rible : “tris­tesse”?») sont dé­cla­més par les gens ins­truits pour évo­quer des mal­heurs qui s’accumulent.

  1. En 李清照. Par­fois trans­crit Li Ts’ing-tchao, Li-tsing-chao, Li Ch’ing-chao ou Li Quingz­hao. Icône Haut
  2. En chi­nois 趙明誠. Icône Haut
  3. Les ac­tuels Mand­chous. Icône Haut
  1. «Post­face au “Ca­ta­logue des sur et sur bronze (金石錄)” de Zhao Ming cheng». Icône Haut
  2. En chi­nois «声声慢». Icône Haut

« Amour et Politique dans la Chine ancienne : cent poèmes de Li Shangyin (812-858) »

éd. de Boccard, Paris

éd. de Boc­card, Pa­ris

Il s’agit de Li Shang yin 1, de son vrai nom Yi shan 2, poète sym­bo­liste de la fin des Tang (IXe siècle apr. J.-C.). «Au­cun poème , par dé­fi­ni­tion, ne peut se ré­duire à son sens lit­té­ral.» 3 Cette ne s’est ja­mais mieux fait sen­tir que dans les poèmes de Li Shang yin. Le moindre de ses vers a be­soin de pour être bien com­pris. Les sont peu connus. L’action où ils sont en­ga­gés est aussi obs­cure pour les gens du que pour les éru­dits. L’ du lec­teur, au lieu de s’attacher tout en­tière aux idées qui animent le poète, cherche à de­vi­ner le sens des sym­boles. Que si­gni­fie, par exemple :

«Lorsque le cé­leste des Han eut en­gen­dré Pu­shao,
La lu­zerne et la gre­nade furent plan­tées par­tout dans les fau­bourgs.
Les jar­dins du ne sur­ent que conser­ver le bec du phé­nix;
Les chars de la suite n’ont plus dressé les longues plumes du fai­san…
Qui avait prévu que Su Wu, de­venu vieux, re­vien­drait au pays?
À Mou­ling, sur les pins et les cy­près, la pluie tombe en sif­flant, lu­gubre
» 4?

  1. En chi­nois 李商隱. Au­tre­fois trans­crit Li-chang-yn, Li Chang-yin ou Li Shang ying. Icône Haut
  2. En chi­nois 義山. Au­tre­fois trans­crit Yi-chan. Icône Haut
  1. M. An­dré Mar­ko­wicz. Icône Haut
  2. p. 225. Icône Haut

Tao Yuan ming, « L’Homme, la Terre, le Ciel : enfin je m’en retourne »

éd. Moundarren, Millemont

éd. Moun­dar­ren, Mil­le­mont

Il s’agit des poèmes de Yuan ming 1, let­tré , grand chantre de la rus­tique (IVe-Ve siècle apr. J.-C.). Issu d’une illustre li­gnée tom­bée dans l’obscurité et le be­soin, il rê­vait d’une vie simple, mais qui lui ap­par­tînt réel­le­ment, une vie consa­crée à ses poèmes et à son jar­din de chry­san­thèmes : «Cueillant des chry­san­thèmes à la haie de l’Est, le cœur libre, j’aperçois la mon­tagne du Sud. Dans tout cela ré­side une si­gni­fi­ca­tion pro­fonde. Sur le point de l’exprimer, j’ai déjà ou­blié les mots», dit-il dans un pas­sage re­mar­quable. Sa était pauvre : la­bou­rer et culti­ver ne suf­fi­sait pas à la nour­rir. La mai­son était pleine de jeunes , mais la jarre — vide de grains. Ses amis le pres­saient de prendre quelque poste loin­tain et fi­nirent par l’en per­sua­der. Tao Yuan ming avait à peine pris ses fonc­tions que, nos­tal­gique, il avait déjà en­vie de s’en re­tour­ner. Pour­quoi? Sa était spon­ta­née; elle re­fu­sait de se plier pour être conte­nue. Lan­guis­sant, bou­le­versé, il eut pro­fon­dé­ment de tra­hir le prin­cipe de sa vie — ce­lui de ne pas se mê­ler aux obli­ga­tions du . Il dé­cida d’attendre la fin de l’année pour aus­si­tôt em­bal­ler ses et par­tir la , tel un oi­seau échappé de sa cage :

«Les champs et le jar­din doivent déjà être en­va­his par les herbes,
Pour­quoi ne m’en suis-je pas re­tourné plus tôt?…
Aujourd’hui j’ai , hier j’avais tort…
J’interroge des pas­sants pour trou­ver le bon che­min
À l’aube, je re­grette que la lu­mière soit à peine claire
Dès que j’aperçois mon humble hutte,
Joyeux, aus­si­tôt je me mets à cou­rir
Le jeune ser­vi­teur vient m’accueillir,
Mes jeunes en­fants at­tendent à la porte…
Te­nant la main des en­fants j’entre dans la mai­son
Il y a un pot rem­pli de
Je prends le pot, me sers et bois seul
À contem­pler les dans la cour 2 se ré­jouit mon vi­sage».

  1. En chi­nois 陶淵明. Au­tre­fois trans­crit T’ao Yuen-ming ou T’au Yüan-ming. Éga­le­ment connu sous le nom de Tao Qian (陶潛). Au­tre­fois trans­crit T’ao Ts’ien, T’au Ts’ien ou T’ao Ch’ien. Icône Haut
  1. Tao Yuan ming avait planté une al­lée de cinq saules à côté de sa mai­son. C’était là, si l’on veut, son ly­cée; il s’y pro­me­nait. De là lui est venu son nom de pin­ceau de «Wu­liu Xian­sheng» (五柳先生), c’est-à-dire «Mon­sieur Cinq-saules». Par­fois tra­duit «Sieur aux Cinq Saules», «le Doc­teur des Cinq Saules», «l’ aux Cinq Saules», «le Maître des Cinq Saules» ou «Let­tré aux Cinq Saules». Icône Haut

Han Shan, « Merveilleux le chemin de Han shan : poèmes »

éd. Moundarren, Millemont

éd. Moun­dar­ren, Mil­le­mont

Il s’agit de Han Shan 1, er­mite et poète (VIIe siècle apr. J.-C.). Il avait quitté sa pour se re­ti­rer sur une fa­laise, dans un en­droit nommé Mon­tagne froide (Han shan), au­quel il doit son sur­nom. Le lieu où il vi­vait était libre de la pous­sière et du bruit. Il s’asseyait parmi les nuages blancs. Un vent sub­til souf­flait à tra­vers les pins so­li­taires, dont le son lui était agréable. De­puis dix ans, il n’était pas re­tourné en ville; il en avait ou­blié la route qu’il avait ja­dis em­prun­tée pour ve­nir. Non loin de là, au mo­nas­tère du Pays clair (Guo qing 2), vi­vait son ami et condis­ciple, Shi De 3, qui tra­vaillait dans la cui­sine et met­tait les restes de côté pour lui dans un tube de bam­bou. Han Shan dé­am­bu­lait sous la vé­randa du mo­nas­tère, criant de , par­lant seul, riant seul. On le pre­nait pour un fou. Par­fois, les moines lui cou­raient après pour l’injurier, pour le chas­ser. Dans les , près des huttes, il ba­di­nait avec les qui gar­daient les vaches. Pour­tant, ses pa­roles sem­blaient co­hé­rentes, et si on y ré­flé­chis­sait bien, on y de­vi­nait des idées pro­fondes. En fait, tout ce qu’il di­sait était pro­fond. Dans ses poé­sies aussi, il abor­dait les su­jets les plus graves en en don­nant une in­gé­nue et simple, et en conser­vant une par­faite bon­ho­mie, ce qui fait qu’on suit ses vers et qu’on se les as­si­mile ra­pi­de­ment, sans même se rendre compte de leur por­tée :

«Les gens de­mandent le che­min de Han shan
Nulle route ne mène à Han shan
L’été, la glace ne fond pas
À peine levé, le se noie dans le brouillard
Com­ment y par­ve­nir, comme ,
Si votre cœur n’est pas pa­reil au mien?
Si votre cœur, par contre, est pa­reil au mien
Vous êtes alors en plein mi­lieu
»

  1. En chi­nois 寒山. Au­tre­fois trans­crit Han-chan ou Han Schan. Icône Haut
  2. En chi­nois 國清. Au­tre­fois trans­crit Kuo ch’ing. Icône Haut
  1. En chi­nois 拾得. Au­tre­fois trans­crit Shih Té. On ra­conte que Shi De était un en­fant aban­donné, car son sur­nom si­gni­fie «le ra­massé». Icône Haut