Vigny, « Œuvres complètes. Tome VII. Théâtre, part. 1. Chatterton • La Maréchale d’Ancre »

éd. Ch. Delagrave, Paris

éd. Ch. De­la­grave, Pa­ris

Il s’agit de «La Ma­ré­chale d’Ancre» et autres œuvres d’, poète à la des­ti­née as­sez triste. Seul — ou presque seul — de tous les ro­man­tiques, il n’a pas fait école. On ne l’a pas suivi dans ses dé­marches lit­té­raires. On l’a re­mar­qué sans en rien dire à per­sonne, sans qu’au sur­plus il s’en plai­gnît lui-même. Il était né cinq ans avant Vic­tor Hugo, sept ans après La­mar­tine. Mais tan­dis que les de ces deux rem­plis­saient toutes les bouches, ce n’étaient pas ses «Poé­sies», mais un as­sez mau­vais drame — «Chat­ter­ton» en 1835 — qui ti­rait ce poète, pour quelques jours à peine, de sa re­traite un peu mys­té­rieuse, de sa sainte où il ren­trait aus­si­tôt. À quoi cela tient-il? À ses dé­fauts d’abord, dont il faut conve­nir. Sou­vent, ses pro­duc­tions manquent de forte et de re­lief. Au­cune n’est avor­tée, mais presque toutes sont lan­guis­santes et ma­la­dives. Leur étio­le­ment, comme ce­lui de toutes les gé­né­ra­tions dif­fi­ciles en vase clos, vient de ce qu’elles ont sé­journé trop long­temps dans l’esprit de leur au­teur. Il ne les a créées qu’en s’isolant com­plè­te­ment dans son si­lence, comme dans une tour in­ac­ces­sible : «[Ses] poé­sies sont nées, non comme naissent les belles choses vi­vantes — par une chaude gé­né­ra­tion, mais comme naissent les… choses pré­cieuses et froides, les perles, les co­raux… avec les­quels elles ont de l’affinité — par ag­glu­ti­na­tion, co­hé­sion lente, in­vi­sible conden­sa­tion», dé­clare un  1. «L’exécution de Vi­gny sou­vent brillante et tou­jours élé­gante n’a pas moins quelque chose d’habituellement pé­nible et de la­bo­rieux… Et d’une ma­nière gé­né­rale, jusque dans ses plus belles pièces, jusque dans “Éloa”, jusque dans “La Mai­son du ber­ger”, sa de poète est per­pé­tuel­le­ment en­tra­vée par je ne sais quelle hé­si­ta­tion ou quelle im­puis­sance d’artiste», ajoute un autre cri­tique 2. Ce­pen­dant, cette hé­si­ta­tion est le fait d’un qui se po­sait les ques­tions su­pé­rieures et qui éprou­vait la . Et quelle que fût la por­tée — ou mé­diocre ou éle­vée — de son es­prit, cet es­prit vi­vait au moins dans les hautes ré­gions de la  : « faibles que nous sommes, per­dus par le tor­rent des pen­sées et nous ac­cro­chant à toutes les branches pour prendre quelques points [d’appui] dans le vide qui nous en­ve­loppe!», dit-il 3. Et aussi : «J’allume mes bou­gies et j’écris, mes yeux en sont brû­lés. Je les éteins; re­viennent les sou­ve­nirs…; et les larmes, que j’ai la force de ca­cher aux vi­vants dans la jour­née, re­prennent leur cours. En­fin ar­rive la lu­mière du jour»

  1. Émile Mon­té­gut. Icône Haut
  2. Fer­di­nand Bru­ne­tière. Icône Haut
  1. «Tome VI. Jour­nal d’un poète», p. 132. Icône Haut

Nguyễn Trãi, « Proclamation sur la pacification des Ngô, “Bình Ngô đại cáo” »

dans « Nguyễn Trãi, l’une des plus belles figures de l’histoire et de la littérature vietnamiennes » (éd. en Langues étrangères, Hanoï)

dans «, l’une des plus belles fi­gures de l’ et de la lit­té­ra­ture viet­na­miennes» (éd. en Langues étran­gères, Ha­noï)

Il s’agit de la «Grande Pro­cla­ma­tion de la pa­ci­fi­ca­tion des » 1Bình Ngô đại cáo») de Nguyễn Trãi, let­tré (XIVe-XVe siècle) qui mar­qua de son et mi­li­taire la d’indépendance me­née contre les Chi­nois. Son père, Nguyễn Phi Khanh, était grand man­da­rin à la Cour. Quand les ar­mées chi­noises des Ming en­va­hirent le pays, il fut ar­rêté avec plu­sieurs autres di­gni­taires et en­voyé en à Nan­kin. Nguyễn Trãi sui­vit le cor­tège des pri­son­niers jusqu’à la fron­tière. Bra­vant le joug, les en­traves et les coups de ses geô­liers, le grand man­da­rin or­donna à son fils : «Tu ne dois pas pleu­rer la sé­pa­ra­tion d’un père et de son fils. Pleure sur­tout l’humiliation de ton . Quand tu se­ras en âge, venge-!» 2 Nguyễn Trãi gran­dit. Il tint la pro­messe so­len­nelle faite à son père, en ras­sem­blant le peuple en­tier au­tour de Lê Lợi, qui chassa les Ming avant de de­ve­nir Em­pe­reur du . Hé­las! la dy­nas­tie des Lê ainsi fon­dée prit vite om­brage des conseils et de la no­to­riété de Nguyễn Trãi. Écarté d’une Cour qu’il ve­nait de conduire à la vic­toire, notre pa­triote se fit er­mite et poète : «Je ne cours point après les hon­neurs ni ne les pré­bendes; [je] ne suis ni joyeux de ga­gner ni triste de perdre. Les eaux ho­ri­zonnent ma fe­nêtre, les — ma porte. Les poèmes em­plissent mon sac, l’alcool — ma gourde… Que reste-t-il de ceux que l’ambition ta­lon­nait sans ré­pit? Des à l’abandon sous l’herbe épaisse» 3. Toute sa , Nguyễn Trãi eut cette seule pré­oc­cu­pa­tion : l’ de la pa­trie qui, dans son cœur, était in­sé­pa­rable de l’amour du peuple. Res­tant as­sis, ser­rant une froide cou­ver­ture sur lui, il pas­sait des nuits sans som­meil, son­geant com­ment re­le­ver le pays et pro­cu­rer au peuple une du­rable après ces longues guerres : «Dans mon cœur, une seule pré­oc­cu­pa­tion sub­siste : les af­faires du pays. Toutes les nuits, je veille jusqu’aux pre­miers tin­te­ments de cloche» 4. On tient gé­né­ra­le­ment la «Grande Pro­cla­ma­tion de la pa­ci­fi­ca­tion des Chi­nois» pour le chef-d’œuvre de Nguyễn Trãi, dans le­quel, aujourd’hui en­core, chaque Viet­na­mien re­con­naît avec émo­tion l’une des les plus ra­fraî­chis­santes de son iden­tité na­tio­nale : «Notre pa­trie, le Grand Viêt, de­puis tou­jours, était de vieille . Terre du Sud, elle a ses fleuves, ses mon­tagnes, ses mœurs et ses cou­tumes dis­tincts de ceux du Nord…» Mais son «Re­cueil de poèmes en na­tio­nale» qui dé­crit, avec par­fois une teinte d’amertume, les charmes de la vie ver­tueuse et so­li­taire, et qui change en ta­bleaux en­chan­teurs les scènes de la sau­vage et né­gli­gée, m’apparaît comme étant le plus réussi et le plus propre à être goûté d’un pu­blic étran­ger.

  1. Par­fois tra­duit «Grande Pro­cla­ma­tion au su­jet de la vic­toire sur les Ngô» ou «Grande Pro­cla­ma­tion sur la pa­ci­fi­ca­tion des Ngô». Icône Haut
  2. Dans Dương Thu Hương, «Les Col­lines d’eucalyptus : ». Icône Haut
  1. «Re­cueil de poèmes en langue na­tio­nale», p. 200. Icône Haut
  2. id. p. 132. Icône Haut

Vigny, « Œuvres complètes. Tome VI. Journal d’un poète »

éd. Ch. Delagrave, Paris

éd. Ch. De­la­grave, Pa­ris

Il s’agit du «Jour­nal d’un poète» d’, poète à la des­ti­née as­sez triste. Seul — ou presque seul — de tous les ro­man­tiques, il n’a pas fait école. On ne l’a pas suivi dans ses dé­marches lit­té­raires. On l’a re­mar­qué sans en rien dire à per­sonne, sans qu’au sur­plus il s’en plai­gnît lui-même. Il était né cinq ans avant Vic­tor Hugo, sept ans après La­mar­tine. Mais tan­dis que les de ces deux rem­plis­saient toutes les bouches, ce n’étaient pas ses «Poé­sies», mais un as­sez mau­vais drame — «Chat­ter­ton» en 1835 — qui ti­rait ce poète, pour quelques jours à peine, de sa re­traite un peu mys­té­rieuse, de sa sainte où il ren­trait aus­si­tôt. À quoi cela tient-il? À ses dé­fauts d’abord, dont il faut conve­nir. Sou­vent, ses pro­duc­tions manquent de forte et de re­lief. Au­cune n’est avor­tée, mais presque toutes sont lan­guis­santes et ma­la­dives. Leur étio­le­ment, comme ce­lui de toutes les gé­né­ra­tions dif­fi­ciles en vase clos, vient de ce qu’elles ont sé­journé trop long­temps dans l’esprit de leur au­teur. Il ne les a créées qu’en s’isolant com­plè­te­ment dans son si­lence, comme dans une tour in­ac­ces­sible : «[Ses] poé­sies sont nées, non comme naissent les belles choses vi­vantes — par une chaude gé­né­ra­tion, mais comme naissent les… choses pré­cieuses et froides, les perles, les co­raux… avec les­quels elles ont de l’affinité — par ag­glu­ti­na­tion, co­hé­sion lente, in­vi­sible conden­sa­tion», dé­clare un  1. «L’exécution de Vi­gny sou­vent brillante et tou­jours élé­gante n’a pas moins quelque chose d’habituellement pé­nible et de la­bo­rieux… Et d’une ma­nière gé­né­rale, jusque dans ses plus belles pièces, jusque dans “Éloa”, jusque dans “La Mai­son du ber­ger”, sa de poète est per­pé­tuel­le­ment en­tra­vée par je ne sais quelle hé­si­ta­tion ou quelle im­puis­sance d’artiste», ajoute un autre cri­tique 2. Ce­pen­dant, cette hé­si­ta­tion est le fait d’un qui se po­sait les ques­tions su­pé­rieures et qui éprou­vait la . Et quelle que fût la por­tée — ou mé­diocre ou éle­vée — de son es­prit, cet es­prit vi­vait au moins dans les hautes ré­gions de la  : « faibles que nous sommes, per­dus par le tor­rent des pen­sées et nous ac­cro­chant à toutes les branches pour prendre quelques points [d’appui] dans le vide qui nous en­ve­loppe!», dit-il 3. Et aussi : «J’allume mes bou­gies et j’écris, mes yeux en sont brû­lés. Je les éteins; re­viennent les sou­ve­nirs…; et les larmes, que j’ai la force de ca­cher aux vi­vants dans la jour­née, re­prennent leur cours. En­fin ar­rive la lu­mière du jour»

  1. Émile Mon­té­gut. Icône Haut
  2. Fer­di­nand Bru­ne­tière. Icône Haut
  1. «Tome VI. Jour­nal d’un poète», p. 132. Icône Haut

Vigny, « Œuvres complètes. Tome V. Les Consultations du Docteur-Noir, part. 1. Stello »

éd. Ch. Delagrave, Paris

éd. Ch. De­la­grave, Pa­ris

Il s’agit de «Stello» d’, poète à la des­ti­née as­sez triste. Seul — ou presque seul — de tous les ro­man­tiques, il n’a pas fait école. On ne l’a pas suivi dans ses dé­marches lit­té­raires. On l’a re­mar­qué sans en rien dire à per­sonne, sans qu’au sur­plus il s’en plai­gnît lui-même. Il était né cinq ans avant Vic­tor Hugo, sept ans après La­mar­tine. Mais tan­dis que les de ces deux rem­plis­saient toutes les bouches, ce n’étaient pas ses «Poé­sies», mais un as­sez mau­vais drame — «Chat­ter­ton» en 1835 — qui ti­rait ce poète, pour quelques jours à peine, de sa re­traite un peu mys­té­rieuse, de sa sainte où il ren­trait aus­si­tôt. À quoi cela tient-il? À ses dé­fauts d’abord, dont il faut conve­nir. Sou­vent, ses pro­duc­tions manquent de forte et de re­lief. Au­cune n’est avor­tée, mais presque toutes sont lan­guis­santes et ma­la­dives. Leur étio­le­ment, comme ce­lui de toutes les gé­né­ra­tions dif­fi­ciles en vase clos, vient de ce qu’elles ont sé­journé trop long­temps dans l’esprit de leur au­teur. Il ne les a créées qu’en s’isolant com­plè­te­ment dans son si­lence, comme dans une tour in­ac­ces­sible : «[Ses] poé­sies sont nées, non comme naissent les belles choses vi­vantes — par une chaude gé­né­ra­tion, mais comme naissent les… choses pré­cieuses et froides, les perles, les co­raux… avec les­quels elles ont de l’affinité — par ag­glu­ti­na­tion, co­hé­sion lente, in­vi­sible conden­sa­tion», dé­clare un  1. «L’exécution de Vi­gny sou­vent brillante et tou­jours élé­gante n’a pas moins quelque chose d’habituellement pé­nible et de la­bo­rieux… Et d’une ma­nière gé­né­rale, jusque dans ses plus belles pièces, jusque dans “Éloa”, jusque dans “La Mai­son du ber­ger”, sa de poète est per­pé­tuel­le­ment en­tra­vée par je ne sais quelle hé­si­ta­tion ou quelle im­puis­sance d’artiste», ajoute un autre cri­tique 2. Ce­pen­dant, cette hé­si­ta­tion est le fait d’un qui se po­sait les ques­tions su­pé­rieures et qui éprou­vait la . Et quelle que fût la por­tée — ou mé­diocre ou éle­vée — de son es­prit, cet es­prit vi­vait au moins dans les hautes ré­gions de la  : « faibles que nous sommes, per­dus par le tor­rent des pen­sées et nous ac­cro­chant à toutes les branches pour prendre quelques points [d’appui] dans le vide qui nous en­ve­loppe!», dit-il 3. Et aussi : «J’allume mes bou­gies et j’écris, mes yeux en sont brû­lés. Je les éteins; re­viennent les sou­ve­nirs…; et les larmes, que j’ai la force de ca­cher aux vi­vants dans la jour­née, re­prennent leur cours. En­fin ar­rive la lu­mière du jour»

  1. Émile Mon­té­gut. Icône Haut
  2. Fer­di­nand Bru­ne­tière. Icône Haut
  1. «Tome VI. Jour­nal d’un poète», p. 132. Icône Haut

Vigny, « Œuvres complètes. Tome IV. Servitude et Grandeur militaires »

éd. Ch. Delagrave, Paris

éd. Ch. De­la­grave, Pa­ris

Il s’agit de «Ser­vi­tude et Gran­deur mi­li­taires» d’, poète à la des­ti­née as­sez triste. Seul — ou presque seul — de tous les ro­man­tiques, il n’a pas fait école. On ne l’a pas suivi dans ses dé­marches lit­té­raires. On l’a re­mar­qué sans en rien dire à per­sonne, sans qu’au sur­plus il s’en plai­gnît lui-même. Il était né cinq ans avant Vic­tor Hugo, sept ans après La­mar­tine. Mais tan­dis que les de ces deux rem­plis­saient toutes les bouches, ce n’étaient pas ses «Poé­sies», mais un as­sez mau­vais drame — «Chat­ter­ton» en 1835 — qui ti­rait ce poète, pour quelques jours à peine, de sa re­traite un peu mys­té­rieuse, de sa sainte où il ren­trait aus­si­tôt. À quoi cela tient-il? À ses dé­fauts d’abord, dont il faut conve­nir. Sou­vent, ses pro­duc­tions manquent de forte et de re­lief. Au­cune n’est avor­tée, mais presque toutes sont lan­guis­santes et ma­la­dives. Leur étio­le­ment, comme ce­lui de toutes les gé­né­ra­tions dif­fi­ciles en vase clos, vient de ce qu’elles ont sé­journé trop long­temps dans l’esprit de leur au­teur. Il ne les a créées qu’en s’isolant com­plè­te­ment dans son si­lence, comme dans une tour in­ac­ces­sible : «[Ses] poé­sies sont nées, non comme naissent les belles choses vi­vantes — par une chaude gé­né­ra­tion, mais comme naissent les… choses pré­cieuses et froides, les perles, les co­raux… avec les­quels elles ont de l’affinité — par ag­glu­ti­na­tion, co­hé­sion lente, in­vi­sible conden­sa­tion», dé­clare un  1. «L’exécution de Vi­gny sou­vent brillante et tou­jours élé­gante n’a pas moins quelque chose d’habituellement pé­nible et de la­bo­rieux… Et d’une ma­nière gé­né­rale, jusque dans ses plus belles pièces, jusque dans “Éloa”, jusque dans “La Mai­son du ber­ger”, sa de poète est per­pé­tuel­le­ment en­tra­vée par je ne sais quelle hé­si­ta­tion ou quelle im­puis­sance d’artiste», ajoute un autre cri­tique 2. Ce­pen­dant, cette hé­si­ta­tion est le fait d’un qui se po­sait les ques­tions su­pé­rieures et qui éprou­vait la . Et quelle que fût la por­tée — ou mé­diocre ou éle­vée — de son es­prit, cet es­prit vi­vait au moins dans les hautes ré­gions de la  : « faibles que nous sommes, per­dus par le tor­rent des pen­sées et nous ac­cro­chant à toutes les branches pour prendre quelques points [d’appui] dans le vide qui nous en­ve­loppe!», dit-il 3. Et aussi : «J’allume mes bou­gies et j’écris, mes yeux en sont brû­lés. Je les éteins; re­viennent les sou­ve­nirs…; et les larmes, que j’ai la force de ca­cher aux vi­vants dans la jour­née, re­prennent leur cours. En­fin ar­rive la lu­mière du jour»

  1. Émile Mon­té­gut. Icône Haut
  2. Fer­di­nand Bru­ne­tière. Icône Haut
  1. «Tome VI. Jour­nal d’un poète», p. 132. Icône Haut

Vigny, « Œuvres complètes. Tome III. Cinq-Mars, part. 2 »

éd. Ch. Delagrave, Paris

éd. Ch. De­la­grave, Pa­ris

Il s’agit de «Cinq-Mars» d’, poète à la des­ti­née as­sez triste. Seul — ou presque seul — de tous les ro­man­tiques, il n’a pas fait école. On ne l’a pas suivi dans ses dé­marches lit­té­raires. On l’a re­mar­qué sans en rien dire à per­sonne, sans qu’au sur­plus il s’en plai­gnît lui-même. Il était né cinq ans avant Vic­tor Hugo, sept ans après La­mar­tine. Mais tan­dis que les de ces deux rem­plis­saient toutes les bouches, ce n’étaient pas ses «Poé­sies», mais un as­sez mau­vais drame — «Chat­ter­ton» en 1835 — qui ti­rait ce poète, pour quelques jours à peine, de sa re­traite un peu mys­té­rieuse, de sa sainte où il ren­trait aus­si­tôt. À quoi cela tient-il? À ses dé­fauts d’abord, dont il faut conve­nir. Sou­vent, ses pro­duc­tions manquent de forte et de re­lief. Au­cune n’est avor­tée, mais presque toutes sont lan­guis­santes et ma­la­dives. Leur étio­le­ment, comme ce­lui de toutes les gé­né­ra­tions dif­fi­ciles en vase clos, vient de ce qu’elles ont sé­journé trop long­temps dans l’esprit de leur au­teur. Il ne les a créées qu’en s’isolant com­plè­te­ment dans son si­lence, comme dans une tour in­ac­ces­sible : «[Ses] poé­sies sont nées, non comme naissent les belles choses vi­vantes — par une chaude gé­né­ra­tion, mais comme naissent les… choses pré­cieuses et froides, les perles, les co­raux… avec les­quels elles ont de l’affinité — par ag­glu­ti­na­tion, co­hé­sion lente, in­vi­sible conden­sa­tion», dé­clare un  1. «L’exécution de Vi­gny sou­vent brillante et tou­jours élé­gante n’a pas moins quelque chose d’habituellement pé­nible et de la­bo­rieux… Et d’une ma­nière gé­né­rale, jusque dans ses plus belles pièces, jusque dans “Éloa”, jusque dans “La Mai­son du ber­ger”, sa de poète est per­pé­tuel­le­ment en­tra­vée par je ne sais quelle hé­si­ta­tion ou quelle im­puis­sance d’artiste», ajoute un autre cri­tique 2. Ce­pen­dant, cette hé­si­ta­tion est le fait d’un qui se po­sait les ques­tions su­pé­rieures et qui éprou­vait la . Et quelle que fût la por­tée — ou mé­diocre ou éle­vée — de son es­prit, cet es­prit vi­vait au moins dans les hautes ré­gions de la  : « faibles que nous sommes, per­dus par le tor­rent des pen­sées et nous ac­cro­chant à toutes les branches pour prendre quelques points [d’appui] dans le vide qui nous en­ve­loppe!», dit-il 3. Et aussi : «J’allume mes bou­gies et j’écris, mes yeux en sont brû­lés. Je les éteins; re­viennent les sou­ve­nirs…; et les larmes, que j’ai la force de ca­cher aux vi­vants dans la jour­née, re­prennent leur cours. En­fin ar­rive la lu­mière du jour»

  1. Émile Mon­té­gut. Icône Haut
  2. Fer­di­nand Bru­ne­tière. Icône Haut
  1. «Tome VI. Jour­nal d’un poète», p. 132. Icône Haut

Wang Fu, « Dialogue du thé et du vin »

éd. Berg international, Paris

éd. Berg in­ter­na­tio­nal, Pa­ris

Il s’agit du « du thé et du » 1Cha jiu lun» 2). Sous la dy­nas­tie des Tang 3, le thé, ayant reçu l’onction du boud­dhique, de­vient un concur­rent re­dou­table du vin, le­quel était tra­di­tion­nel­le­ment vé­néré par les let­trés. Dans une joute ora­toire fic­tive, tra­cée par la plume d’un cer­tain Wang  4 (Xe siècle apr. J.-C.), ces deux breu­vages se trouvent dé­sor­mais per­son­ni­fiés et op­po­sés, à la fa­çon des de nos fables, cha­cun rap­pe­lant ses , ses char­mantes qua­li­tés, et fai­sant va­loir sa sa­veur in­dé­niable. Leur af­fron­te­ment, loin des sé­rieux trai­tés sur l’art du thé, donne lieu à des ar­gu­ments dé­fen­dus avec . Ceux du vin : «, je vis avec l’ : les man­da­rins ont tou­jours en­vie de moi. Il m’est ar­rivé de faire jouer de la ci­thare au sou­ve­rain de Zhao, et j’ai poussé le roi de Qin à jouer du tam­bour. Qui se met à chan­ter rien qu’avec du thé?» 5 Et ceux du thé : «Moi, “cha”, je suis la plante su­pé­rieure, tan­tôt blanc comme jade, tan­tôt d’. Dans leur quête spi­ri­tuelle, les plus vé­né­rables moines, les les plus vivent dé­ta­chés du  : boire le thé leur ap­porte la lu­ci­dité dans la conver­sa­tion et éloigne d’eux le som­meil. C’est moi qu’on offre au » 6 Au plus fort de la dis­pute sur­git un troi­sième lar­ron, dont ni le thé ni le vin ne peuvent se pas­ser, et qui met les deux d’accord. Je vous laisse dé­cou­vrir de qui il s’agit. Ha­sard ou des­ti­née, ce vieux «Dia­logue du thé et du vin» fait par­tie des dé­cou­verts en 1908 par le si­no­logue Paul Pel­liot dans les de Dun­huang. De­puis, il a re­pris une ac­tua­lité . Il a été cité par M. le pré­sident Xi Jin­ping, lors de ses dé­pla­ce­ments dans les pays fran­co­phones, pour évo­quer l’ qua­si­ment pa­ral­lèle, al­lant des ter­roirs aux ri­tuels de dé­gus­ta­tion, entre vins fran­çais et thés  : «La ré­serve sobre du thé et la sans en­trave du vin», a dit M. le pré­sident 7, «re­pré­sentent deux ma­nières dif­fé­rentes de sa­vou­rer la et de dé­chif­frer le monde». Il existe des routes des thés en , comme il existe des routes des vins en et au .

  1. Par­fois tra­duit «Dis­cus­sion entre le thé et le vin» ou «La Dis­pute du thé et du vin». Icône Haut
  2. En chi­nois «茶酒論». Icône Haut
  3. De l’an 618 à l’an 907. Icône Haut
  4. En chi­nois 王敷. Icône Haut
  1. p. 29-30. Icône Haut
  2. p. 28-29. Icône Haut
  3. Dans «Le Thé et le Vin vus par les », p. 4. Icône Haut

« Philosophes taoïstes. Tome II. “Huainan zi” »

éd. Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, Paris

éd. Gal­li­mard, coll. Bi­blio­thèque de la Pléiade, Pa­ris

Il s’agit du «Huai­nan hon­glie» 1Grande Lu­mière de Huai­nan»), plus connu sous le titre de «Huai­nan zi» 2[Livre du] maître de Huai­nan»), ou­vrage qui, sous des al­lures d’encyclopédie phi­lo­so­phique, cache un vé­ri­table plai­doyer . Le Maître de Huai­nan avait pour nom per­son­nel Liu An 3 (IIe siècle av. J.-C.). C’était un «cu­rieux», dans toutes les ac­cep­tions de ce mot, ai­mant la com­pa­gnie des éru­dits ac­cou­rus des quatre coins de la ; cu­rieux aussi par l’étonnement que sa ins­pire, car il était pe­tit-fils de l’Empereur et d’une fille du au ser­vice du roi de Zhao. On ra­conte qu’en la sep­tième an­née de son règne, l’Empereur était passé par le pays de Zhao et s’était mon­tré échauffé et ir­rité contre le roi. Ce­lui-ci, pour l’apaiser, lui avait of­fert une fille du pa­lais — la grand-mère de notre au­teur. Elle re­çut la fa­veur im­pé­riale et se trouva en­ceinte. Le roi de Zhao, n’osant plus la gar­der au pa­lais, lui fit bâ­tir à l’extérieur un pe­tit lo­gis. Ce­pen­dant, l’Empereur s’en dés­in­té­ressa, et l’Impératrice, de son côté, prit des dis­po­si­tions pour que l’affaire ne fût pas ébrui­tée. Dans le dé­nue­ment le plus com­plet, la fille du pa­lais mit au un fils — le père de notre au­teur — et se donna la en ma­nière de pro­tes­ta­tion. Un of­fi­cier prit res­pec­tueu­se­ment l’enfant et l’apporta à l’Empereur. L’enfant, qui fut pro­clamé prince de Huai­nan, eut maille à par­tir avec ses , nés de l’Impératrice, qui, une fois ar­ri­vés au pou­voir, trou­vèrent un pré­texte pour le faire condam­ner. Il mou­rut de faim sur la route de l’, en lais­sant le titre prin­cier à son fils, Liu An — notre au­teur. Liu An se mon­tra un es­prit pas­sionné pour les po­li­tiques et les belles-lettres. Il conçut l’idée d’une somme phi­lo­so­phique d’ ïste, où se ver­raient concen­trés tous les sa­voirs de son , et qui ren­fer­me­rait, par la même oc­ca­sion, les meilleurs pré­ceptes sur la ma­nière dont un Em­pire de­vrait être conduit et di­rigé. Pour réa­li­ser son pro­jet am­bi­tieux, il at­tira à sa Cour un grand nombre de let­trés — jusqu’à mille! Il leur pré­senta un amas consi­dé­rable d’argent et de vivres et leur dit qu’il voyait bien que l’Empereur ne re­con­nais­sait pas leur ta­lent et leur zèle; «que leurs étaient [pour­tant] bien su­pé­rieures à celles des mi­nistres de la Cour im­pé­riale; et qu’il ne dou­tait pas qu’aidé de leurs conseils, il ne fût en état de ten­ter [son] des­sein» 4. Les uns eurent pour tâche de gla­ner, dans les des An­ciens, tout ce qui sem­blait d’un cer­tain in­té­rêt; les autres par­ti­ci­pèrent à de brillantes dis­cus­sions pré­si­dées par Liu An en per­sonne. Quant à la pa­ter­nité du livre qui en ré­sulta, le «Huai­nan zi», il se­rait in­juste de com­pa­rer le rôle que Liu An a dû jouer à ce­lui de Lü Bu­wei, dont le nom est rat­ta­ché aux «Prin­temps et Au­tomnes du sieur Lü», alors qu’il n’en a été que le mé­cène. Si l’on ad­met, comme le font les , l’ du «Huai­nan zi», il n’y a pas de d’en re­fu­ser le mé­rite es­sen­tiel à Liu An.

  1. En «淮南鴻烈». Au­tre­fois trans­crit «Houai-nan hong-lie». Icône Haut
  2. En chi­nois «淮南子». Au­tre­fois trans­crit «Houai Nan-tseu», «Hoai-nan-tse», «Hoay-nan-tse» ou «Huai-nan-tzu». Icône Haut
  1. En chi­nois 劉安. Par­fois trans­crit Lieou Ngan ou Lieau An. Icône Haut
  2. « gé­né­rale de la Chine, ou An­nales de cet Em­pire, tra­duites du “Tong-kien-kang-mou”. Tome III». Icône Haut

« Trois Pièces du théâtre des Yuan »

éd. Les Belles Lettres, coll. Bibliothèque chinoise, Paris

éd. Les Belles Lettres, coll. Bi­blio­thèque chi­noise, Pa­ris

Il s’agit de «L’Automne au des Han» 1Han Gong Qiu» 2) et autres pièces du des Yuan. Les let­trés tra­vaillaient peu pour le théâtre et re­cueillaient peu de re­nom­mée de leurs pièces, parce que ce genre était plu­tôt to­léré que per­mis en ; les an­ciens l’ayant constam­ment dé­crié et é comme un art cor­rup­teur. Il faut at­tendre le XIIIe siècle apr. J.-C. pour trou­ver des pro­duc­tions très im­por­tantes à la fois en qua­lité et en quan­tité. Un dé­sastre na­tio­nal, le pas­sage de la Chine sous le joug , fut l’occasion de cette sou­daine flo­rai­son. Du­rant une pé­riode de quatre-vingt-dix ans, les sau­vages en­va­his­seurs, qui ne pos­sé­daient pas d’, abo­lirent le sys­tème des concours où se re­cru­taient les , et re­lé­guèrent les let­trés, qui for­maient la classe la plus ho­no­rée de la chi­noise, à un des éche­lons les plus bas, tout juste de­vant les et les men­diants. Par dés­œu­vre­ment, ces let­trés se tour­nèrent alors vers le théâtre — genre dont la grande vogue com­men­çait à se des­si­ner, et qu’ils contri­buèrent très vite à per­fec­tion­ner. Ce­pen­dant, le dis­cré­dit at­ta­ché au théâtre sub­sista. Ces let­trés n’accédèrent ja­mais aux hon­neurs et durent se conten­ter d’exercer de mo­destes em­plois — pe­tits com­mer­çants, apo­thi­caires, de­vins ou simples . Aussi, ne sommes-nous pas éton­nés de ne trou­ver au­cun ren­sei­gne­ment sur leur . Et mal­gré la pu­bli­ca­tion, en 1616, d’une cen­taine de leurs -d’œuvre dans l’« de pièces des Yuan» («Yuan Qu Xuan» 3), le théâtre est resté jusqu’à nos jours le genre le moins connu de toutes les lit­té­ra­tures de di­ver­tis­se­ment qu’a eues la Chine. «Évi­dem­ment, la [de ce théâtre] est ex­trê­me­ment gros­sière», ex­plique Adolf-Eduard Zu­cker 4. «Les se font connaître à l’auditoire, en dé­taillant leur pas­sée et la part qu’ils sont ap­pe­lés à jouer dans le drame… On peut dire que, dans l’ensemble, les pièces n’atteignent guère un plan spi­ri­tuel très élevé. Il se dé­gage, ce­pen­dant, un grand charme de ce théâtre qui nous pré­sente des per­son­nages de toute condi­tion et nous donne une vaste fresque de l’abondante de l’Empire du Mi­lieu, aux jours dé­crits par Marco Polo.»

  1. Par­fois tra­duit « au pa­lais des Han». Icône Haut
  2. En chi­nois «漢宮秋». Au­tre­fois trans­crit «Han-kung ch’iu». L’auteur de cette pièce est Ma Zhiyuan (馬致遠). Au­tre­fois trans­crit Ma Chih-yüan. Icône Haut
  1. En chi­nois «元曲選». Au­tre­fois trans­crit «Yuan K’iu Siuan», «Yuen-kiu-siuen» ou «Yüan-ch’ü Hsüan». Éga­le­ment connu sous le titre de «Yuan Ren Bai Zhong Qu» («元人百種曲»), c’est-à-dire «Cent Pièces d’auteurs des Yuan». Au­tre­fois trans­crit «Yüan-jen Pai Chung Ch’ü» ou «Youen Jin Pe Tchong Keu». Icône Haut
  2. Dans Ca­mille Pou­peye, «Le Théâtre chi­nois», p. 130-131. Icône Haut

Lindgren, « Fifi Brindacier : l’intégrale »

éd. Hachette jeunesse, Paris

éd. Ha­chette , Pa­ris

Il s’agit de «Fifi Brin­da­cier» («Pippi Lång­strump») de Mme , la grande dame de la lit­té­ra­ture pour , la créa­trice de la ga­mine la plus ef­fron­tée sor­tie de l’ sué­doise : Fifi Brin­da­cier. Au­cun au­teur n’a été tra­duit en au­tant de langues que Mme Lind­gren. On ra­conte que M. Bo­ris Pan­kine 1, am­bas­sa­deur d’ à Stock­holm, confia un jour à l’écrivaine que presque tous les foyers so­vié­tiques comp­taient deux  : son «Karls­son sur le toit» et la ; ce à quoi elle ré­pli­qua : «Comme c’est étrange! J’ignorais to­ta­le­ment que la Bible était si po­pu­laire!» 2 C’est en 1940 ou 1941 que Fifi Brin­da­cier vit le jour comme per­son­nage de , au mo­ment où l’ fai­sait main basse sur l’, sem­blable à «un monstre éfique qui, à in­ter­valles ré­gu­liers, sort de son trou pour se pré­ci­pi­ter sur une vic­time» 3. Le cou­lait, les gens re­ve­naient mu­ti­lés, tout n’était que mal­heur et déses­poir. Et mal­gré les mille rai­sons d’être dé­cou­ra­gée face à l’avenir de notre , Mme Lind­gren ne pou­vait s’empêcher d’éprouver un cer­tain op­ti­misme quand elle voyait les per­sonnes de de­main : les en­fants, les ga­mins. Ils étaient «joyeux, sin­cères et sûrs d’eux, et ce, comme au­cune gé­né­ra­tion pré­cé­dente ne l’a été» 4. Mme Lind­gren com­prit, alors, que l’avenir du dor­mait dans les chambres des en­fants. C’est là que tout se jouait pour que les hommes et les de de­main de­viennent des sains et bien­veillants, qui voient le monde tel qu’il est, qui en connaissent la beauté. Le de Mme Lind­gren tient à cette . L’ qu’elle porte aux faibles et aux op­pri­més lui vaut éga­le­ment le des pe­tits et des grands. Beau­coup de ses ré­cits ont pour cadre des bour­gades res­sem­blant à sa bour­gade na­tale. Mais il ne s’agit là que du cadre. Car l’essence de ses ré­cits ré­side dans l’imagination dé­bor­dante de l’enfant so­li­taire — ce ter­ri­toire in­té­rieur où nul ne peut plus être tra­qué, où la seule est pos­sible. «Je veux écrire pour des lec­teurs qui savent créer des mi­racles. Les en­fants savent créer des mi­racles en li­sant», dit-elle 5. De même que toute , dans n’importe quel genre, dé­passe les li­mites de ce genre et de­vient quelque chose d’incomparable; de même, les ou­vrages de Mme Lind­gren dé­passent les li­mites étroites de la . Ce sont des le­çons de li­berté pour tous les âges et tous les siècles : «: Li­berté! Car sans li­berté, la fleur du poème fa­nera où qu’elle pousse» 6.

  1. En Борис Дмитриевич Панкин. Icône Haut
  2. Dans «Dos­sier : As­trid Lind­gren». Icône Haut
  3. Dans Jens An­der­sen, «As­trid Lind­gren». Icône Haut
  1. id. Icône Haut
  2. Dans «Dos­sier : As­trid Lind­gren». Icône Haut
  3. Dans Jens An­der­sen, «As­trid Lind­gren». Icône Haut

Sima Qian, « Les Mémoires historiques. Tome IX. Chapitres 111-130 »

éd. You Feng, Paris

éd. You Feng, Pa­ris

Il s’agit des «Mé­moires his­to­riques» («Shi Ji» 1) de  2, illustre chro­ni­queur (IIe-Ier siècle av. J.-C.) que ses com­pa­triotes placent au-des­sus de tous en di­sant qu’autant le l’emporte en éclat sur les autres astres, au­tant Sima Qian l’emporte en mé­rite sur les autres ; et que les eu­ro­péens sur­nomment l’«Hé­ro­dote de la ». Fils d’un sa­vant et sa­vant lui-même, Sima Qian fut élevé par l’Empereur à la di­gnité de «grand scribe» («tai shi» 3) en 108 av. J.-C. Son père, qui avait été son pré­dé­ces­seur dans cet em­ploi, sem­blait l’avoir prévu; car il avait fait voya­ger son fils dans tout l’Empire et lui avait laissé un im­mense hé­ri­tage en et en . De plus, dès que Sima Qian prit pos­ses­sion de sa charge, la Bi­blio­thèque im­pé­riale lui fut ou­verte; il alla s’y en­se­ve­lir. «De même qu’un qui porte une cu­vette sur la tête ne peut pas le­ver les yeux vers le , de même je rom­pis toute re­la­tion… car jour et je ne pen­sais qu’à em­ployer jusqu’au bout mes in­dignes ca­pa­ci­tés et j’appliquais tout mon cœur à m’acquitter de ma charge», dit-il 4. Mais une dis­grâce qu’il s’attira en pre­nant la dé­fense d’un mal­heu­reux, ou plu­tôt un mot sur le goût de l’Empereur pour la  5, le fit tom­ber en dis­grâce et le condamna à la cas­tra­tion. Sima Qian était si pauvre, qu’il ne fut pas en état de don­ner les deux cents onces d’argent pour se ré­di­mer du sup­plice in­fa­mant. Ce mal­heur, qui as­som­brit tout le reste de sa , ne fut pas sans exer­cer une pro­fonde sur sa . Non seule­ment Sima Qian n’avait pas pu se ra­che­ter, mais per­sonne n’avait osé prendre sa dé­fense. Aussi loue-t-il fort dans ses «Mé­moires his­to­riques» tous «ceux qui font peu de cas de leur propre vie pour al­ler au se­cours de l’homme de bien qui est en pé­ril» 6. Il ap­prouve sou­vent aussi des hommes qui avaient été ca­lom­niés et mis au ban de la . En­fin, n’est-ce pas l’amertume de son propre cœur, ai­gri par la , qui s’exprime dans ce cri : «Quand Zhufu Yan 7 [mar­chait sur] le che­min des hon­neurs, tous les hauts di­gni­taires l’exaltaient; quand son re­nom fut abattu, et qu’il eut été mis à avec toute sa , les of­fi­ciers par­lèrent à l’envi de ses dé­fauts; c’est dé­plo­rable!»

  1. En chi­nois «史記». Au­tre­fois trans­crit «Che Ki», «Se-ki», «Sée-ki», «Ssé-ki», «Schi Ki», «Shi Ki» ou «Shih Chi». Icône Haut
  2. En chi­nois 司馬遷. Au­tre­fois trans­crit Sy-ma Ts’ien, Sé­mat­siene, Ssé­mat­sien, Se-ma Ts’ien, Sze-ma Csien, Sz’ma Ts’ien, Sze-ma Ts’ien, Sseû-ma Ts’ien, Sse-ma-thsien, Ssé ma Tsian ou Ssu-ma Ch’ien. Icône Haut
  3. En chi­nois 太史. Au­tre­fois trans­crit «t’ai che». Icône Haut
  4. «Lettre à Ren An» («報任安書»). Icône Haut
  1. Sima Qian avait cri­ti­qué tous les im­pos­teurs qui jouis­saient d’un grand cré­dit à la Cour grâce aux fables qu’ils dé­bi­taient : tels étaient un ma­gi­cien qui pré­ten­dait mon­trer les em­preintes lais­sées par les pieds gi­gan­tesques d’êtres sur­na­tu­rels; un de­vin qui par­lait au nom de la prin­cesse des , et en qui l’Empereur avait tant de confiance qu’il s’attablait seul avec lui; un char­la­tan qui pro­met­tait l’; etc. Icône Haut
  2. ch. CXXIV. Icône Haut
  3. En chi­nois 主父偃. Au­tre­fois trans­crit Tchou-fou Yen ou Chu- Yen. L’Empereur Wu avait nommé, au­près de chaque roi, des conseillers qui étaient en des rap­por­teurs. Leur tâche était sou­vent pé­rilleuse : le conseiller Zhufu Yan fut mis à mort avec toute sa fa­mille à cause des faits qu’il avait rap­por­tés. Icône Haut

« L’Extase du thé : poèmes »

éd. Moundarren, Millemont

éd. Moun­dar­ren, Mil­le­mont

Il s’agit de poèmes clas­siques sur le thé. C’est Li Po, au VIIIe siècle apr. J.-C., qui com­posa ce que l’on consi­dère comme le pre­mier poème sur le thé pour re­mer­cier son ne­veu, le moine Chung , qui lui avait of­fert du thé de la mon­tagne de la Source de jade. Le poète avait en­tendu par­ler de cette mon­tagne qui re­gor­geait de . À l’extérieur, au mi­lieu des ro­chers, pous­saient des théiers. La Source de jade en as­per­geait les ra­cines et les branches de gouttes par­fu­mées. Seul un vieil ve­nait cueillir leurs feuilles qui, quand on les bu­vait, to­ni­fiaient chair et os : il les sé­chait au et les fa­çon­nait en briques 1. À l’âge de quatre-vingts ans pas­sés, son teint gar­dait la des pêches et des prunes. Alors que Li Po voya­geait dans le Ching ling, le moine Chung fu, son ne­veu comme je l’ai dit plus haut, lui avait of­fert des di­zaines de ces briques dont la forme res­sem­blait à une main hu­maine. On ap­pe­lait ce thé «la main d’immortel». Un ma­tin, as­sis, res­sen­tant en­core les bien­faits de la bois­son, Li Po com­posa des vers su­perbes et une pré­face pour en faire l’éloge. C’est éga­le­ment au VIIIe siècle que na­quit Lu Tung 2, sur­nommé le «fou du thé». «Du ma­tin au soir», ex­plique M. Paul Bu­tel 3, «le maître [Lu Tung] ne fai­sait rien d’autre que de ré­ci­ter des poèmes et de pré­pa­rer la bois­son dont il raf­fo­lait avec tant de pas­sion que quelques-uns de ses contem­po­rains le crurent fou. N’écrit-il pas “je ne m’intéresse nul­le­ment à l’, mais seule­ment au goût du thé”?». Au­tant Lu Yu est cé­lèbre en prose pour son «Clas­sique du thé»; au­tant Lu Tung l’est en pour son chant des «Sept tasses de thé» 4, qui dé­crit re­mar­qua­ble­ment le plai­sir ap­porté par les tasses suc­ces­sives de thé, de­puis la pre­mière qui «hu­mecte lèvres et go­sier» jusqu’à la sep­tième qui pro­voque «un vent frais sous [les] ais­selles», c’est-à-dire une ex­tase qua­si­ment re­li­gieuse. Plus qu’une idéa­li­sa­tion de la ma­nière de boire, le thé re­pré­sente chez lui une de l’art de la , comme on le voit à son re­cluse, sub­tile, loin d’une dans le fonc­tion­na­riat. Son théisme est un dé­guisé.

  1. Le thé était ja­dis conservé sous forme de briques com­pres­sées, aussi dures qu’une , comme il s’en vend en­core dans les orien­tales de la . Icône Haut
  2. En chi­nois 盧仝. Par­fois trans­crit Lo­tung ou Lu Tong. Icône Haut
  1. « du thé», p. 22. Icône Haut
  2. En chi­nois «七碗茶». Par­fois tra­duit «Sept bols de thé». Ce chant n’est, en , que la par­tie cen­trale d’un long poème in­ti­tulé «Zoubi Meng jia­nyi ji xin­cha» («走筆謝孟諫議寄新茶»), c’est-à-dire «Re­mer­cie­ments em­pres­sés adres­sés au cen­seur im­pé­rial Meng pour son ca­deau de thé fraî­che­ment coupé». Icône Haut

Tu Fu, « Œuvre poétique. Tome II. La Guerre civile (755-759) »

éd. Les Belles Lettres, coll. Bibliothèque chinoise, Paris

éd. Les Belles Lettres, coll. Bi­blio­thèque chi­noise, Pa­ris

Il s’agit de l’«Œuvre » de  1 qui se dé­fi­nit par la so­briété des et l’exact réa­lisme des ta­bleaux. Sans se per­mettre des trop per­son­nels, s’effaçant, dis­pa­rais­sant en tant qu’auteur de­vant ses poé­sies qui parlent d’elles-mêmes, Tu peint les scènes fa­mi­lières de la cou­rante, les mi­sères du pe­tit en proie à la , à la fa­mine et aux in­jus­tices. Son «Œuvre poé­tique» adopte un ton égal et ap­pa­rem­ment im­pas­sible, mais qu’un dé­tail vient tout à coup rendre vi­vant, voire poi­gnant, grâce au choix de deux ou trois mots («der­rière les portes de laque rouge, viandes et vins em­pestent; sur les che­mins, les af­fa­més laissent leurs os ge­lés») aux­quels l’auteur sait don­ner leur va­leur en­tière, et qu’on di­rait pour l’éternité. Tu Fu est, à ce titre, le plus clas­sique des , même s’il y en a d’autres dont le est su­pé­rieur au sien 2. «Le trait prin­ci­pal de son ta­lent, ce­lui qui do­mine l’œuvre et vient le pre­mier à l’esprit cher­chant une im­pres­sion gé­né­rale, c’est le ca­rac­tère conscient et comme ré­flé­chi de ses œuvres. Tu Fu est un ar­tiste tou­jours sûr et conscient de ses moyens, sa­chant tou­jours par­fai­te­ment le but au­quel il tend. Il n’a guère d’élans im­pré­vus, de di­gres­sions dues à des spon­ta­né­ment écloses; il règle ses œuvres et leur ef­fet avec la d’un mé­ca­nisme in­faillible, ne lais­sant rien au ha­sard, n’omettant rien d’essentiel, n’ajoutant rien de su­per­flu… Mais ce sont là, pré­ci­sé­ment, les traits es­sen­tiels des prin­cipes de l’école clas­sique, les qua­li­tés idéales aux­quelles tend… la men­ta­lité ar­tis­tique des Tang 3, pé­riode du », dit M. Georges Mar­gou­liès.

  1. En chi­nois 杜甫. Par­fois trans­crit Du Fu, Dou-fou, Thou-fou, Thu Fu ou Tou Fou. Icône Haut
  2. Li Po et Bai Juyi. Icône Haut
  1. De l’an 618 à l’an 907. Icône Haut