Il s’agit d’une traduction partielle du « Grand Commentaire sur le traité “De l’âme” » (« Sharḥ kitâb al-nafs » 1) d’Ibn Rushd 2 (XIIe siècle apr. J.-C.). De tous les philosophes que l’islam donna à l’Espagne, celui qui laissa le plus de traces dans la mémoire des peuples, grâce à ses remarquables commentaires sur les écrits d’Aristote, fut Ibn Rushd, également connu sous les noms corrompus d’Aben-Rost, Averroïs, Averrhoës ou Averroès 3. Dans son Andalousie natale, ce coin privilégié du monde, le goût des sciences et des belles choses avait établi au Xe siècle une tolérance dont notre époque moderne peut à peine offrir un exemple. « Chrétiens, juifs, musulmans parlaient la même langue, chantaient les mêmes poésies, participaient aux mêmes études littéraires et scientifiques. Toutes les barrières qui séparent les hommes étaient tombées ; tous travaillaient d’un même accord à l’œuvre de la civilisation commune », dit Renan. Abû Ya‘ḳûb Yûsuf 4, calife de l’Andalousie et contemporain d’Ibn Rushd, fut le prince le plus lettré de son temps. L’illustre philosophe Ibn Thofaïl obtint à sa Cour une grande influence et en profita pour y attirer les savants de renom. Ce fut d’après le vœu exprimé par Yûsuf et sur les instances d’Ibn Thofaïl qu’Ibn Rushd entreprit de commenter Aristote. Jamais ce dernier n’avait reçu de soins aussi étendus, aussi sincères et dévoués que ceux que lui prodiguera Ibn Rushd. L’aristotélisme ne sera plus grec ; il sera arabe. « Mais la cause fatale qui a étouffé chez les musulmans les plus beaux germes de développement intellectuel, le fanatisme religieux, préparait déjà la ruine [de la philosophie] », dit Renan. Vers la fin du XIIe siècle, l’antipathie des imams et du peuple contre les études rationnelles se déchaîne sur toute la surface du monde musulman. Bientôt il suffira de dire d’un homme : « Un tel travaille à la philosophie ou donne des leçons d’astronomie », pour que les gens du peuple lui appliquent immédiatement le nom d’« impie », de « mécréant », etc. ; et que, si par malheur il persévère, ils le frappent dans la rue ou lui brûlent sa maison.
Abaï, « Poésie et Prose »
Il s’agit d’Abaï Kounanbaïouly 1, dit Abaï Kounanbaïev 2, poète éclairé et humaniste, intellectuel musulman, traducteur de Pouchkine, Lermontov et Krylov, père des lettres kazakhes (XIXe siècle). En 1956, Louis Aragon fondait la collection « Littératures soviétiques » chez Gallimard ; et parmi les œuvres choisies se trouvait le roman de Moukhtar Aouézov, « Abaï ». Dans son préambule, Aragon gratifiait le lecteur francophone de quelques aperçus sur le Kazakhstan ; et le roman d’Aouézov l’entraînait au cœur de la steppe, chez les Tobykty 3, la tribu d’Abaï, dont il retraçait la vie. Ce double travail renouvelait l’intérêt pour un poète qui avait ouvert les yeux des Kazakhs sur les choses du monde et suscitait les premières traductions des œuvres d’Abaï. Mais peut-être devrais-je moins parler d’Aragon et d’Aouézov que du poète kazakh qui est mon sujet. Abaï naissait en 1845. L’année suivante, le Kazakhstan était rattaché à la Russie. Le peuple était réduit au dernier degré de la misère ; il ne s’était pas encore délivré des chaînes de l’esclavage féodal, que déjà il tombait sous le joug cruel du tsarisme russe. Âme d’intellectuel, cœur de poète, Abaï comprendra les malheurs de ses compatriotes, et épris des idéaux de liberté, de justice, il brûlera du désir de les répandre autour de lui. Il débutera plein d’empressement, d’espérance. Hélas ! que de désillusions, que d’amères déceptions l’attendront dans la suite. Toute sa jeune énergie, toute sa robuste intelligence se consumera au milieu de l’indifférence générale. Et arrivé au seuil de la mort, « privé de forces » 4, il découvrira que rien n’a changé ; qu’il a trop manqué de soutiens ; que ses bons conseils ont laissé de marbre « tant de légions de [gens] enlisés dans leurs habitudes » 5 « proies faciles » 6 de chefs corrompus, de magistrats malhonnêtes, de mollahs ignares ou bien de leur propre veulerie et négligence. Il criera son désespoir, sa solitude spirituelle, ses vaines luttes contre l’inertie de son siècle dans ses poésies de maturité et surtout dans « Le Livre des dits » 7, ou littéralement « Les Paroles noires » (« Kara sözderi » 8), sorte de testament en prose. Puisant aux sources turco-persanes et russes, faite de sueur et de sang kazakhs, son œuvre littéraire se dressera, solitaire, dans le ciel de la steppe comme l’un de ces « cèdres du Liban altiers et élevés », l’un de ces « chênes du Bachân » célébrés dans la Bible 9.
- En kazakh Абай Құнанбайұлы. Autrefois transcrit Kunanbaïuly ou Kunanbaiuli. On rencontre aussi la graphie Ибраһим (Ibrahim), Abaï étant la déformation de ce prénom musulman. Autrefois transcrit Ibragim, Ibroghim ou Ibraghim.
- En russe Абай Кунанбаев. Parfois transcrit Kounanbaev, Kunanbaev, Qunanbaev, Kunanbaiev, Kunanbayev, Kounanbayev, Qunanbajev ou Kunanbajev.
- En kazakh Тобықты.
- p. 91.
- p. 74.
- p. 23.
- Autrefois traduit « Réflexions en prose », « Sermons » ou « Paroles édifiantes ».
- En kazakh « Қара сөздері ». On rencontre aussi la graphie « Қара сөз » (« Kara söz »). Parfois transcrit « Qara söz ».
- « Livre d’Isaïe », II, 13 ; « Zacharie », XI, 1-2 ; « Livre d’Ézéchiel », XXVII, 5-6 ; etc.
« Junping, à son aise dans la simplicité, lumineux dans l’obscurité »
dans Béatrice L’Haridon, « La Recherche du modèle dans les dialogues du “Fayan” de Yang Xiong » (éd. Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco), Paris), p. 35
Il s’agit de Zhuang Zun ou Yan Zun 1, plus connu sous le nom de Zhuang Junping ou Yan Junping 2, sage chinois qui vendait de la divination sur la place du marché, mais de manière à encourager les habitants de Shu 3 (l’actuelle province de Sichuan) à pratiquer la moralité. Avant de parler de sa vie, je voudrais rapporter l’éloge laissé par son disciple Yang Xiong : « Zhuang de Shu, solitaire et profond — Zhuang de Shu, dont la valeur est si précieuse, n’agit pas pour la reconnaissance et ne s’engage pas pour un profit. Il demeure dans l’obscurité sans se départir de son style de vie. Même les joyaux de Sui et de He n’ont pas plus de valeur » 4. Une vie sans faste, éloignée des places et dignités de l’État, a fait de Zhuang Junping un héros moral non seulement aux yeux des taoïstes, mais aussi des confucéens. Les confucéens voyaient ce retrait comme une réponse très digne au désordre politique de l’époque ; les taoïstes comme le seul moyen d’atteindre l’illumination spirituelle. Zhuang Junping pratiquait la divination sur la place du marché. Voici ce qu’il en dit 5 : « La divination permet de gagner sa vie tout en exerçant une influence bénéfique sur la population. Face à une question injuste ou mauvaise, je me sers de l’achillée et de [l’écaille de] tortue 6 pour expliquer la distinction entre le nuisible et le profitable. Lorsque je m’adresse à un fils, je parle en fait de piété filiale… et à un serviteur, je parle de loyauté. À chaque fois, je tiens compte de leur situation particulière pour les mener au bien ». Quand dans la journée il avait gagné cent sous, juste de quoi s’entretenir, Zhuang Junping pliait aussitôt son étal, décrochait son enseigne et professait le « Tao te king ». Se fondant sur l’enseignement de Confucius le jour et sur celui de Lao-tseu et de Tchouang-tseu le soir, ses vues étaient extrêmement vastes. Rien ne lui était inaccessible. Il était d’avis que ceux qui lui promettaient réputation ou fortune le faisaient pour lui faire perdre le fil, pour lui embrouiller la tête, pour lui nuire. C’est pourquoi il n’accepta jamais aucune charge officielle. Les gens de Shu ne l’en estimèrent que davantage. Il mourut à plus de quatre-vingt-dix ans.
- En chinois 莊遵 ou 嚴遵. Parfois transcrit Tchouang Tsouen, Chuang Tsun, Yen Tsouen ou Yen Tsun.
- En chinois 莊君平 ou 嚴君平. Parfois transcrit Yen Kiun-p’ing ou Yen Chü-p’ing.
- En chinois 蜀. Parfois transcrit Chu ou Chou.
- « Maîtres Mots », p. 56.
- id. p. XV-XVI.
- Deux principaux procédés de divination.
Nârâyaṇa, « Le “Hitopadesha” : recueil de contes de l’Inde ancienne »
Il s’agit du « Hitopadeśa » 1 (« Instruction profitable » 2), recueil en langue sanscrite (sans doute IXe ou Xe siècle apr. J.-C.). C’est une espèce de traité d’éducation, où les fables sont en prose, et les sentences et maximes morales et politiques — en vers. Les premières sont comme les branches de l’arbre, et les secondes — comme ses fruits, la partie véritablement succulente que les lecteurs savourent avec délices. Les maximes sur la science et la sagesse y abondent, car c’est là, comme on sait, un des thèmes favoris des Orientaux. « De tous les biens », dit le « Hitopadeśa » 3, « la science est le bien le plus haut, parce qu’on ne peut ni l’enlever ni en estimer le prix, et qu’à jamais elle est impérissable. Même possédée par un quelconque individu, la science rapproche du prince inaccessible un homme… comme une rivière, même coulant en basse région, rejoint l’océan inaccessible ! » « Le fabuliste indien », dit Théodore Pavie 4, « ne se contente donc pas de recueillir au passage la fable qui a cours autour de lui, quitte à la jeter dans un moule plus achevé. Il veut composer un code de sagesse à l’usage des petits et des grands… parce qu’il est non seulement poète, mais brahmane ; et le brahmane dans l’Inde a le droit exclusif d’enseigner et de dogmatiser. Aussi, après avoir parlé dans les deux premières parties de son livre — “L’Acquisition” et “La Séparation des amis” — au peuple, à la société en général… l’auteur du “Hitopadeśa” s’adresse hardiment aux rois. » Des trente-huit contes contenus dans le « Hitopadeśa », vingt sont tirés du « Pañcatantra ». Mais comme l’auteur nous l’annonce lui-même dans son « Introduction » 5, le « Pañcatantra » n’est pas la seule source où il ait puisé ces histoires ingénieuses qu’il a, de toute façon, disposées dans un ordre nouveau et ornées de sentences à sa manière, qui élèvent le « Hitopadeśa » au-dessus des autres recueils de fables indiennes. Qui peut nous dire, au reste, si les livres primitifs d’après lesquels il a travaillé n’étaient pas eux-mêmes des imitations de livres plus anciens ? Il est à regretter que notre fabuliste n’ait laissé aucun renseignement sur sa vie et sa carrière. Il n’a donné que son nom, Nârâyaṇa 6, en guise de signature : « Tant que Lakṣmî étincellera dans le cœur de l’Ennemi de Mura 7 comme l’éclair dans un nuage, tant que le mont Doré, que le soleil incendie, à un feu de forêt ressemblera, puisse circuler cette collection d’histoires composée par Nârâyaṇa ! »
- En sanscrit « हितोपदेश ». Parfois transcrit « Hito-padeça », « Hĕĕtōpădēs », « Hitopadès », « Hitopadesh » ou « Hitopadesha ».
- Autrefois traduit « Instruction amicale », « Le Bon Conseil », « L’Instruction utile », « L’Enseignement du bien », « L’Enseignement bénéfique » ou « Avis salutaire ».
- p. 25.
- « L’Apologue dans la société hindoue », p. 828.
Yang Xiong, « Rhapsodie du grand mystère, “Taixuan fu” »
dans « Anthologie de la poésie chinoise » (éd. Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, Paris)
Il s’agit de la « Rhapsodie de la chasse des gardes impériaux » 1 (« Yulie fu » 2), de la « Rhapsodie du grand mystère » 3 (« Taixuan fu » 4) et autres poésies de Yang Xiong 5, un des représentants mineurs de la littérature et de la pensée chinoise, imitateur des classiques. Il vit le jour en l’an 53 av. J.-C. et mourut en l’an 18 apr. J.-C. Issu d’une famille noble, mais dont « les possessions n’atteignaient pas même dix “jin” d’or », et qui « manquait de réserves en grains », il réussit à avoir pour maîtres les meilleurs professeurs de Shu 6 (l’actuelle province de Sichuan) : Zhuang Zun, Li Hong et Lin Lü. Tous les trois étaient experts en divination, en sinogrammes « étranges » (ceux antérieurs à la graphie qui s’imposa sous les Qin) et en traditions confucéennes et taoïstes. La quarantaine passée, il partit de Shu et s’en alla à la capitale Chang’an 7 où on le moqua pour sa parole embarrassée et sa façon d’écrire en style de sa province — « un style », disait-on, « détestable » 8. En l’an 11 apr. J.-C., toujours obscur et pauvre malgré ses fonctions de « gentilhomme de la porte jaune » 9 (« huangmen lang » 10), il fut faussement accusé d’avoir trempé dans le complot contre le nouvel Empereur Wang Mang. En désespoir de cause, il sauta du haut d’une tour de la Bibliothèque impériale, mais survécut à ses blessures et fut mis hors de cause par l’Empereur en personne. Peu après, cette épigramme circula dans la capitale, lui reprochant ses habitudes d’ermite, son goût presque suspect pour la solitude et le silence :
« “Solitaire et silencieux”
Il se jette du haut de la tour !
“Pur et tranquille”
Il compose des présages ! »
- Autrefois traduit « “Fou” sur la chasse avec les gardes impériaux » ou « Description de la chasse (où les soldats portaient) des plumages ».
- En chinois « 羽獵賦 ». Parfois transcrit « Yü-lieh fu » ou « Yu-lie fou ».
- C’est le pendant poétique du « Classique du grand mystère ».
- En chinois « 太玄賦 ». Parfois transcrit « T’ai-hsüan fu » ou « T’ai-hiuan fou ».
- En chinois 揚雄. Autrefois transcrit Jang-hiong, Yang Hsiung, Yang Hyong ou Yang-hioung. Également connu sous les noms de Yang Ziyun (揚子雲) et de Yang Zi (揚子). Parfois transcrit Yang Tzu-yün, Yang Tse Yün ou Yang-tseu.
- En chinois 蜀. Parfois transcrit Chu ou Chou.
- Aujourd’hui Xi’an (西安). Autrefois transcrit Tch’ang-ngan.
- Dans le père Léon Wieger, « Histoire des croyances religieuses et des opinions philosophiques en Chine : depuis l’origine jusqu’à nos jours », p. 315.
- Autrefois traduit « gentilhomme des portes impériales » ou « secrétaire des portes impériales ».
- En chinois 黃門郎. Autrefois transcrit « houang-men lang ».
Yang Xiong, « Maîtres Mots »
Il s’agit des « Maîtres Mots », ou littéralement « Propos modèles » 1 (« Fayan » 2), de Yang Xiong 3, un des représentants mineurs de la littérature et de la pensée chinoise, imitateur des classiques. Il vit le jour en l’an 53 av. J.-C. et mourut en l’an 18 apr. J.-C. Issu d’une famille noble, mais dont « les possessions n’atteignaient pas même dix “jin” d’or », et qui « manquait de réserves en grains », il réussit à avoir pour maîtres les meilleurs professeurs de Shu 4 (l’actuelle province de Sichuan) : Zhuang Zun, Li Hong et Lin Lü. Tous les trois étaient experts en divination, en sinogrammes « étranges » (ceux antérieurs à la graphie qui s’imposa sous les Qin) et en traditions confucéennes et taoïstes. La quarantaine passée, il partit de Shu et s’en alla à la capitale Chang’an 5 où on le moqua pour sa parole embarrassée et sa façon d’écrire en style de sa province — « un style », disait-on, « détestable » 6. En l’an 11 apr. J.-C., toujours obscur et pauvre malgré ses fonctions de « gentilhomme de la porte jaune » 7 (« huangmen lang » 8), il fut faussement accusé d’avoir trempé dans le complot contre le nouvel Empereur Wang Mang. En désespoir de cause, il sauta du haut d’une tour de la Bibliothèque impériale, mais survécut à ses blessures et fut mis hors de cause par l’Empereur en personne. Peu après, cette épigramme circula dans la capitale, lui reprochant ses habitudes d’ermite, son goût presque suspect pour la solitude et le silence :
« “Solitaire et silencieux”
Il se jette du haut de la tour !
“Pur et tranquille”
Il compose des présages ! »
- Autrefois traduit « Paroles sur la loi » ou « Les Paroles exemplaires ».
- En chinois « 法言 ». Parfois transcrit « Fa-yen », « Fa jen » ou « Fă-jan ».
- En chinois 揚雄. Autrefois transcrit Jang-hiong, Yang Hsiung, Yang Hyong ou Yang-hioung. Également connu sous les noms de Yang Ziyun (揚子雲) et de Yang Zi (揚子). Parfois transcrit Yang Tzu-yün, Yang Tse Yün ou Yang-tseu.
- En chinois 蜀. Parfois transcrit Chu ou Chou.
- Aujourd’hui Xi’an (西安). Autrefois transcrit Tch’ang-ngan.
- Dans le père Léon Wieger, « Histoire des croyances religieuses et des opinions philosophiques en Chine : depuis l’origine jusqu’à nos jours », p. 315.
- Autrefois traduit « gentilhomme des portes impériales » ou « secrétaire des portes impériales ».
- En chinois 黃門郎. Autrefois transcrit « houang-men lang ».
Sénèque le philosophe, « Tragédies. Tome II. [Thyeste • Agamemnon • Hercule sur l’Œta • Les Phéniciennes • Octavie] »
Il s’agit d’« Hercule sur l’Œta » 1 (« Hercules Œtæus ») et autres œuvres de Sénèque le philosophe 2, moraliste latin doublé d’un psychologue, dont les œuvres assez décousues, mais riches en remarques inestimables, sont « un trésor de morale et de bonne philosophie » 3. Il naquit à Cordoue vers 4 av. J.-C. Il entra, par le conseil de son père, dans la carrière du barreau, et ses débuts eurent tant d’éclat que le prince Caligula, qui avait des prétentions à l’éloquence, jaloux du bruit de sa renommée, parla de le faire mourir. Sénèque ne dut son salut qu’à sa santé chancelante, minée par les veilles studieuses à la lueur de la lampe. On rapporta à Caligula que ce jeune phtisique avait à peine le souffle, que ce serait tuer un mourant. Et Caligula se rendit à ces raisons et se contenta d’adresser à son rival des critiques quelquefois fondées, mais toujours malveillantes, appelant son style « du sable sans chaux » (« arena sine calce »), et ses discours oratoires — « de pures tirades théâtrales ». Dès lors, Sénèque ne pensa qu’à se faire oublier ; il s’adonna tout entier à la philosophie et n’eut d’autres fréquentations que des stoïciens. Cependant, son père, craignant qu’il ne se fermât l’accès aux honneurs, l’exhorta à revenir à la carrière publique et à ne pas bouder les compromissions. En 49 apr. J.-C., Sénèque se vit confier par Agrippine l’éducation de Néron. On sait ce que fut Néron. Sénèque ne pouvait pas raisonnablement espérer de faire un homme recommandable de ce sale garnement, de ce triste élève, « mal élevé, vaniteux, insolent, sensuel, hypocrite, paresseux » 4. Néron, en revanche, fit de notre auteur un « ami » forcé, un collaborateur malgré lui, le chargeant de rédiger ses allocutions au sénat, dont celle où il représentait le meurtre de sa mère Agrippine comme un bonheur inespéré pour Rome. Toutes les belles leçons, tous les bons offices de Sénèque en tant que ministre de Néron n’aboutirent qu’à retarder de quelques années l’éclosion des pires monstruosités. Alors, il chercha à échapper à ses hautes, mais déshonorantes fonctions. Il demanda de partir à la campagne, en renonçant à ses biens qui, dit-il, l’exposaient à l’envie générale. Malgré les refus de Néron, qui se rendait compte que la retraite de son ministre serait interprétée comme un désaveu de la politique impériale, Sénèque ne recula pas. « En réalité, sa vertu lui faisait habiter une autre région de l’univers ; il n’avait [plus] rien de commun avec vous » (« At illum in aliis mundi finibus sua virtus collocavit, nihil vobiscum commune habentem ») 5. Il se retira du monde et des affaires du monde avec sa femme, Pauline, et il prétexta quelque maladie pour ne point sortir de chez lui.
- Parfois traduit « Hercule sur le mont Oéta ».
- En latin Lucius Annæus Seneca.
- le comte Joseph de Maistre, « Œuvres complètes. Tome V. Les Soirées de Saint-Pétersbourg (suite et fin) ».
Sénèque le philosophe, « Tragédies. Tome I. [Hercule furieux • Les Troyennes • Médée • Hippolyte • Œdipe] »
Il s’agit de « Médée » (« Medea ») et autres œuvres de Sénèque le philosophe 1, moraliste latin doublé d’un psychologue, dont les œuvres assez décousues, mais riches en remarques inestimables, sont « un trésor de morale et de bonne philosophie » 2. Il naquit à Cordoue vers 4 av. J.-C. Il entra, par le conseil de son père, dans la carrière du barreau, et ses débuts eurent tant d’éclat que le prince Caligula, qui avait des prétentions à l’éloquence, jaloux du bruit de sa renommée, parla de le faire mourir. Sénèque ne dut son salut qu’à sa santé chancelante, minée par les veilles studieuses à la lueur de la lampe. On rapporta à Caligula que ce jeune phtisique avait à peine le souffle, que ce serait tuer un mourant. Et Caligula se rendit à ces raisons et se contenta d’adresser à son rival des critiques quelquefois fondées, mais toujours malveillantes, appelant son style « du sable sans chaux » (« arena sine calce »), et ses discours oratoires — « de pures tirades théâtrales ». Dès lors, Sénèque ne pensa qu’à se faire oublier ; il s’adonna tout entier à la philosophie et n’eut d’autres fréquentations que des stoïciens. Cependant, son père, craignant qu’il ne se fermât l’accès aux honneurs, l’exhorta à revenir à la carrière publique et à ne pas bouder les compromissions. En 49 apr. J.-C., Sénèque se vit confier par Agrippine l’éducation de Néron. On sait ce que fut Néron. Sénèque ne pouvait pas raisonnablement espérer de faire un homme recommandable de ce sale garnement, de ce triste élève, « mal élevé, vaniteux, insolent, sensuel, hypocrite, paresseux » 3. Néron, en revanche, fit de notre auteur un « ami » forcé, un collaborateur malgré lui, le chargeant de rédiger ses allocutions au sénat, dont celle où il représentait le meurtre de sa mère Agrippine comme un bonheur inespéré pour Rome. Toutes les belles leçons, tous les bons offices de Sénèque en tant que ministre de Néron n’aboutirent qu’à retarder de quelques années l’éclosion des pires monstruosités. Alors, il chercha à échapper à ses hautes, mais déshonorantes fonctions. Il demanda de partir à la campagne, en renonçant à ses biens qui, dit-il, l’exposaient à l’envie générale. Malgré les refus de Néron, qui se rendait compte que la retraite de son ministre serait interprétée comme un désaveu de la politique impériale, Sénèque ne recula pas. « En réalité, sa vertu lui faisait habiter une autre région de l’univers ; il n’avait [plus] rien de commun avec vous » (« At illum in aliis mundi finibus sua virtus collocavit, nihil vobiscum commune habentem ») 4. Il se retira du monde et des affaires du monde avec sa femme, Pauline, et il prétexta quelque maladie pour ne point sortir de chez lui.
- En latin Lucius Annæus Seneca.
- le comte Joseph de Maistre, « Œuvres complètes. Tome V. Les Soirées de Saint-Pétersbourg (suite et fin) ».
Pamuk, « Les Nuits de la peste : roman »
Il s’agit du roman « Les Nuits de la peste » (« Veba Geceleri ») de M. Orhan Pamuk, écrivain turc pour lequel le centre du monde est Istanbul, non seulement parce qu’il y a passé toute sa vie, mais aussi parce que toute sa vie il en a raconté les recoins les plus intimes. En 1850, Gustave Flaubert, en arrivant à Istanbul, frappé par la gigantesque bigarrure de cette ville, par le côtoiement de « tant d’individualités séparées, dont l’addition formidable aplatit la vôtre », avait écrit que Constantinople deviendrait « plus tard la capitale de la Terre » 1. Cette naïve prédiction n’empêcha pas l’Empire turc de s’écrouler et de disparaître, et la capitale de perdre son nom de Constantinople, vidée de ses Grecs, ses Arméniens, ses Juifs. À la naissance de M. Pamuk, tout juste un siècle après le séjour de Flaubert, Istanbul, en tant que ville mondiale, n’était plus qu’une ombre crépusculaire et vivait les jours les plus faibles, les moins glorieux de ses deux mille ans d’histoire. La douce tristesse de ses rues fanées et flétries, de son passé tombé en disgrâce perçait de toute part ; elle avait une présence visible dans le paysage et chez les gens ; elle recouvrait tel un brouillard « les vieilles fontaines brisées ici et là, taries depuis des années, les boutiques de bric et de broc apparues… aux abords immédiats des vieilles mosquées…, les trottoirs sales, tout tordus et défoncés…, les vieux cimetières égrenés sur les hauteurs…, les lampadaires falots », dit M. Pamuk 2. Parce que cette tristesse était causée par le fait d’être des rejetons d’un ancien Empire, les Stambouliotes préféraient faire table rase du passé. Ils arrachaient des pierres aux murailles et aux vénérables édifices afin de s’en servir pour leurs propres constructions. Détruire, brûler, ériger à la place un immeuble occidental et moderne était leur manière d’oublier — un peu comme un amant qui, pour effacer le souvenir douloureux d’une ancienne maîtresse, se débarrasse en hâte des vêtements, des bijoux, des photographies et des meubles. Au bout du compte, ce traitement de choc et ces destructions par le feu ne faisaient qu’accroître le sentiment de tristesse, en lui ajoutant le ton du désespoir et de la misère. « L’effort d’occidentalisation », dit M. Pamuk 3, « ouvrit la voie… à la transformation des intérieurs domestiques en musées d’une culture jamais vécue. Des années après, j’ai éprouvé toute cette incongruité… Ce sentiment de tristesse, enfoui définitivement dans les tréfonds de la ville, me fit prendre conscience de la nécessité de construire mon propre imaginaire, si je ne voulais pas être prisonnier… » Un soir, après avoir poussé la porte de la maison familiale, franchi le seuil et longuement marché dans ces rues qui lui apportaient consolation et réconfort, M. Pamuk rentra au milieu de la nuit et s’assit à sa table pour restituer quelque chose de leur atmosphère et de leur alchimie. Le lendemain, il annonça à sa famille qu’il serait écrivain.
Lucilius, « L’Etna »
Il s’agit de « L’Etna » (« Ætna »), poème scientifique, qui décrit et explique les causes naturelles des divers phénomènes physiques que présente le célèbre volcan de ce nom (Ier siècle apr. J.-C.). On ne sait pas précisément qui en est l’auteur. On lit dans Sénèque (« Lettres à Lucilius », lettre LXXIX) que Virgile, Ovide et Cornelius Severus ont écrit successivement sur l’Etna. Il est possible d’attribuer le poème à l’un de ces grands noms. Toutefois, dans le même passage, Sénèque invite Lucilius le Jeune (Lucilius Junior), son ami et son correspondant, à profiter de sa tournée administrative en Sicile pour « aborder [lui] aussi une matière qui attire tous les poètes » et insiste sur les excellentes dispositions où est ce dernier, à la fois par ses penchants philosophiques et littéraires et par ses connaissances locales sur la Sicile, pour traiter du majestueux rival du Vésuve. Cela concourt à le faire accepter comme l’auteur. Sénèque ne lui dit-il pas : « Je ne te connais pas, ou l’Etna te fait déjà venir l’eau à la bouche : tu aspires à composer quelque grand ouvrage égal à ce qu’ont produit tes devanciers » ? « L’Etna » compte, selon les éditions, de 640 à 648 vers hexamètres, écrits avec une rare précision de style. Postérieur d’un demi-siècle aux « Astronomiques », il procède à peu près du même esprit. Comme Manilius, l’auteur de « L’Etna » est un homme dur pour les fables menteuses répandues par les poètes : « D’abord, qu’on ne se laisse pas abuser par les fictions des poètes » (« Principio, ne quem capiat fallacia vatum ») ; « c’est en vain que j’essayerais d’expliquer la cause de chaque phénomène, si vous persistez dans une opinion mensongère » (« frustra certis disponere singula causis tentamus, si firma manet tibi fabula mendax »). Il veut donc des faits, rien que des faits, mais des faits bien avérés ; il s’y passionne. Comme Lucrèce, il chante « la délicieuse volupté » (« jucunda voluptas ») de la certitude scientifique, la joie triomphale de la découverte : « Toutes ces merveilles qui frappent nos yeux dans ce vaste Univers, ne pas les laisser dispersées et confondues dans la masse des phénomènes, mais les observer, les classer par leur caractère distinctif : voilà pour l’esprit un plaisir délicieux et divin ». Enfin, il déplore que nous autres, mortels, nous nous tourmentions misérablement pour des riens, nous supportions mille fatigues dans le vain espoir de faire fortune, alors que « chose honteuse ! les sciences qui… enseignent le vrai sont réduites au silence et délaissées comme indifférentes ou stériles ».
Sénèque le philosophe, « L’Apocoloquintose du divin Claude »
Il s’agit de « L’Apocoloquintose du divin Claude » 1 (« Divi Claudii Apocolocyntosis » 2) de Sénèque le philosophe 3, moraliste latin doublé d’un psychologue, dont les œuvres assez décousues, mais riches en remarques inestimables, sont « un trésor de morale et de bonne philosophie » 4. Il naquit à Cordoue vers 4 av. J.-C. Il entra, par le conseil de son père, dans la carrière du barreau, et ses débuts eurent tant d’éclat que le prince Caligula, qui avait des prétentions à l’éloquence, jaloux du bruit de sa renommée, parla de le faire mourir. Sénèque ne dut son salut qu’à sa santé chancelante, minée par les veilles studieuses à la lueur de la lampe. On rapporta à Caligula que ce jeune phtisique avait à peine le souffle, que ce serait tuer un mourant. Et Caligula se rendit à ces raisons et se contenta d’adresser à son rival des critiques quelquefois fondées, mais toujours malveillantes, appelant son style « du sable sans chaux » (« arena sine calce »), et ses discours oratoires — « de pures tirades théâtrales ». Dès lors, Sénèque ne pensa qu’à se faire oublier ; il s’adonna tout entier à la philosophie et n’eut d’autres fréquentations que des stoïciens. Cependant, son père, craignant qu’il ne se fermât l’accès aux honneurs, l’exhorta à revenir à la carrière publique et à ne pas bouder les compromissions. En 49 apr. J.-C., Sénèque se vit confier par Agrippine l’éducation de Néron. On sait ce que fut Néron. Sénèque ne pouvait pas raisonnablement espérer de faire un homme recommandable de ce sale garnement, de ce triste élève, « mal élevé, vaniteux, insolent, sensuel, hypocrite, paresseux » 5. Néron, en revanche, fit de notre auteur un « ami » forcé, un collaborateur malgré lui, le chargeant de rédiger ses allocutions au sénat, dont celle où il représentait le meurtre de sa mère Agrippine comme un bonheur inespéré pour Rome. Toutes les belles leçons, tous les bons offices de Sénèque en tant que ministre de Néron n’aboutirent qu’à retarder de quelques années l’éclosion des pires monstruosités. Alors, il chercha à échapper à ses hautes, mais déshonorantes fonctions. Il demanda de partir à la campagne, en renonçant à ses biens qui, dit-il, l’exposaient à l’envie générale. Malgré les refus de Néron, qui se rendait compte que la retraite de son ministre serait interprétée comme un désaveu de la politique impériale, Sénèque ne recula pas. « En réalité, sa vertu lui faisait habiter une autre région de l’univers ; il n’avait [plus] rien de commun avec vous » (« At illum in aliis mundi finibus sua virtus collocavit, nihil vobiscum commune habentem ») 6. Il se retira du monde et des affaires du monde avec sa femme, Pauline, et il prétexta quelque maladie pour ne point sortir de chez lui.
- Parfois traduit « Facétie satirique sur la mort du César Claude, vulgairement appelée Apokolokyntose », « Apolochintose, ou Incucurbitation, c’est-à-dire Métamorphose de l’Empereur Claude en citrouille », « Apocolocyntose, ou Discours plein de moquerie sur la mort de Claudius » ou « L’Apocolokintosis sur la mort de l’Empereur Claude ».
- Également connu sous les titres de « Divi Claudii Apotheosis per saturam » (« L’Apothéose burlesque du divin Claude ») et de « Ludus de morte Claudii Cæsaris » (« Fantaisie sur la mort du César Claude »), le mot forgé « apocoloquintose » ayant désorienté les copistes qui lui ont substitué le mot propre « apothéose burlesque ».
- En latin Lucius Annæus Seneca.
- le comte Joseph de Maistre, « Œuvres complètes. Tome V. Les Soirées de Saint-Pétersbourg (suite et fin) ».
- Waltz, « Vie de Sénèque » (éd. Perrin, Paris), p. 160.
- « De la constance du sage », ch. XV, sect. 2.
Sénèque le philosophe, « Questions naturelles. Tome II. Livres IV-VII »
Il s’agit de « Questions naturelles » 1 (« Naturales Quæstiones ») de Sénèque le philosophe 2, moraliste latin doublé d’un psychologue, dont les œuvres assez décousues, mais riches en remarques inestimables, sont « un trésor de morale et de bonne philosophie » 3. Il naquit à Cordoue vers 4 av. J.-C. Il entra, par le conseil de son père, dans la carrière du barreau, et ses débuts eurent tant d’éclat que le prince Caligula, qui avait des prétentions à l’éloquence, jaloux du bruit de sa renommée, parla de le faire mourir. Sénèque ne dut son salut qu’à sa santé chancelante, minée par les veilles studieuses à la lueur de la lampe. On rapporta à Caligula que ce jeune phtisique avait à peine le souffle, que ce serait tuer un mourant. Et Caligula se rendit à ces raisons et se contenta d’adresser à son rival des critiques quelquefois fondées, mais toujours malveillantes, appelant son style « du sable sans chaux » (« arena sine calce »), et ses discours oratoires — « de pures tirades théâtrales ». Dès lors, Sénèque ne pensa qu’à se faire oublier ; il s’adonna tout entier à la philosophie et n’eut d’autres fréquentations que des stoïciens. Cependant, son père, craignant qu’il ne se fermât l’accès aux honneurs, l’exhorta à revenir à la carrière publique et à ne pas bouder les compromissions. En 49 apr. J.-C., Sénèque se vit confier par Agrippine l’éducation de Néron. On sait ce que fut Néron. Sénèque ne pouvait pas raisonnablement espérer de faire un homme recommandable de ce sale garnement, de ce triste élève, « mal élevé, vaniteux, insolent, sensuel, hypocrite, paresseux » 4. Néron, en revanche, fit de notre auteur un « ami » forcé, un collaborateur malgré lui, le chargeant de rédiger ses allocutions au sénat, dont celle où il représentait le meurtre de sa mère Agrippine comme un bonheur inespéré pour Rome. Toutes les belles leçons, tous les bons offices de Sénèque en tant que ministre de Néron n’aboutirent qu’à retarder de quelques années l’éclosion des pires monstruosités. Alors, il chercha à échapper à ses hautes, mais déshonorantes fonctions. Il demanda de partir à la campagne, en renonçant à ses biens qui, dit-il, l’exposaient à l’envie générale. Malgré les refus de Néron, qui se rendait compte que la retraite de son ministre serait interprétée comme un désaveu de la politique impériale, Sénèque ne recula pas. « En réalité, sa vertu lui faisait habiter une autre région de l’univers ; il n’avait [plus] rien de commun avec vous » (« At illum in aliis mundi finibus sua virtus collocavit, nihil vobiscum commune habentem ») 5. Il se retira du monde et des affaires du monde avec sa femme, Pauline, et il prétexta quelque maladie pour ne point sortir de chez lui.
- Parfois traduit « La Philosophie naturelle, ou Météorologie ».
- En latin Lucius Annæus Seneca.
- le comte Joseph de Maistre, « Œuvres complètes. Tome V. Les Soirées de Saint-Pétersbourg (suite et fin) ».
Sénèque le philosophe, « Questions naturelles. Tome I. Livres I-III »
Il s’agit de « Questions naturelles » 1 (« Naturales Quæstiones ») de Sénèque le philosophe 2, moraliste latin doublé d’un psychologue, dont les œuvres assez décousues, mais riches en remarques inestimables, sont « un trésor de morale et de bonne philosophie » 3. Il naquit à Cordoue vers 4 av. J.-C. Il entra, par le conseil de son père, dans la carrière du barreau, et ses débuts eurent tant d’éclat que le prince Caligula, qui avait des prétentions à l’éloquence, jaloux du bruit de sa renommée, parla de le faire mourir. Sénèque ne dut son salut qu’à sa santé chancelante, minée par les veilles studieuses à la lueur de la lampe. On rapporta à Caligula que ce jeune phtisique avait à peine le souffle, que ce serait tuer un mourant. Et Caligula se rendit à ces raisons et se contenta d’adresser à son rival des critiques quelquefois fondées, mais toujours malveillantes, appelant son style « du sable sans chaux » (« arena sine calce »), et ses discours oratoires — « de pures tirades théâtrales ». Dès lors, Sénèque ne pensa qu’à se faire oublier ; il s’adonna tout entier à la philosophie et n’eut d’autres fréquentations que des stoïciens. Cependant, son père, craignant qu’il ne se fermât l’accès aux honneurs, l’exhorta à revenir à la carrière publique et à ne pas bouder les compromissions. En 49 apr. J.-C., Sénèque se vit confier par Agrippine l’éducation de Néron. On sait ce que fut Néron. Sénèque ne pouvait pas raisonnablement espérer de faire un homme recommandable de ce sale garnement, de ce triste élève, « mal élevé, vaniteux, insolent, sensuel, hypocrite, paresseux » 4. Néron, en revanche, fit de notre auteur un « ami » forcé, un collaborateur malgré lui, le chargeant de rédiger ses allocutions au sénat, dont celle où il représentait le meurtre de sa mère Agrippine comme un bonheur inespéré pour Rome. Toutes les belles leçons, tous les bons offices de Sénèque en tant que ministre de Néron n’aboutirent qu’à retarder de quelques années l’éclosion des pires monstruosités. Alors, il chercha à échapper à ses hautes, mais déshonorantes fonctions. Il demanda de partir à la campagne, en renonçant à ses biens qui, dit-il, l’exposaient à l’envie générale. Malgré les refus de Néron, qui se rendait compte que la retraite de son ministre serait interprétée comme un désaveu de la politique impériale, Sénèque ne recula pas. « En réalité, sa vertu lui faisait habiter une autre région de l’univers ; il n’avait [plus] rien de commun avec vous » (« At illum in aliis mundi finibus sua virtus collocavit, nihil vobiscum commune habentem ») 5. Il se retira du monde et des affaires du monde avec sa femme, Pauline, et il prétexta quelque maladie pour ne point sortir de chez lui.
- Parfois traduit « La Philosophie naturelle, ou Météorologie ».
- En latin Lucius Annæus Seneca.
- le comte Joseph de Maistre, « Œuvres complètes. Tome V. Les Soirées de Saint-Pétersbourg (suite et fin) ».