Il s’agit d’une traduction partielle de « Ce dont le Maître ne parlait pas » (« Zi bu yu » 1) de Yuan Mei, collection chinoise de contes, d’historiettes, de faits divers, mettant en scène toutes sortes d’esprits ou d’êtres surnaturels (XVIIIe siècle). Le titre renvoie au passage suivant des « Entretiens de Confucius » : « Le Maître ne traitait ni des prodiges, ni de la violence, ni du désordre, ni des esprits » 2. Or, tels sont justement les thèmes qui sont abordés avec prédilection dans « Ce dont le Maître ne parlait pas ». Par la suite, sans doute pour éviter de trop se compromettre aux yeux des bien-pensants, Yuan Mei changea ce titre quelque peu frondeur par celui de « Nouveau “Qi xie” » (« Xin “Qi xie” » 3) tiré, cette fois-ci, de « L’Œuvre complète » de Tchouang-tseu, où il est question d’un livre ou d’un homme qui aurait recueilli des légendes et qui se serait appelé Qi xie. Yuan Mei s’empara donc de cette appellation obscure pour en tirer une nouvelle, volontairement énigmatique, et sur laquelle ses adversaires ne pouvaient faire que des conjectures, en l’absence de toute autre explication. « Aux yeux de la postérité, le renom de Yuan Mei tient surtout à l’originalité et au charme de sa poésie. Le “Zi bu yu” n’est souvent considéré que comme une œuvre mineure, sinon même indigne de son auteur », explique M. Jean-Pierre Diény 4. Dans un XVIIIe siècle marqué, en Chine, par une éclosion de contes, le recueil de Yuan Mei fait, en effet, modeste figure aux côtés de deux recueils plus importants : les « Contes extraordinaires du pavillon des loisirs » du sublime Pu Songling, qui mourut un an avant la naissance de Yuan Mei, et les « Notes de la chaumière des observations subtiles » de l’érudit Ji Yun, son cadet de quelques années. En bannissant de sa prose les élégances de la poésie, en ne cherchant l’inspiration que dans les confidences de parents et d’amis, en abordant le sexe jusque dans ses aspects les moins attendus, Yuan Mei est par trop désinvolte, et les herbes folles abondent dans son ouvrage. Il le présente avec raison, dans sa préface, comme un recueil « de récits abracadabrants, sans profonde signification » fait principalement « pour le plaisir » 5 ; il dit ailleurs 6 avoir voulu « dans les histoires de fantômes se défouler de l’absurdité ».
Chine
Yuan Mei, « Ce dont le Maître ne parle pas, “Zi bu yu” : contes »
Il s’agit d’une traduction partielle de « Ce dont le Maître ne parlait pas » (« Zi bu yu » 1) de Yuan Mei, collection chinoise de contes, d’historiettes, de faits divers, mettant en scène toutes sortes d’esprits ou d’êtres surnaturels (XVIIIe siècle). Le titre renvoie au passage suivant des « Entretiens de Confucius » : « Le Maître ne traitait ni des prodiges, ni de la violence, ni du désordre, ni des esprits » 2. Or, tels sont justement les thèmes qui sont abordés avec prédilection dans « Ce dont le Maître ne parlait pas ». Par la suite, sans doute pour éviter de trop se compromettre aux yeux des bien-pensants, Yuan Mei changea ce titre quelque peu frondeur par celui de « Nouveau “Qi xie” » (« Xin “Qi xie” » 3) tiré, cette fois-ci, de « L’Œuvre complète » de Tchouang-tseu, où il est question d’un livre ou d’un homme qui aurait recueilli des légendes et qui se serait appelé Qi xie. Yuan Mei s’empara donc de cette appellation obscure pour en tirer une nouvelle, volontairement énigmatique, et sur laquelle ses adversaires ne pouvaient faire que des conjectures, en l’absence de toute autre explication. « Aux yeux de la postérité, le renom de Yuan Mei tient surtout à l’originalité et au charme de sa poésie. Le “Zi bu yu” n’est souvent considéré que comme une œuvre mineure, sinon même indigne de son auteur », explique M. Jean-Pierre Diény 4. Dans un XVIIIe siècle marqué, en Chine, par une éclosion de contes, le recueil de Yuan Mei fait, en effet, modeste figure aux côtés de deux recueils plus importants : les « Contes extraordinaires du pavillon des loisirs » du sublime Pu Songling, qui mourut un an avant la naissance de Yuan Mei, et les « Notes de la chaumière des observations subtiles » de l’érudit Ji Yun, son cadet de quelques années. En bannissant de sa prose les élégances de la poésie, en ne cherchant l’inspiration que dans les confidences de parents et d’amis, en abordant le sexe jusque dans ses aspects les moins attendus, Yuan Mei est par trop désinvolte, et les herbes folles abondent dans son ouvrage. Il le présente avec raison, dans sa préface, comme un recueil « de récits abracadabrants, sans profonde signification » fait principalement « pour le plaisir » 5 ; il dit ailleurs 6 avoir voulu « dans les histoires de fantômes se défouler de l’absurdité ».
Yuan Mei, « Ce dont le Maître ne parlait pas : le merveilleux onirique »
éd. Gallimard, Connaissance de l’Orient, Paris
Il s’agit d’une traduction partielle de « Ce dont le Maître ne parlait pas » (« Zi bu yu » 1) de Yuan Mei, collection chinoise de contes, d’historiettes, de faits divers, mettant en scène toutes sortes d’esprits ou d’êtres surnaturels (XVIIIe siècle). Le titre renvoie au passage suivant des « Entretiens de Confucius » : « Le Maître ne traitait ni des prodiges, ni de la violence, ni du désordre, ni des esprits » 2. Or, tels sont justement les thèmes qui sont abordés avec prédilection dans « Ce dont le Maître ne parlait pas ». Par la suite, sans doute pour éviter de trop se compromettre aux yeux des bien-pensants, Yuan Mei changea ce titre quelque peu frondeur par celui de « Nouveau “Qi xie” » (« Xin “Qi xie” » 3) tiré, cette fois-ci, de « L’Œuvre complète » de Tchouang-tseu, où il est question d’un livre ou d’un homme qui aurait recueilli des légendes et qui se serait appelé Qi xie. Yuan Mei s’empara donc de cette appellation obscure pour en tirer une nouvelle, volontairement énigmatique, et sur laquelle ses adversaires ne pouvaient faire que des conjectures, en l’absence de toute autre explication. « Aux yeux de la postérité, le renom de Yuan Mei tient surtout à l’originalité et au charme de sa poésie. Le “Zi bu yu” n’est souvent considéré que comme une œuvre mineure, sinon même indigne de son auteur », explique M. Jean-Pierre Diény 4. Dans un XVIIIe siècle marqué, en Chine, par une éclosion de contes, le recueil de Yuan Mei fait, en effet, modeste figure aux côtés de deux recueils plus importants : les « Contes extraordinaires du pavillon des loisirs » du sublime Pu Songling, qui mourut un an avant la naissance de Yuan Mei, et les « Notes de la chaumière des observations subtiles » de l’érudit Ji Yun, son cadet de quelques années. En bannissant de sa prose les élégances de la poésie, en ne cherchant l’inspiration que dans les confidences de parents et d’amis, en abordant le sexe jusque dans ses aspects les moins attendus, Yuan Mei est par trop désinvolte, et les herbes folles abondent dans son ouvrage. Il le présente avec raison, dans sa préface, comme un recueil « de récits abracadabrants, sans profonde signification » fait principalement « pour le plaisir » 5 ; il dit ailleurs 6 avoir voulu « dans les histoires de fantômes se défouler de l’absurdité ».
- En chinois « 子不語 ». Autrefois transcrit « Tseu-pou-yu » ou « Tzu pu yu ».
- VII, 21.
- En chinois « 新齊諧 ». Autrefois transcrit « Sin “Ts’i-hiai” ».
Yuan Mei, « Divers Plaisirs à la villa Sui : poèmes »
Il s’agit des « Poèmes » de Yuan Zicai 1, plus connu sous le surnom de Yuan Mei 2, poète et conteur chinois, que son indépendance, son savoir, sa liberté d’esprit mettaient en marge des académismes du temps. Il naquit en l’an 1716 apr. J.-C. Sa famille était loin d’être riche. Son père voyageait comme secrétaire dans des provinces reculées pour envoyer de quoi nourrir la maisonnée, tandis que sa mère restait à Hangzhou avec plusieurs fils et filles en bas âge et faisait des prodiges d’économie pour les élever. Déjà dans son enfance, Yuan Mei chérissait les livres plus qu’il ne chérissait la vie. Chaque fois qu’il passait devant une librairie, ses pieds s’arrêtaient naturellement, et l’eau lui en venait à la bouche ; mais les prix étaient trop élevés : « Il n’y avait que dans le rêve que j’en achetais », dit-il non sans amertume 3. Le goût des livres lui était « plus suave que celui d’un vin vieux » 4. Le but de sa vie était la satisfaction de ce goût, et non pas la réussite aux concours ni l’obtention des diplômes qui ouvraient les portes du mandarinat : « Une fois le livre ouvert, j’ignore les cent affaires. Quand j’ai un livre ancien, je suis comme ivre ; homme d’aujourd’hui je gaspille mon temps avec les hommes d’autrefois », dit-il dans un de ses poèmes 5. À l’âge de quarante ans, ayant acquis une certaine fortune, Yuan Mei s’adonna tout entier aux belles-lettres. Pour ne pas être distrait de ses travaux par « les pensées du monde de poussière » 6, il alla se fixer dans une villa qu’il avait achetée aux portes de Nankin. Dans son « Recueil de littérature de la maison sise sur la Colline du Grenier » (« Xiaocang shanfang wenji » 7), l’on peut lire de nombreux détails sur cette villa, son histoire et ses environs : « À deux “li” à l’Ouest du pont de la porte septentrionale de Nankin, je trouvai la Colline du Grenier… Là, au temps de l’Empereur Kangxi 8, un certain Sui, directeur de la Fabrique impériale de Soieries, avait élevé un pavillon sur le pic septentrional de la Colline, avait planté autour des arbres, des arbustes et avait circonscrit le tout d’un mur. Tous les habitants de Nankin venaient se promener et admirer la nature dans cet endroit : on l’appelait “Sui yuan” 9 (“villa Sui”, ou littéralement “jardin de Sui”), du nom de son propriétaire. Trente ans plus tard, lorsque je fus nommé [magistrat] à Nankin, ce jardin était presque entièrement détruit, et le pavillon s’était transformé en un vulgaire cabaret où les charretiers et les porteurs de chaises se disputaient tout le jour. À cette vue j’eus le cœur serré ; je pris ce jardin en pitié et demandai le prix du terrain »
« Le Livre de phrases de trois mots, “San-tseu-king” »
Il s’agit du « Livre de phrases de trois mots » 1 (« San zi jing » 2), manuel d’enseignement élémentaire (XIIIe siècle apr. J.-C.) que les maîtres ou les parents mettaient entre les mains des débutants, pour qu’il fût appris par cœur, retenu et récité. Le texte, comme le titre l’indique, était disposé par phrases de trois mots ou de trois caractères, de telle sorte qu’il offrait le précieux avantage de constituer une introduction idéale à la lecture du chinois classique, en même temps que le résumé des connaissances qui formaient la base de l’éducation confucéenne. « À l’origine de l’homme, sa nature est radicalement bonne ; la nature rapproche les hommes, mais leur conduite les éloigne ». Tel était le début du « Livre de phrases de trois mots » 3. La suite traitait de l’importance des devoirs, des trois grands pouvoirs, des quatre saisons, des cinq vertus constantes, des six espèces de grains, des sept passions, des huit notes de musique, des neuf degrés de parenté, des dix devoirs relatifs, de l’histoire générale et de la succession des dynasties impériales ; le tout complété par des remarques sur l’importance de l’étude. Pendant sept siècles et jusqu’à la Révolution culturelle, ce fut le livre le plus répandu dans les écoles primaires de l’Asie orientale : « Ce fut en réalité », dit un commentateur 4, « comme un radeau que, dans les commencements de leurs études, les jeunes gens qui cherchaient à s’instruire pouvaient employer pour arriver à atteindre les sources profondes de l’étude de l’Antiquité ». Son influence fut immense, et plusieurs de ses phrases de trois mots sont passées en locutions proverbiales dans l’usage courant : « C’est un livre d’une morale irréprochable », dit Marie-René Roussel, marquis de Courcy 5, « mais d’une parfaite aridité, procédant par sentences brèves, affirmatives, heurtées… La plupart de [ses] notions dépassent de beaucoup l’intelligence de l’enfant. Aussi, répète-t-il d’abord le “San zi jing” uniquement comme il répéterait un syllabaire, sans comprendre les signes qu’il lit, ni les sons qu’il émet. Quand, après deux années d’un labeur assidu, il énonce sans hésitation tous les caractères du classique trimétrique, avec les intonations voulues, et les retrace élégamment à l’aide du pinceau, son maître commence à lui en expliquer la signification ; et dès que son intelligence peut la saisir, il place sous ses yeux d’autres ouvrages, comme “Le Livre des mille mots” où il retrouve les mêmes mots et fait connaissance avec de nouveaux signes ».
- Parfois traduit « Classique trimétrique » ou « Le Livre classique des trois caractères ».
- En chinois « 三字經 ». Autrefois transcrit « San tzu ching », « San-tsi-king », « San-tsze-king », « San-tse-king », « San-ze-king » ou « San-tseu-king ».
- À rapprocher du grand principe de Rousseau « que la nature a fait l’homme heureux et bon, mais que la société le déprave », etc.
Bao Zhao, « Sur les berges du fleuve »
Il s’agit de Bao Zhao 1, poète chinois (Ve siècle apr. J.-C.). Il était un véritable maître du « yuefu » 2 (« poème chanté »), auquel il redonna une vigueur nouvelle en y réintroduisant le ton de la langue populaire. Ses dix-neuf « yuefu » sur le thème de « La route est difficile » 3 (« Xing lu nan » 4) passent pour des modèles achevés de ce genre poétique ; ils ne traitent pas seulement de la difficulté des voyages solitaires, mais aussi des peines de la vie, en particulier de la mélancolie de l’âme. Plus tard, sous les Tang 5, Li Po s’en inspira et Tu Fu les admira. Des autres œuvres de Bao Zhao, je retiens surtout sa longue rhapsodie intitulée « Chant de la ville dévastée » 6 (« Wu cheng fu » 7). C’est une remarquable méditation sur la vanité des grandeurs humaines, dont voici les premiers vers : « Autrefois, au temps de grandeur, les essieux des chars se touchaient, les hommes étaient serrés épaule contre épaule le long de ces routes. La plaine était couverte de villages et de fermes, les cris et les chants emplissaient la voûte céleste. On exploitait les terrains de sel, on creusait les montagnes pour en extraire du cuivre. Les hommes étaient forts et pleins de talents… Aussi se sont-ils permis d’enfreindre les lois, de négliger les préceptes royaux ; ils ont dressé de hautes forteresses, creusé de profonds réservoirs d’eau, ils ont projeté de rendre leur destin brillant et de devenir les premiers de leur temps. Voici pourquoi ils ont élevé des bâtiments et des murailles si grands, pourquoi ils ont multiplié [les] pavillons et [les] tours d’observation ; leurs édifices s’élevaient comme les bords escarpés d’un torrent »
- En chinois 鮑照. Autrefois transcrit Pao Tchao ou Pao Chao.
- En chinois 樂府. Autrefois transcrit « yo-fou » ou « yüeh-fu ».
- Parfois traduit « Les Peines du voyage », « Difficultés de la route » ou « Ah ! que dure est la route ! ».
- En chinois « 行路難 » Autrefois transcrit « Hsing lu nan ».
Li He, « Poèmes »
éd. Gallimard, coll. Connaissance de l’Orient, Paris
Il s’agit de Li He 1, poète chinois (VIIIe-IXe siècle) qui mourut à vingt-sept ans des suites d’une tuberculose pulmonaire. Un caractère ombrageux et chagrin, doublement atteint par la maladie et par le deuil, dissimulé sous les dehors d’un orgueil incommensurable, telle fut la cause de ses malheurs et peut-être aussi de ses revers. L’homme était d’humeur à créer autour de lui une atmosphère plus hostile qu’accueillante. La légende veut qu’un de ses cousins l’ait haï à ce point qu’à la nouvelle de sa mort il jeta dans les égouts, avec un soupir de soulagement, les poèmes de Li He qu’il avait gardés. Une quinzaine d’années plus tard, ces poèmes, dont beaucoup s’étaient déjà perdus, auraient achevé de disparaître, si un de ses amis n’en avait retrouvé une copie miraculeusement cachée dans des bagages. Ce fut avec les yeux mouillés de larmes que cet ami écrivit au poète Du Mu pour lui demander la faveur d’une préface aux œuvres de celui qui n’avait laissé, après sa mort prématurée, ni héritage ni héritiers. La nuit suivante, Du Mu fut surpris dans son sommeil par les cris d’un messager urgent. Il réveilla son domestique, se fit présenter le paquet et le décacheta à la lueur d’une chandelle. Il consentit à rédiger la préface, ce qu’il fit en des termes élogieux : « Les nuages et brouillards dont les contours, lentement, se confondent les uns dans les autres ne peuvent donner tout à fait une juste image de la manière de Li He ; ni les vastes étendues d’eau, celle de ses sentiments ; ni la verdure au printemps, celle de sa vigueur ; ni la claire lumière de l’automne, celle de son style » 2. Et plus loin : « Avec de profonds soupirs, il s’afflige de choses dont personne n’avait jamais rien dit ni de nos jours ni jadis » 3.
« Les Poèmes de Cao Cao (155-220) »
éd. Collège de France-Institut des hautes études chinoises, coll. Bibliothèque de l’Institut des hautes études chinoises, Paris
Il s’agit des poèmes de Ts’ao Ts’ao 1, général et politicien chinois, défait dans la bataille de la falaise Rouge en 208 apr. J.-C. Cet homme ivre d’action qui, simple chef de bande à ses débuts, sut se tailler, dans la Chine disloquée et troublée de la fin des Han, la part du lion, et momentanément du moins, à unifier le pays sous son autorité — cet homme ivre d’action, dis-je, trouva parmi ses soucis d’État et de guerre assez de loisirs pour se livrer à la poésie. Aussi, les biographes le décrivent-ils assis à dos de cheval, « la longue lance en travers de sa selle », buvant du vin et « composant des vers inébranlables » 2 pleins d’énergie mâle et de force héroïque :
« Du vieux coursier, couché dans l’écurie,
L’idéal se situe à mille “li”
[c’est-à-dire sur un champ de bataille lointain].
Quand le héros touche au soir de la vie,
Son cœur vaillant n’a pas fini de battre » 3.
Sa réputation acquise, Ts’ao Ts’ao employa tous les ressorts de son génie pour obtenir d’être nommé premier ministre. Il réussit ; et élevé dans ce poste, il ne travailla désormais qu’à se faire des protégés, en embauchant ceux qui lui paraissaient dévoués à ses intérêts, et en destituant quiconque n’adhérait pas aveuglément à toutes ses volontés. Son ambition finit par éteindre en lui ses belles qualités. « Il avait délivré son [Empereur] d’un tyran qui le persécutait ; mais ce fut pour le faire gémir sous une autre tyrannie, moins cruelle sans doute, mais qui n’en était pas moins réelle », dit très bien le père Joseph Amiot 4. « Il devint fourbe, vindicatif, cruel, perfide, et ne garda pas même l’extérieur de ce qu’on appelait ses anciennes vertus. » Ts’ao Ts’ao mourut en 220 apr. J.-C., en emportant avec lui la haine d’une nation, dont il aurait pu être l’idole s’il s’était contenté d’être le premier des sujets de son souverain légitime. Peu de temps auparavant, il avait associé son fils au premier ministère et l’avait nommé son successeur dans la principauté de Ouei ; celui-ci donna à Ts’ao Ts’ao, son père, le titre posthume de « Ouei-Ou-Ti » 5 (« Empereur Ou des Ouei »).
Shen Fu, « Récits d’une vie fugitive : mémoires d’un lettré pauvre »
éd. Gallimard, coll. UNESCO d’œuvres représentatives-Connaissance de l’Orient, Paris
Il s’agit des « Six Récits au fil inconstant des jours » 1 (« Fu sheng liu ji » 2) de Shen Fu 3. Ces six récits — qui, en vérité, ne sont que quatre, les deux derniers n’étant pas parvenus jusqu’à nous — constituent un monument élevé par Shen Fu à la mémoire de Yun, son épouse défunte. « C’était le 30 mars 1803 », dit-il 4. « Sa main agrippant la mienne, Yun voulut parler… ; mais, sans forces, elle ne put que répéter dans un souffle : “lai shi, lai shi”… “l’existence future”… 5 Soudain, elle haleta, sa mâchoire se raidit et son regard dilaté prit une fixité saisissante. Je l’appelai et l’appelai de nouveau et encore ; mais en vain. Elle ne pouvait plus proférer une parole. Deux ruisseaux de larmes continuèrent à couler le long de ses joues. Bientôt, son souffle s’affaiblit, ses larmes se tarirent et enfin son âme s’éteignit. » Ce sont des récits uniques jusque-là dans la littérature chinoise par leurs petits faits exacts et par leurs détails familiers sur la vie conjugale. Nous nous trouvons introduits, sans prétention et en toute simplicité, dans l’intimité d’un pauvre lettré qui manie la langue classique d’une manière certes malhabile, mais dont l’austère sincérité nous émeut parfois : « Mon regret », dit-il 6, « est de n’avoir reçu, étant enfant, qu’une instruction incomplète et d’être borné dans mes connaissances. Aussi, ne relaterai-je, sans ornement, que des sentiments vrais et des faits réels. Rechercher le style dans ce que j’écris serait comme exiger l’éclat d’un miroir non poli ». Paradoxalement, c’est ce caractère ordinaire de Shen Fu qui fait son extraordinaire modernité et qui est la raison majeure du succès que connut son ouvrage depuis qu’il a été trouvé sur l’étal d’un brocanteur en 1849.
- Autrefois traduit « Six Chapitres d’une vie flottante » ou « Six Mémoires sur une vie flottante ».
- En chinois « 浮生六記 ». Autrefois transcrit « Fou-cheng lieou-ki » ou « Fousheng liuji ». Titre emprunté au poème « Chun ye yan tao li yuan xu » (« 春夜宴桃李園序 ») de Li Po : « L’univers n’est que [la halte] des créatures, et le temps — l’hôte provisoire de l’éternité ; “au fil inconstant des jours”, notre vie n’est qu’un songe », etc.
- En chinois 沈復. Autrefois transcrit Chen Fou.
« Les Dix-neuf Poèmes anciens »
Il s’agit des « Dix-neuf Poèmes anciens » 1 (« Gushi shijiu shou » 2), ensemble de dix-neuf poèmes chinois, tous anonymes, qui tirent leur beauté des images douces et symboliques et de l’expression toute personnelle de leur mélancolie. Très peu connus en Occident, ils datent probablement du déclin de la dynastie des Han (IIe siècle apr. J.-C.), qui fut marqué par de graves troubles politiques, et l’emprise du confucianisme se relâchant, par une émancipation de la poésie qui s’intéressa non plus aux choses, mais aux sentiments intimes. Pour la première fois en Chine, les « Dix-neuf Poèmes anciens » évoquèrent — certes sur un ton populaire, mais avec art tout de même, et un art qui a ses titres de noblesse — l’amertume de l’échec, la nostalgie de l’amour idéal, le sentiment douloureux de la fragilité humaine, la hantise du temps qui passe et de la mort : « Selon une brillante étude du professeur Yoshikawa 3, l’idée que l’homme est le jouet d’un destin incompréhensible et capricieux ne se développe en Chine que sous les Han. Bien qu’en réalité [cette] idée apparaisse déjà dans le “Shi Jing” et dans les “Élégies de Chu”… les personnages du “Shi Jing” croient en général à la justice du ciel, et ceux des “Élégies de Chu” accusent plutôt les hommes que le hasard de leurs malheurs. Il semble donc que la désolation silencieuse des “Dix-neuf Poèmes anciens” soit bien l’indice d’un pessimisme nouveau », explique M. Jean-Pierre Diény
- Autrefois traduit « Les Dix-Neuf Poèmes des temps très reculés ».
- En chinois « 古詩十九首 ». Autrefois transcrit « Kou che che kieou cheou » ou « Ku-shih shih-chiu shou ».
- Kôjirô Yoshikawa, « 推移の悲哀ー古詩十九首の主題 » (« La Tristesse de l’impermanence — le thème principal des “Dix-neuf Poèmes anciens” »), inédit en français.
Sima Qian, « Les Mémoires historiques. Tome I. [Chapitres 1-4] »
éd. Librairie d’Amérique et d’Orient A. Maisonneuve, coll. UNESCO d’œuvres représentatives, Paris
Il s’agit des « Mémoires historiques » (« Shi Ji » 1) de Sima Qian 2, illustre chroniqueur chinois (IIe-Ier siècle av. J.-C.) que ses compatriotes placent au-dessus de tous en disant qu’autant le soleil l’emporte en éclat sur les autres astres, autant Sima Qian l’emporte en mérite sur les autres historiens ; et que les missionnaires européens surnomment l’« Hérodote de la Chine ». Fils d’un savant et savant lui-même, Sima Qian fut élevé par l’Empereur à la dignité de « grand scribe » (« tai shi » 3) en 108 av. J.-C. Son père, qui avait été son prédécesseur dans cet emploi, semblait l’avoir prévu ; car il avait fait voyager son fils dans tout l’Empire et lui avait laissé un immense héritage en cartes et en manuscrits. De plus, dès que Sima Qian prit possession de sa charge, la Bibliothèque impériale lui fut ouverte ; il alla s’y ensevelir. « De même qu’un homme qui porte une cuvette sur la tête ne peut pas lever les yeux vers le ciel, de même je rompis toute relation… car jour et nuit je ne pensais qu’à employer jusqu’au bout mes indignes capacités et j’appliquais tout mon cœur à m’acquitter de ma charge », dit-il 4. Mais une disgrâce qu’il s’attira en prenant la défense d’un malheureux, ou plutôt un mot critique sur le goût de l’Empereur pour la magie 5, le fit tomber en disgrâce et le condamna à la castration. Sima Qian était si pauvre, qu’il ne fut pas en état de donner les deux cents onces d’argent pour se rédimer du supplice infamant. Ce malheur, qui assombrit tout le reste de sa vie, ne fut pas sans exercer une profonde influence sur sa pensée. Non seulement Sima Qian n’avait pas pu se racheter, mais personne n’avait osé prendre sa défense. Aussi loue-t-il fort dans ses « Mémoires historiques » tous « ceux qui font peu de cas de leur propre vie pour aller au secours de l’homme de bien qui est en péril » 6. Il approuve souvent aussi des hommes qui avaient été calomniés et mis au ban de la société. Enfin, n’est-ce pas l’amertume de son propre cœur, aigri par la douleur, qui s’exprime dans ce cri : « Quand Zhufu Yan 7 [marchait sur] le chemin des honneurs, tous les hauts dignitaires l’exaltaient ; quand son renom fut abattu, et qu’il eut été mis à mort avec toute sa famille, les officiers parlèrent à l’envi de ses défauts ; c’est déplorable ! »
- En chinois « 史記 ». Autrefois transcrit « Che Ki », « Se-ki », « Sée-ki », « Ssé-ki », « Schi Ki », « Shi Ki » ou « Shih Chi ».
- En chinois 司馬遷. Autrefois transcrit Sy-ma Ts’ien, Sématsiene, Ssématsien, Se-ma Ts’ien, Sze-ma Csien, Sz’ma Ts’ien, Sze-ma Ts’ien, Sseû-ma Ts’ien, Sse-ma-thsien, Ssé ma Tsian ou Ssu-ma Ch’ien.
- En chinois 太史. Autrefois transcrit « t’ai che ».
- « Lettre à Ren An » (« 報任安書 »).
- Sima Qian avait critiqué tous les imposteurs qui jouissaient d’un grand crédit à la Cour grâce aux fables qu’ils débitaient : tels étaient un magicien qui prétendait montrer les empreintes laissées par les pieds gigantesques d’êtres surnaturels ; un devin qui parlait au nom de la princesse des esprits, et en qui l’Empereur avait tant de confiance qu’il s’attablait seul avec lui ; un charlatan qui promettait l’immortalité ; etc.
- ch. CXXIV.
- En chinois 主父偃. Autrefois transcrit Tchou-fou Yen ou Chu-fu Yen. L’Empereur Wu avait nommé, auprès de chaque roi, des conseillers qui étaient en réalité des rapporteurs. Leur tâche était souvent périlleuse : le conseiller Zhufu Yan fut mis à mort avec toute sa famille à cause des faits qu’il avait rapportés.
« Élégies de Chu, “Chu ci” »
éd. Gallimard, coll. Connaissance de l’Orient, Paris
Il s’agit des « Élégies de Chu » (« Chu ci » 1), recueil chinois de vingt-cinq élégies ou poésies lyriques, dont les plus célèbres furent composées par Qu Yuan 2 (IIIe siècle av. J.-C.) et par son disciple Song Yu 3 (IIe siècle av. J.-C.). Au point de vue de la forme, les « Élégies de Chu » se distinguent par le retour invariable d’une sorte d’interjection plaintive, « xi ! » 4, qui se répète tous les deux vers. Quant au fond, elles n’ont d’autre but que celui d’exhaler des plaintes, et de reprocher au roi de Chu la faute qu’il commit en congédiant Qu Yuan. On raconte que ce malheureux poète avait une conduite exemplaire ; c’est pourquoi il aima mieux mourir que de rester dans l’entourage corrompu du roi. Il s’en éloigna donc, et parvenu aux bords de la rivière Mi Luo 5, il erra longtemps se parlant à lui-même : il avait dénoué ses cheveux en signe de deuil et les laissait tomber sur son visage amaigri. Un pêcheur le rencontrant dans cet état lui dit : « N’es-tu pas celui que l’on croyait un des plus grands de l’Empire ? Comment donc en es-tu réduit à une pareille situation ? » Qu Yuan répondit : « Le monde entier est dans le désordre ; moi seul, j’ai conservé ma pureté. Tous se sont assoupis dans l’ivresse ; moi seul, je suis resté vigilant. Voilà pourquoi je suis exilé ». Le pêcheur dit : « Le véritable sage ne se laisse embarrasser par aucune chose et sait vivre avec son siècle. Si le monde entier est dans le désordre, pourquoi ne sais-tu pas t’en accommoder ?… » Qu Yuan répondit : « J’ai entendu dire que celui qui vient de se purifier dans un bain, prend soin de secouer la poussière de son bonnet et de changer de vêtements. Quel homme voudrait donc, quand il est pur, se laisser souiller au contact de ce qui ne l’est pas ? J’aime mieux chercher la mort dans les eaux de cette rivière et servir de pâture aux poissons… » Il écrivit alors un dernier poème, et serrant une grosse pierre contre sa poitrine, il se précipita dans la rivière Mi Luo.
Lu Yu, « Le Classique du thé, “Chajing” »
Il s’agit du « Cha Jing » 1 (« Classique du thé » 2), le plus ancien ouvrage connu sur le thé (VIIIe siècle apr. J.-C.). En Chine, le thé est un produit de consommation constante : c’est le breuvage du pauvre et du riche. Chaque rue compte un certain nombre de maisons de thé où, pour quelques sous, le passant trouve une tasse d’un excellent thé pour reposer ses forces et réveiller ses esprits. Au Japon, la préparation de cette boisson est un prétexte au culte de la pureté et du raffinement, un cérémonial sacré où hôte et invité s’unissent pour réaliser la plus haute communion. Là, l’esprit de l’Extrême-Orient règne sans conteste. « Il ne faut donc jamais offrir de thé à un Japonais, à moins de vouloir ancrer définitivement dans son esprit l’idée que tout Occidental est un barbare », explique un gastronome 3. C’est sous la dynastie des Tang 4 que le thé devint la boisson ordinaire et de première nécessité pour les Chinois. Pendant une trentaine de jours par an, des armées de cueilleuses, jeunes filles pour la plupart, le cueillaient au petit jour et le portaient en chantant. La capitale fastueuse des Tang, Chang’an 5, abritait de grands buveurs, à la fois poètes et musiciens, peintres et calligraphes. L’un d’eux, nommé Lu Yu 6, se fit l’apôtre exclusif du thé, et dans son petit ouvrage, le « Cha Jing », publié en 780 apr. J.-C., il formula l’art de cette boisson qui fait encore référence : en souvenir de quoi les marchands de thé l’honoreront comme leur dieu tutélaire. Le « Cha Jing » traite, en dix chapitres, des origines du thé, des étapes de sa fabrication, des ustensiles et des façons de le boire pour obtenir des effets aussi subtils et aussi délicieux que ceux du vin. Mais l’amateur de belles-lettres ne prêtera de l’intérêt qu’au septième et plus long chapitre, qui est une succession d’anecdotes, de bribes de poèmes mêlant cette boisson à la vie de divers personnages : véritable piège tendu à la curiosité.
- En chinois « 茶經 ». Parfois transcrit « Tcha-Tching », « Ch’a Ching », « Chaking », « Tch’a King » ou « Tch’a Tsing ».
- Parfois traduit « Livre du thé » ou « Le Canon du thé ».
- M. Marin Wagda.
- De l’an 618 à l’an 907.
- Aujourd’hui Xi’an (西安). Autrefois transcrit Tch’ang-ngan.
- En chinois 陸羽. Autrefois transcrit Lou-yu, Lu Jü ou Luwuh. À ne pas confondre avec Lu You, le poète de la dynastie des Song, qui vécut quatre siècles plus tard.