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Bashô, « Seigneur ermite : l’intégrale des haïkus »

éd. La Table ronde, Paris

éd. La Table ronde, Pa­ris

Il s’agit des de Mat­suo Ba­shô 1, illustre de la (XVIIe siècle apr. J.-C.). Par son de , en­core plus que par son œuvre elle-même, ce fils de sa­mou­raï a im­posé la forme ac­tuelle du haïku, mais sur­tout il en a dé­fini la ma­nière, l’esprit : lé­gè­reté, de sim­pli­cité, ex­trême pour la , et ce quelque chose qu’on ne peut dé­fi­nir fa­ci­le­ment et qu’il faut sen­tir — une élé­gance in­té­rieure, comme re­vê­tue de pu­deur dis­crète, qui est fon­ciè­re­ment ja­po­naise. Son poème de la rai­nette est un fa­meux exemple du saut par le­quel le haïku se dé­bar­rasse de l’artificiel pour at­teindre la so­briété nue : «Vieil étang / une rai­nette y plon­geant / chu­cho­tis de l’» 2. Ce haïku tra­duit et d’autres sont le pre­mier ou­vrage par le­quel la et la asia­tiques viennent jusqu’à Mme Mar­gue­rite Your­ce­nar qui a quinze ans : «Ce livre ex­quis a été l’équivalent pour d’une porte en­tre­bâillée; elle ne s’est plus ja­mais re­fer­mée de­puis», écrit-elle dans une lettre da­tée de 1955. En 1982, pen­dant ses trois mois pas­sés au , elle suit sur les sen­tiers étroits la trace de Ba­shô; et tan­dis qu’un ami , qui la guide, com­mence à lui tra­duire «Elles mour­ront bien­tôt…», elle l’interrompt en ci­tant par cœur la chute : «et pour­tant n’en montrent rien / chant des ci­gales». «Peut-être son plus beau poème», pré­cise-t-elle dans un pe­tit ar­ticle in­ti­tulé «Ba­shô sur la route». À Kyôto, elle vi­site la hutte qui a hé­bergé notre poète vers la fin de sa vie — Ra­ku­shi­sha 3la chau­mière où tombent les ka­kis» 4) qui lui «fait pen­ser à la lé­gère dé­pouille d’une ci­gale». À l’intérieur, si on peut par­ler d’intérieur dans un lieu si ou­vert aux in­tem­pé­ries, rien ou presque pour se pro­té­ger du pas­sage des sai­sons, si pré­sentes jus­te­ment dans l’œuvre de Ba­shô «par les in­con­vé­nients et les ma­laises qu’elles ap­portent au­tant que par l’extase des yeux et de l’esprit que dis­pense leur beauté», comme ex­plique Mme Your­ce­nar. Quant au maître lui-même : «Cet am­bu­lant», écrit-elle, «qui a in­ti­tulé l’un de ses “Sou­ve­nirs d’un sque­lette ex­posé aux in­tem­pé­ries” voyage moins pour s’instruire… que pour su­bir. Su­bir est une fa­culté ja­po­naise, pous­sée par­fois jusqu’au ma­so­chisme [!], mais l’émotion et la connais­sance chez Ba­shô naissent de cette sou­mis­sion à l’événement ou à l’incident : la pluie, le vent, les longues marches, les as­cen­sions sur les sen­tiers ge­lés des , les gîtes de ha­sard, comme ce­lui de l’octroi à Shi­to­mae où il une pièce au plan­cher de bat­tue avec un » Sous des ap­pa­rences de pro­me­nades, ces éveillaient la pen­sée de Ba­shô et met­taient sa vie en confor­mité avec la haute idée qu’il se fai­sait du haïku : «Le vent me trans­perce / ré­si­gné à y lais­ser mes os / je pars en voyage»

  1. En ja­po­nais 松尾芭蕉. Au­tre­fois trans­crit Mat­soura Ba­cho, Mat­sura Ba­sho, Mat­souo Ba­shô ou Mat­suwo Ba­shô. Icône Haut
  2. En ja­po­nais «古池や蛙飛こむ水のおと». Icône Haut
  1. En ja­po­nais 落柿舎. Icône Haut
  2. Par­fois tra­duit «la villa où tombent les ka­kis», «villa aux ka­kis tom­bés» ou «la mai­son des ka­kis tom­bés à terre». Icône Haut

« Histoire de Quỳnh »

dans « Bulletin de la Société d’enseignement mutuel du Tonkin », vol. 7, nº 2, p. 153-199

dans «Bul­le­tin de la d’ mu­tuel du Ton­kin», vol. 7, nº 2, p. 153-199

Il s’agit de la ver­sion viet­na­mienne de «La Lé­gende de Xieng Mieng» («hnăṅsœ̄ jyṅ hmyṅ2» 1). Entre fa­cé­tie, bur­lesque et im­pu­dique, don­nant lieu à une ef­fron­tée de la so­ciété féo­dale, «La Lé­gende de Xieng Mieng» ren­ferme des épi­sodes d’une certes peu dé­cente, mais à la­quelle se plaisent les cam­pa­gnards du Sud-Est asia­tique. Ceux qui la jugent sé­vè­re­ment de­vraient son­ger à Gui­gnol, à Till l’Espiègle ou aux ou­vrages d’un Ra­be­lais. En , il y a là-de­dans une gouaille ro­buste et op­ti­miste, et les qui en font les frais sont des types d’hommes dé­tes­tés par le des cam­pagnes : le char­la­tan, le man­da­rin cor­rompu, le let­tré igno­rant, le bonze dé­bau­ché, jusqu’à l’Empereur de ; tous des vices per­son­ni­fiés, vic­times des farces et des at­ti­tudes pro­vo­cantes de Xieng Mieng. Com­ment ca­rac­té­ri­ser ce der­nier? Quelque chose comme un mau­vais plai­sant, un ba­te­leur, un his­trion au­quel on ac­cor­dait beau­coup d’insolence et de . Il jouait le rôle des fous de nos an­ciens rois. D’ailleurs, se­lon la ver­sion lao­tienne, il était le bouf­fon même de la Cour du roi de Tha­vaa­raa­va­dii. Je dis «se­lon la ver­sion lao­tienne», car comme dit M. Jacques Né­pote 2, «cette n’est pas un iso­lat : elle se re­trouve dans la plu­part des pays d’ du Sud-Est, et avec le même , le hé­ros por­tant seule­ment un nom dif­fé­rent : Si Tha­non Say au Siam, Thmenh Chey 3 au , Trạng Quỳnh au , Ida Ta­laga à Bali, et bien d’autres en­core». Le roi de Tha­vaa­raa­va­dii, donc, était resté long­temps sans en­fant. Il eut en­fin un fils; mais les pré­dirent que le prince mour­rait en sa dou­zième an­née, à moins que le roi n’adoptât un en­fant né à la même heure que son fils. Et le roi d’adopter Xieng Mieng, en­fant de basse ex­trac­tion qui de­vint le double af­freux du prince.

  1. En «ໜັງສືຊຽງໝ້ຽງ». Par­fois trans­crit «Sieng Mieng», «Siang Miang», «Xiang Miang», «Xien-Mien», «Sieng Hmieng2» ou «jyṅ hmyṅ2». Icône Haut
  2. «Va­ria­tions sur un thème du bouf­fon royal en -Est pé­nin­su­laire». Icône Haut
  1. «Thmenh le Vic­to­rieux». Par­fois trans­crit Tmeñ Jai, Tmen Chéi ou Tmenh Chey. Icône Haut

« Philosophes taoïstes. Tome II. “Huainan zi” »

éd. Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, Paris

éd. Gal­li­mard, coll. Bi­blio­thèque de la Pléiade, Pa­ris

Il s’agit du «Huai­nan hon­glie» 1Grande Lu­mière de Huai­nan»), plus connu sous le titre de «Huai­nan zi» 2[Livre du] maître de Huai­nan»), ou­vrage qui, sous des al­lures d’encyclopédie phi­lo­so­phique, cache un vé­ri­table plai­doyer . Le Maître de Huai­nan avait pour nom per­son­nel Liu An 3 (IIe siècle av. J.-C.). C’était un «cu­rieux», dans toutes les ac­cep­tions de ce mot, ai­mant la com­pa­gnie des éru­dits ac­cou­rus des quatre coins de la ; cu­rieux aussi par l’étonnement que sa ins­pire, car il était pe­tit-fils de l’Empereur et d’une fille du au ser­vice du roi de Zhao. On ra­conte qu’en la sep­tième an­née de son règne, l’Empereur était passé par le pays de Zhao et s’était mon­tré échauffé et ir­rité contre le roi. Ce­lui-ci, pour l’apaiser, lui avait of­fert une fille du pa­lais — la grand-mère de notre au­teur. Elle re­çut la fa­veur im­pé­riale et se trouva en­ceinte. Le roi de Zhao, n’osant plus la gar­der au pa­lais, lui fit bâ­tir à l’extérieur un pe­tit lo­gis. Ce­pen­dant, l’Empereur s’en dés­in­té­ressa, et l’Impératrice, de son côté, prit des dis­po­si­tions pour que l’affaire ne fût pas ébrui­tée. Dans le dé­nue­ment le plus com­plet, la fille du pa­lais mit au un fils — le père de notre au­teur — et se donna la en ma­nière de pro­tes­ta­tion. Un of­fi­cier prit res­pec­tueu­se­ment l’enfant et l’apporta à l’Empereur. L’enfant, qui fut pro­clamé prince de Huai­nan, eut maille à par­tir avec ses , nés de l’Impératrice, qui, une fois ar­ri­vés au pou­voir, trou­vèrent un pré­texte pour le faire condam­ner. Il mou­rut de faim sur la route de l’, en lais­sant le titre prin­cier à son fils, Liu An — notre au­teur. Liu An se mon­tra un es­prit pas­sionné pour les po­li­tiques et les belles-lettres. Il conçut l’idée d’une somme phi­lo­so­phique d’ ïste, où se ver­raient concen­trés tous les sa­voirs de son , et qui ren­fer­me­rait, par la même oc­ca­sion, les meilleurs pré­ceptes sur la ma­nière dont un Em­pire de­vrait être conduit et di­rigé. Pour réa­li­ser son pro­jet am­bi­tieux, il at­tira à sa Cour un grand nombre de let­trés — jusqu’à mille! Il leur pré­senta un amas consi­dé­rable d’argent et de vivres et leur dit qu’il voyait bien que l’Empereur ne re­con­nais­sait pas leur ta­lent et leur zèle; «que leurs étaient [pour­tant] bien su­pé­rieures à celles des mi­nistres de la Cour im­pé­riale; et qu’il ne dou­tait pas qu’aidé de leurs conseils, il ne fût en état de ten­ter [son] des­sein» 4. Les uns eurent pour tâche de gla­ner, dans les des An­ciens, tout ce qui sem­blait d’un cer­tain in­té­rêt; les autres par­ti­ci­pèrent à de brillantes dis­cus­sions pré­si­dées par Liu An en per­sonne. Quant à la pa­ter­nité du livre qui en ré­sulta, le «Huai­nan zi», il se­rait in­juste de com­pa­rer le rôle que Liu An a dû jouer à ce­lui de Lü Bu­wei, dont le nom est rat­ta­ché aux «Prin­temps et Au­tomnes du sieur Lü», alors qu’il n’en a été que le mé­cène. Si l’on ad­met, comme le font les , l’ du «Huai­nan zi», il n’y a pas de d’en re­fu­ser le mé­rite es­sen­tiel à Liu An.

  1. En «淮南鴻烈». Au­tre­fois trans­crit «Houai-nan hong-lie». Icône Haut
  2. En chi­nois «淮南子». Au­tre­fois trans­crit «Houai Nan-tseu», «Hoai-nan-tse», «Hoay-nan-tse» ou «Huai-nan-tzu». Icône Haut
  1. En chi­nois 劉安. Par­fois trans­crit Lieou Ngan ou Lieau An. Icône Haut
  2. « gé­né­rale de la Chine, ou An­nales de cet Em­pire, tra­duites du “Tong-kien-kang-mou”. Tome III». Icône Haut

Sima Qian, « Les Mémoires historiques. Tome IX. Chapitres 111-130 »

éd. You Feng, Paris

éd. You Feng, Pa­ris

Il s’agit des «Mé­moires his­to­riques» («Shi Ji» 1) de  2, illustre chro­ni­queur (IIe-Ier siècle av. J.-C.) que ses com­pa­triotes placent au-des­sus de tous en di­sant qu’autant le l’emporte en éclat sur les autres astres, au­tant Sima Qian l’emporte en mé­rite sur les autres ; et que les eu­ro­péens sur­nomment l’«Hé­ro­dote de la ». Fils d’un sa­vant et sa­vant lui-même, Sima Qian fut élevé par l’Empereur à la di­gnité de «grand scribe» («tai shi» 3) en 108 av. J.-C. Son père, qui avait été son pré­dé­ces­seur dans cet em­ploi, sem­blait l’avoir prévu; car il avait fait voya­ger son fils dans tout l’Empire et lui avait laissé un im­mense hé­ri­tage en et en . De plus, dès que Sima Qian prit pos­ses­sion de sa charge, la Bi­blio­thèque im­pé­riale lui fut ou­verte; il alla s’y en­se­ve­lir. «De même qu’un qui porte une cu­vette sur la tête ne peut pas le­ver les yeux vers le , de même je rom­pis toute re­la­tion… car jour et je ne pen­sais qu’à em­ployer jusqu’au bout mes in­dignes ca­pa­ci­tés et j’appliquais tout mon cœur à m’acquitter de ma charge», dit-il 4. Mais une dis­grâce qu’il s’attira en pre­nant la dé­fense d’un mal­heu­reux, ou plu­tôt un mot sur le goût de l’Empereur pour la  5, le fit tom­ber en dis­grâce et le condamna à la cas­tra­tion. Sima Qian était si pauvre, qu’il ne fut pas en état de don­ner les deux cents onces d’argent pour se ré­di­mer du sup­plice in­fa­mant. Ce mal­heur, qui as­som­brit tout le reste de sa , ne fut pas sans exer­cer une pro­fonde sur sa . Non seule­ment Sima Qian n’avait pas pu se ra­che­ter, mais per­sonne n’avait osé prendre sa dé­fense. Aussi loue-t-il fort dans ses «Mé­moires his­to­riques» tous «ceux qui font peu de cas de leur propre vie pour al­ler au se­cours de l’homme de bien qui est en pé­ril» 6. Il ap­prouve sou­vent aussi des hommes qui avaient été ca­lom­niés et mis au ban de la . En­fin, n’est-ce pas l’amertume de son propre cœur, ai­gri par la , qui s’exprime dans ce cri : «Quand Zhufu Yan 7 [mar­chait sur] le che­min des hon­neurs, tous les hauts di­gni­taires l’exaltaient; quand son re­nom fut abattu, et qu’il eut été mis à avec toute sa , les of­fi­ciers par­lèrent à l’envi de ses dé­fauts; c’est dé­plo­rable!»

  1. En chi­nois «史記». Au­tre­fois trans­crit «Che Ki», «Se-ki», «Sée-ki», «Ssé-ki», «Schi Ki», «Shi Ki» ou «Shih Chi». Icône Haut
  2. En chi­nois 司馬遷. Au­tre­fois trans­crit Sy-ma Ts’ien, Sé­mat­siene, Ssé­mat­sien, Se-ma Ts’ien, Sze-ma Csien, Sz’ma Ts’ien, Sze-ma Ts’ien, Sseû-ma Ts’ien, Sse-ma-thsien, Ssé ma Tsian ou Ssu-ma Ch’ien. Icône Haut
  3. En chi­nois 太史. Au­tre­fois trans­crit «t’ai che». Icône Haut
  4. «Lettre à Ren An» («報任安書»). Icône Haut
  1. Sima Qian avait cri­ti­qué tous les im­pos­teurs qui jouis­saient d’un grand cré­dit à la Cour grâce aux fables qu’ils dé­bi­taient : tels étaient un ma­gi­cien qui pré­ten­dait mon­trer les em­preintes lais­sées par les pieds gi­gan­tesques d’êtres sur­na­tu­rels; un de­vin qui par­lait au nom de la prin­cesse des , et en qui l’Empereur avait tant de confiance qu’il s’attablait seul avec lui; un char­la­tan qui pro­met­tait l’; etc. Icône Haut
  2. ch. CXXIV. Icône Haut
  3. En chi­nois 主父偃. Au­tre­fois trans­crit Tchou-fou Yen ou Chu- Yen. L’Empereur Wu avait nommé, au­près de chaque roi, des conseillers qui étaient en des rap­por­teurs. Leur tâche était sou­vent pé­rilleuse : le conseiller Zhufu Yan fut mis à mort avec toute sa fa­mille à cause des faits qu’il avait rap­por­tés. Icône Haut

Tu Fu, « Œuvre poétique. Tome II. La Guerre civile (755-759) »

éd. Les Belles Lettres, coll. Bibliothèque chinoise, Paris

éd. Les Belles Lettres, coll. Bi­blio­thèque chi­noise, Pa­ris

Il s’agit de l’«Œuvre » de  1 qui se dé­fi­nit par la so­briété des et l’exact réa­lisme des ta­bleaux. Sans se per­mettre des trop per­son­nels, s’effaçant, dis­pa­rais­sant en tant qu’auteur de­vant ses poé­sies qui parlent d’elles-mêmes, Tu peint les scènes fa­mi­lières de la cou­rante, les mi­sères du pe­tit en proie à la , à la fa­mine et aux in­jus­tices. Son «Œuvre poé­tique» adopte un ton égal et ap­pa­rem­ment im­pas­sible, mais qu’un dé­tail vient tout à coup rendre vi­vant, voire poi­gnant, grâce au choix de deux ou trois mots («der­rière les portes de laque rouge, viandes et vins em­pestent; sur les che­mins, les af­fa­més laissent leurs os ge­lés») aux­quels l’auteur sait don­ner leur va­leur en­tière, et qu’on di­rait pour l’éternité. Tu Fu est, à ce titre, le plus clas­sique des , même s’il y en a d’autres dont le est su­pé­rieur au sien 2. «Le trait prin­ci­pal de son ta­lent, ce­lui qui do­mine l’œuvre et vient le pre­mier à l’esprit cher­chant une im­pres­sion gé­né­rale, c’est le ca­rac­tère conscient et comme ré­flé­chi de ses œuvres. Tu Fu est un ar­tiste tou­jours sûr et conscient de ses moyens, sa­chant tou­jours par­fai­te­ment le but au­quel il tend. Il n’a guère d’élans im­pré­vus, de di­gres­sions dues à des spon­ta­né­ment écloses; il règle ses œuvres et leur ef­fet avec la d’un mé­ca­nisme in­faillible, ne lais­sant rien au ha­sard, n’omettant rien d’essentiel, n’ajoutant rien de su­per­flu… Mais ce sont là, pré­ci­sé­ment, les traits es­sen­tiels des prin­cipes de l’école clas­sique, les qua­li­tés idéales aux­quelles tend… la men­ta­lité ar­tis­tique des Tang 3, pé­riode du », dit M. Georges Mar­gou­liès.

  1. En chi­nois 杜甫. Par­fois trans­crit Du Fu, Dou-fou, Thou-fou, Thu Fu ou Tou Fou. Icône Haut
  2. Li Po et Bai Juyi. Icône Haut
  1. De l’an 618 à l’an 907. Icône Haut

Rosny, « L’Énigme de Givreuse • La Haine surnaturelle »

éd. Bibliothèque nationale de France, coll. Les Orpailleurs, Paris

éd. Bi­blio­thèque na­tio­nale de , coll. Les Or­pailleurs, Pa­ris

Il s’agit de «L’Énigme de Gi­vreuse» et autres œuvres de . Sous le pseu­do­nyme de Rosny se masque la col­la­bo­ra­tion lit­té­raire entre deux  : Jo­seph-Henri-Ho­noré Boëx et Sé­ra­phin-Jus­tin-Fran­çois Boëx. Ils na­quirent, l’aîné en 1856, le jeune en 1859, d’une fran­çaise, hol­lan­daise et es­pa­gnole ins­tal­lée en . Ces di­verses, leur ins­tinct de , un âpre de la lutte — les Rosny étaient d’une rare vi­gueur mus­cu­laire —, leur han­tise de la pré, et jusque la fas­ci­na­tion qu’exerçaient sur eux les terres in­hos­pi­ta­lières et sau­vages, firent naître chez eux le rêve de re­joindre les tri­bus in­diennes qui han­taient en­core les éten­dues loin­taines du . Londres d’abord et Pa­ris en­suite n’étaient dans leur tête qu’une es­cale; mais le des­tin les y fixa pour la et fit d’eux des pri­son­niers de ces ten­ta­cu­laires que les Rosny al­laient fouiller en pro­fon­deur, avec toute la pas­sion que sus­citent des contrées in­con­nues, des contrées hu­maines et bru­tales. Ils pé­né­trèrent dans les fau­bourgs sor­dides; ils connurent les four­naises, les usines, les fa­briques fa­rouches et re­pous­santes, cra­chant leurs noires fu­mées dans le , les dé­po­toirs à perte de vue, au­tour des­quels grouillaient des hommes de fer et de . Cette vi­sion exal­tait les Rosny jusqu’aux larmes : «Le front contre sa vitre, il contem­plait le fau­bourg si­nistre, les hautes che­mi­nées d’usine, avec l’impression d’une tue­rie lente et in­vin­cible. Au­rait-on le de sau­ver les hommes?… De vastes es­pé­rances ba­layaient cette crainte» 1. À ja­mais éga­rés des ho­ri­zons ca­na­diens, les Rosny se conso­lèrent en créant une des ban­lieues, à la­quelle on doit leurs meilleures pages. L’impression qu’un autre tire d’une fo­rêt vierge, d’une sa­vane, d’une jungle, d’un abîme d’herbes, de ra­mures et de fauves, ils la ti­rèrent, aussi vierge, de l’étrange re­mous de la in­dus­trielle. Le sif­fle­ment des , le re­ten­tis­se­ment des en­clumes, la des foules de­vint pour eux un bruit aussi re­li­gieux que l’appel des cloches. L’aspect fé­roce, puis­sant des tra­vailleurs, à la sor­tie des ate­liers, leur évo­qua les temps pri­mi­tifs où les pre­miers hommes se dé­bat­taient dans des com­bats vio­lents contre les forces élé­men­taires de la . Dans leurs ro­mans aux dé­cors sub­ur­bains, qui re­joignent d’ailleurs leurs ré­cits pré­his­to­riques et , puisqu’ils se penchent sur «tout l’antique mys­tère» 2 des de­ve­nirs de la vie — dans leurs ro­mans, dis-je, les Rosny font voir que «la fo­rêt vierge et les grandes in­dus­tries ne sont pas des choses op­po­sées, ce sont des choses ana­logues»; qu’un «mor­ceau de Pa­ris, où s’entasse la gran­deur de nos sem­blables, doit faire pal­pi­ter les au­tant que la chute du Rhin à Schaff­house» 3; que l’œuvre des hommes est non moins belle et mons­trueuse que celle de la na­ture — ou plu­tôt, il est im­pos­sible de sé­pa­rer l’une de l’autre.

  1. «La Vague rouge». Icône Haut
  2. «L’Aube du fu­tur». Icône Haut
  1. «La Vague rouge». Icône Haut

Rosny, « La Mort de la Terre et Autres Contes »

éd. Bibliothèque nationale de France, coll. Les Orpailleurs, Paris

éd. Bi­blio­thèque na­tio­nale de , coll. Les Or­pailleurs, Pa­ris

Il s’agit de «La de la » et autres œuvres de . Sous le pseu­do­nyme de Rosny se masque la col­la­bo­ra­tion lit­té­raire entre deux  : Jo­seph-Henri-Ho­noré Boëx et Sé­ra­phin-Jus­tin-Fran­çois Boëx. Ils na­quirent, l’aîné en 1856, le jeune en 1859, d’une fran­çaise, hol­lan­daise et es­pa­gnole ins­tal­lée en . Ces di­verses, leur ins­tinct de , un âpre de la lutte — les Rosny étaient d’une rare vi­gueur mus­cu­laire —, leur han­tise de la pré, et jusque la fas­ci­na­tion qu’exerçaient sur eux les terres in­hos­pi­ta­lières et sau­vages, firent naître chez eux le rêve de re­joindre les tri­bus in­diennes qui han­taient en­core les éten­dues loin­taines du . Londres d’abord et Pa­ris en­suite n’étaient dans leur tête qu’une es­cale; mais le des­tin les y fixa pour la et fit d’eux des pri­son­niers de ces ten­ta­cu­laires que les Rosny al­laient fouiller en pro­fon­deur, avec toute la pas­sion que sus­citent des contrées in­con­nues, des contrées hu­maines et bru­tales. Ils pé­né­trèrent dans les fau­bourgs sor­dides; ils connurent les four­naises, les usines, les fa­briques fa­rouches et re­pous­santes, cra­chant leurs noires fu­mées dans le , les dé­po­toirs à perte de vue, au­tour des­quels grouillaient des hommes de fer et de . Cette vi­sion exal­tait les Rosny jusqu’aux larmes : «Le front contre sa vitre, il contem­plait le fau­bourg si­nistre, les hautes che­mi­nées d’usine, avec l’impression d’une tue­rie lente et in­vin­cible. Au­rait-on le de sau­ver les hommes?… De vastes es­pé­rances ba­layaient cette crainte» 1. À ja­mais éga­rés des ho­ri­zons ca­na­diens, les Rosny se conso­lèrent en créant une des ban­lieues, à la­quelle on doit leurs meilleures pages. L’impression qu’un autre tire d’une fo­rêt vierge, d’une sa­vane, d’une jungle, d’un abîme d’herbes, de ra­mures et de fauves, ils la ti­rèrent, aussi vierge, de l’étrange re­mous de la in­dus­trielle. Le sif­fle­ment des , le re­ten­tis­se­ment des en­clumes, la des foules de­vint pour eux un bruit aussi re­li­gieux que l’appel des cloches. L’aspect fé­roce, puis­sant des tra­vailleurs, à la sor­tie des ate­liers, leur évo­qua les temps pri­mi­tifs où les pre­miers hommes se dé­bat­taient dans des com­bats vio­lents contre les forces élé­men­taires de la . Dans leurs ro­mans aux dé­cors sub­ur­bains, qui re­joignent d’ailleurs leurs ré­cits pré­his­to­riques et , puisqu’ils se penchent sur «tout l’antique mys­tère» 2 des de­ve­nirs de la vie — dans leurs ro­mans, dis-je, les Rosny font voir que «la fo­rêt vierge et les grandes in­dus­tries ne sont pas des choses op­po­sées, ce sont des choses ana­logues»; qu’un «mor­ceau de Pa­ris, où s’entasse la gran­deur de nos sem­blables, doit faire pal­pi­ter les au­tant que la chute du Rhin à Schaff­house» 3; que l’œuvre des hommes est non moins belle et mons­trueuse que celle de la na­ture — ou plu­tôt, il est im­pos­sible de sé­pa­rer l’une de l’autre.

  1. «La Vague rouge». Icône Haut
  2. «L’Aube du fu­tur». Icône Haut
  1. «La Vague rouge». Icône Haut

Kawabata, « Première Neige sur le mont Fuji et Autres Nouvelles »

éd. A. Michel, coll. Les Grandes Traductions, Paris

éd. A. Mi­chel, coll. Les Grandes Tra­duc­tions, Pa­ris

Il s’agit d’«En si­lence» («Mu­gon» 1), «Pre­mière Neige sur le mont Fuji» («Fuji no hat­suyuki» 2) et autres œuvres de  3, écri­vain qui mé­rite d’être placé au plus haut som­met de la . «Vos ro­mans sont si grands, si su­blimes, que dans ma pe­ti­tesse je ne puis que les vé­né­rer de loin, comme le jeune ber­ger qui, re­gar­dant les cimes bleues des à l’, rêve du jour où il sera en me­sure d’escalader même la plus haute», dit M. Yu­kio Mi­shima dans une lettre adres­sée à ce­lui qui fut pour lui le maître et l’ami 4. Ka­wa­bata na­quit en 1899. Son père, mé­de­cin let­tré, mou­rut de tu­ber­cu­lose en 1901; sa mère, sa grand-mère et sa sœur dis­pa­rurent à leur tour, em­por­tées par la même ma­la­die. Il fut re­cueilli chez son grand-père aveugle, son der­nier et unique pa­rent. Là, dans un vil­lage de cin­quante et quelques , il passa une en­fance so­li­taire, toute de si­lence et de . Levé à l’aube, il de­vait ai­der son grand-père à sa­tis­faire ses fonc­tions na­tu­relles, ti­raillé entre la et le dé­goût. Puis, il mon­tait sur un arbre du jar­din et, as­sis entre les grandes branches, il li­sait «jusqu’à ce que vînt à pas­ser une voi­ture ou un chien qui aboyait» 5; ou alors, un à la main, il écri­vait à ses pa­rents dé­funts des lettres d’une éru­di­tion et d’une ma­tu­rité de qu’on s’étonne de ren­con­trer chez un en­fant : «Père, vous vous êtes levé de votre lit de pour nous lais­ser, à et à ma sœur en­core in­no­cente, une sorte de tes­ta­ment écrit. Vous avez tracé les idéo­grammes de “Chas­teté” pour ma sœur, et de “Prends garde à toi” pour moi-même… Tan­dis que j’écris cette lettre, il me vient à l’esprit cette phrase de Jean Coc­teau :

Gra­vez votre nom dans un arbre
Qui pous­sera jusqu’au na­dir;
Un arbre vaut mieux que le marbre,
Car on y voit les gran­dir.

En fait, le poème reste un peu obs­cur… Mais si l’on ar­rive tout sim­ple­ment à gra­ver son nom dans le cœur d’un en­fant ou d’un être aimé, ce nom ne gran­dira-t-il pas, fi­na­le­ment, lui aussi?»

  1. En ja­po­nais «無言». Icône Haut
  2. En ja­po­nais «富士の初雪». Icône Haut
  3. En ja­po­nais 川端康成. Icône Haut
  1. «Cor­res­pon­dance», p. 61-62. Icône Haut
  2. «L’Adolescent : ré­cits au­to­bio­gra­phiques», p. 45. Icône Haut

Ibn Rushd (Averroès), « Abrégé du “Mustaṣfā” »

éd. De Gruyter, coll. Corpus philosophorum Medii Ævi-Scientia græco-arabica, Berlin

éd. De Gruy­ter, coll. Cor­pus phi­lo­so­pho­rum Me­dii Ævi-Scien­tia græco-ara­bica, Ber­lin

Il s’agit du «Muḫtaṣar al-Mus­taṣfâ» 1 d’Ibn Ru­shd 2 (XIIe siècle apr. J.-C.), abrégé du livre de de Ghazâli in­ti­tulé «Mus­taṣfâ». De tous les que l’ donna à l’, ce­lui qui laissa le plus de traces dans la des peuples, grâce à ses re­mar­quables sur les d’Aris­tote, fut Ibn Ru­shd, éga­le­ment connu sous les cor­rom­pus d’Aben-Rost, Aver­roïs, Aver­rhoës ou Aver­roès 3. Dans son na­tale, ce coin pri­vi­lé­gié du , le goût des et des belles choses avait éta­bli au Xe siècle une dont notre époque mo­derne peut à peine of­frir un exemple. «Chré­tiens, juifs, par­laient la même , chan­taient les mêmes poé­sies, par­ti­ci­paient aux mêmes études lit­té­raires et . Toutes les bar­rières qui sé­parent les hommes étaient tom­bées; tous tra­vaillaient d’un même ac­cord à l’œuvre de la com­mune», dit Re­nan. Abû Ya‘ḳûb Yû­suf 4, ca­life de l’Andalousie et contem­po­rain d’Ibn Ru­shd, fut le prince le plus let­tré de son . L’illustre phi­lo­sophe Ibn Tho­faïl ob­tint à sa Cour une grande et en pro­fita pour y at­ti­rer les de re­nom. Ce fut d’après le vœu ex­primé par Yû­suf et sur les ins­tances d’Ibn Tho­faïl qu’Ibn Ru­shd en­tre­prit de com­men­ter . Ja­mais ce der­nier n’avait reçu de soins aussi éten­dus, aussi sin­cères et dé­voués que ceux que lui pro­di­guera Ibn Ru­shd. L’ ne sera plus ; il sera . «Mais la cause fa­tale qui a étouffé chez les mu­sul­mans les plus beaux germes de dé­ve­lop­pe­ment in­tel­lec­tuel, le fa­na­tisme re­li­gieux, pré­pa­rait déjà la ruine [de la ]», dit Re­nan. Vers la fin du XIIe siècle, l’antipathie des imams et du contre les études ra­tion­nelles se dé­chaîne sur toute la sur­face du monde mu­sul­man. Bien­tôt il suf­fira de dire d’un  : «Un tel tra­vaille à la phi­lo­so­phie ou donne des le­çons d’», pour que les gens du peuple lui ap­pliquent im­mé­dia­te­ment le nom d’«im­pie», de «mé­créant», etc.; et que, si par mal­heur il per­sé­vère, ils le frappent dans la rue ou lui brûlent sa mai­son.

  1. En arabe «مختصر المستصفى». Éga­le­ment connu sous le titre d’«Iḫtiṣâr al-Mus­taṣfâ» («اختصار المستصفى»). Icône Haut
  2. En arabe ابن رشد. Au­tre­fois trans­crit Ibn-Ro­sched, Ebn-Roëch, Ebn Ro­schd, Ibn-Ro­shd, Ibn Ro­chd ou Ibn Rušd. Icône Haut
  1. Par sub­sti­tu­tion d’Aven (Aben) à Ibn. Icône Haut
  2. En arabe أبو يعقوب يوسف. Au­tre­fois trans­crit Abu Ya­qub Yu­suf, Abou Ya‘qoûb Yoû­çof ou Abou-Ya’coub You­souf. Icône Haut

Hugo, « Les Chants du crépuscule • Les Voix intérieures • Les Rayons et les Ombres »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit des «Rayons et les Ombres» et autres œuvres de (XIXe siècle). Il faut re­con­naître que Hugo est non seule­ment le pre­mier en rang des de fran­çaise, de­puis que cette langue a été fixée; mais le seul qui ait un vrai­ment à ce titre d’écrivain dans sa pleine ac­cep­tion. Toutes les ca­té­go­ries de l’ lit­té­raire se trouvent en lui dé­jouées. La qui vou­drait dé­mê­ler cette ti­ta­nique, stu­pé­fiante, te­nant quelque chose de la di­vi­nité, est en pré­sence du pro­blème le plus in­so­luble. Fut-il poète, ro­man­cier ou pen­seur? Fut-il spi­ri­tua­liste ou réa­liste? Il fut tout cela et plus en­core. Nou­veau Qui­chotte, cet est allé por­ter ses pas sur tous les che­mins de l’esprit, mon­ter sur toutes les bar­ri­cades qu’il ren­con­trait, sou­tien des faibles et pour­fen­deur des ty­rans, son­neur de clai­rons et amant de la vio­lette; si bien qu’aucune des fa­milles qui se par­tagent l’espèce hu­maine au et au mo­ral ne peut se l’attribuer en­tiè­re­ment. Tan­tôt égal à la , com­paré à la mon­tagne, rap­pro­ché du , as­si­milé à l’ouragan, tan­tôt phi­lo­sophe, re­dres­seur des abus du siècle, pro­fes­seur d’histoire et guide , tan­tôt chargé d’apitoyer le sur la femme, de le mettre à ge­noux de­vant le vieillard pour le vé­né­rer et de­vant l’enfant pour le conso­ler, il fut je ne sais quel suc­cé­dané de la . Avec sa , c’est un monde cy­clo­péen d’idées et d’impressions qui est parti, un conti­nent de gra­nit qui s’est dé­ta­ché et a roulé avec fra­cas au fond des abîmes. «Qui pour­rait dire : “J’aime ceci ou cela dans Hugo”?», dit Édouard Dru­mont 1. «Comme l’océan, comme la mon­tagne, comme la fo­rêt, ce éveille l’idée de l’. Ce qu’on aime dans l’océan, ce n’est point une vague, ce sont des vagues in­ces­sam­ment re­nou­ve­lées; ce qu’on aime dans la fo­rêt, ce n’est point un arbre ou une feuille, ce sont ces mil­liers d’ et ces mil­liers de feuilles qui confondent leur ver­dure et leur bruit.»

  1. «Vic­tor Hugo de­vant l’opinion», p. 104. Icône Haut

« Daryush Ashouri : un intellectuel hétérodoxe iranien »

éd. L’Harmattan, coll. L’Iran en transition, Paris

éd. L’Harmattan, coll. L’ en tran­si­tion, Pa­ris

Il s’agit de «La Théo­rie de “l’occidentalite” et la Crise de en Iran» («Na­za­rieh-ye gharb­za­degi va boh­rân-e ta­fak­kor dar Iran» 1) et autres ar­ticles de M. Da­ryoush Ashouri 2, in­tel­lec­tuel et tra­duc­teur , ins­tallé en de­puis 1987. La pen­sée ira­nienne mo­derne est en grande par­tie ti­raillée entre son re­jet de l’ et sa fas­ci­na­tion pour lui. Au siècle der­nier, elle de­vi­sait avec op­ti­misme d’un ave­nir où elle se­rait plus oc­ci­den­ta­li­sée; à pré­sent, elle s’en prend, en des termes dé­fai­tistes et ré­cri­mi­nants, aux per­ver­si­tés de l’Occident, dont elle vou­drait faire un épou­van­tail. M. Ashouri traite de cette di­cho­to­mie et il dit ne pou­voir mieux la dé­fi­nir que comme un «res­sen­ti­ment» pa­tho­lo­gique («kin-touzi» 3) qui a af­fligé à la fois les pen­seurs et les masses po­pu­laires en Iran tout au long de l’ ré­cente. M. Ashouri em­prunte ce terme de «res­sen­ti­ment» à Frie­drich Nietzsche et il l’applique au cas ira­nien. Dans «La de la », Nietzsche op­pose l’ ac­tif ou sur­homme, qui crée triom­pha­le­ment ses propres va­leurs, aux hommes im­puis­sants, à qui la vraie ac­tion est in­ter­dite, et qui ne trouvent de com­pen­sa­tion que dans leur haine ren­trée et dans leur ran­cune en­vers le sur­homme. Ces hommes du «res­sen­ti­ment», étant in­ca­pables d’agir, de­meurent du­ra­ble­ment rem­plis de ré­ac­tions hos­tiles et ve­ni­meuses. Telle est l’attitude de beau­coup d’Iraniens qui, de­puis les an­nées 1960, ne par­viennent plus à af­fir­mer po­si­ti­ve­ment leur propre «» : au lieu de cela, ils cherchent un ad­ver­saire dans ce qui se si­tue en de­hors, dans ce qui est leur «autre que soi», et tout d’abord, dans une oc­ci­den­tale trans­for­mée en une vé­ri­table ca­ri­ca­ture, en un monstre. Et M. Ashouri de don­ner comme exemple deux pen­seurs ira­niens de re­nom, Dja­lal Âl-e Ah­mad et Ali Sha­riati, et leur théo­rie de «l’occidentalite» ou «ma­la­die oc­ci­den­tale». «Comme j’y ai déjà fait al­lu­sion», dit M. Ashouri, «“l’occidentalite” est ba­sée sur cette concep­tion qu’il existe un “Oc­ci­dent” là-bas et un “nous” ici, dont la re­la­tion est qua­li­fiée de do­mi­nant-do­miné… Le pro­blème fon­da­men­tal de cette théo­rie est qu’elle n’a pas de connais­sance [ni] de l’un, ni de l’autre, et dans un cercle vi­cieux, ne par­vient pas à se don­ner une ou­ver­ture au . Je vou­drais ci­ter deux fi­gures qui re­pré­sentent cette ten­dance, Âl-e Ah­mad et Sha­riati. Les deux se ré­fé­rent à l’ pour cri­ti­quer l’Occident, mais leur dé­marche est-elle si­mi­laire à celle de Ghazâli? La grande dif­fé­rence entre ces deux et Ghazâli consiste dans le fait que, pour ce der­nier, la est le but; alors que, pour eux, celle-ci est un moyen de com­bat … À l’opposé de Ghazâli, qui cherche la ra­cine et les concepts les plus fon­da­men­taux, on [ne voit au­cun] sou­bas­se­ment phi­lo­so­phique [chez Âl-e Ah­mad et chez Sha­riati]. Par exemple, ils ne peuvent plus consul­ter Des­cartes, et… de ce fait, ils de­viennent au socle de la , alors qu’eux-mêmes sont in­cons­ciem­ment sous son »

  1. En «نظریهٔ غرب‌زدگی و بحران تفکر در ایران». Icône Haut
  2. En per­san داریوش آشوری. Par­fois trans­crit Da­rioush Ashouri, Da­riush Ashoori ou Da­ryush Ashuri. Icône Haut
  1. En per­san کین توزی. Par­fois trans­crit «kine-touzi». Icône Haut

« Écrits de Maître Wen, [ou] Livre de la pénétration du mystère »

éd. Les Belles Lettres, coll. Bibliothèque chinoise, Paris

éd. Les Belles Lettres, coll. Bi­blio­thèque chi­noise, Pa­ris

Il s’agit de la ver­sion mo­derne du «Clas­sique de la pé­né­tra­tion du mys­tère» 1Tongxuan zhen­jing» 2), plus connu sous le titre de «Wen-zi» 3, ou­vrage at­tri­bué au phi­lo­sophe ïste du même nom qui l’aurait com­posé pour éclair­cir les en­sei­gne­ments de son maître Lao-tseu. En ef­fet, beau­coup de pas­sages dé­butent par «Lao-tseu dit» et se veulent être un com­men­taire de ses théo­ries, mais un com­men­taire qui en four­ni­rait l’application pra­tique. Pour­tant, si l’on ex­cepte les der­nières dé­cen­nies, le «Wen-zi» n’a ja­mais vrai­ment re­tenu l’attention des let­trés , qui éle­vaient des doutes sur son au­then­ti­cité. Les An­ciens n’ont lé­gué à son su­jet qu’une courte no­tice bi­blio­gra­phique (Ier siècle av. J.-C.) dé­cri­vant l’ouvrage comme des dia­logues entre Wen-zi (Maître Wen), dis­ciple im­mé­diat de Lao-tseu, et le roi Ping. , le seul mo­narque suf­fi­sam­ment connu à avoir porté ce nom étant Ping des Zhou 4, qui vé­cut deux siècles avant (!) Lao-tseu, on a dès le dé­part sus­pecté le «Wen-zi» de pré­tendre être plus an­cien qu’il ne l’était. De plus, la ver­sion pre­mière, pré­sen­tée dans la no­tice, s’était per­due sous la dy­nas­tie des Han. Une ver­sion mo­derne pa­rut par la suite, mais elle ne re­pré­sen­tait pas dans son in­té­grité l’œuvre ori­gi­nale. Seul son cin­quième cha­pitre, in­ti­tulé «La Voie et la », était ré­digé sous forme de dia­logues. Tout le reste mon­trait un ca­rac­tère com­po­site et co­piait ou imi­tait des pas­sages en­tiers du «Huai­nan zi» ou d’autres qui, réunis dans le sien, grin­çaient les uns contre les autres comme des dents ébré­chées. «Un faux a donné nais­sance à un autre faux», concluait un let­tré chi­nois 5. Or, voici qu’en 1973 on dé­cou­vrit à Dingz­hou 6 dans une tombe royale scel­lée en 55 av. J.-C. deux cent soixante-dix-sept tiges de bam­bou por­tant des bribes de la ver­sion an­cienne du «Wen-zi». Un in­cen­die, pro­vo­qué par des pilleurs de tombe, les avait cal­ci­nées à demi, et leur état lais­sait si fort à dé­si­rer, qu’il fal­lut plus de vingt ans de tra­vail à l’équipe char­gée de leur dé­chif­fre­ment pour que pa­rût la trans­crip­tion. Le «Wen-zi» sur tiges de bam­bou, loin de faire avan­cer la ques­tion de l’authenticité de l’œuvre, n’a fait que l’obscurcir da­van­tage. Nous sommes en pré­sence de deux ver­sions dis­tinctes, ré­di­gées par des au­teurs dif­fé­rents, à des époques éloi­gnées l’une de l’autre.

  1. Au­tre­fois tra­duit «“King” ap­pro­fon­dis­sant l’origine des choses». Icône Haut
  2. En chi­nois «通玄真經». Au­tre­fois trans­crit «Toung-youèn tchin king», «T’ong-yuen-tchin-king» ou «T’ung hsüan chen ching». Icône Haut
  3. En chi­nois «文子». Au­tre­fois trans­crit «Wen-tze», «Wen-tzu» ou «Wen-tseu». Icône Haut
  1. En chi­nois 周平王. Icône Haut
  2. Liang Qi­chao (梁啟超). Icône Haut
  3. En chi­nois 定州. An­cien­ne­ment Dingxian (定縣). Icône Haut

Hugo, « Les Orientales • Les Feuilles d’automne »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit des «Feuilles d’automne» et autres œuvres de (XIXe siècle). Il faut re­con­naître que Hugo est non seule­ment le pre­mier en rang des de fran­çaise, de­puis que cette langue a été fixée; mais le seul qui ait un vrai­ment à ce titre d’écrivain dans sa pleine ac­cep­tion. Toutes les ca­té­go­ries de l’ lit­té­raire se trouvent en lui dé­jouées. La qui vou­drait dé­mê­ler cette ti­ta­nique, stu­pé­fiante, te­nant quelque chose de la di­vi­nité, est en pré­sence du pro­blème le plus in­so­luble. Fut-il poète, ro­man­cier ou pen­seur? Fut-il spi­ri­tua­liste ou réa­liste? Il fut tout cela et plus en­core. Nou­veau Qui­chotte, cet est allé por­ter ses pas sur tous les che­mins de l’esprit, mon­ter sur toutes les bar­ri­cades qu’il ren­con­trait, sou­tien des faibles et pour­fen­deur des ty­rans, son­neur de clai­rons et amant de la vio­lette; si bien qu’aucune des fa­milles qui se par­tagent l’espèce hu­maine au et au mo­ral ne peut se l’attribuer en­tiè­re­ment. Tan­tôt égal à la , com­paré à la mon­tagne, rap­pro­ché du , as­si­milé à l’ouragan, tan­tôt phi­lo­sophe, re­dres­seur des abus du siècle, pro­fes­seur d’histoire et guide , tan­tôt chargé d’apitoyer le sur la femme, de le mettre à ge­noux de­vant le vieillard pour le vé­né­rer et de­vant l’enfant pour le conso­ler, il fut je ne sais quel suc­cé­dané de la . Avec sa , c’est un monde cy­clo­péen d’idées et d’impressions qui est parti, un conti­nent de gra­nit qui s’est dé­ta­ché et a roulé avec fra­cas au fond des abîmes. «Qui pour­rait dire : “J’aime ceci ou cela dans Hugo”?», dit Édouard Dru­mont 1. «Comme l’océan, comme la mon­tagne, comme la fo­rêt, ce éveille l’idée de l’. Ce qu’on aime dans l’océan, ce n’est point une vague, ce sont des vagues in­ces­sam­ment re­nou­ve­lées; ce qu’on aime dans la fo­rêt, ce n’est point un arbre ou une feuille, ce sont ces mil­liers d’ et ces mil­liers de feuilles qui confondent leur ver­dure et leur bruit.»

  1. «Vic­tor Hugo de­vant l’opinion», p. 104. Icône Haut