Mot-clefiranien

Bâbâ Tâhir, « Les Quatrains »

dans « Journal asiatique », sér. 8, vol. 6, p. 502-545

dans « Jour­nal asia­tique », sér. 8, vol. 6, p. 502-545

Il s’agit de Bâbâ Tâ­hir1, poète per­san, dont la sim­pli­cité des sen­ti­ments et du vo­ca­bu­laire fait le charme de ses qua­trains. On sait peu de choses sur lui ; on ignore même le temps où il vé­cut (entre le Xe et XIIe siècle apr. J.-C. pro­ba­ble­ment). Il était un de ces der­viches er­rants, ces fous de Dieu qui passent pour saints en Orient, et que pour cela, tout le monde ré­vère et res­pecte. Le sur­nom de ‘Uryân2 (« le Nu ») sous le­quel il est dé­si­gné lui vient, disent cer­tains, de ce qu’il se pro­me­nait sans vê­te­ments dans les ba­zars et dans les rues ; mais il est tout aussi vrai­sem­blable qu’il vi­vait dans le dé­nue­ment ou le re­non­ce­ment, plu­tôt que dans la com­plète nu­dité : « Je suis le bo­hème mys­tique qu’on ap­pelle “qa­len­der” ; je n’ai ni feu ni lieu, nul point d’attache », dit-il. « Le jour, j’erre au­tour du monde, et la nuit, je m’endors une brique sous la tête… Il n’y a point dans l’univers de pa­pillon aussi étourdi, de fou aussi étrange que moi. Les ser­pents et les four­mis ont tous une re­traite, mais moi je n’ai pas même — in­for­tuné ! — le mur d’une mai­son en ruines »3. En tout cas, l’on constate que son mys­ti­cisme ne lui épar­gna ni les tour­ments de l’amour ni les an­goisses cau­sées par la pen­sée de la mort. Il est, d’ailleurs, un des pre­miers der­viches à avoir dé­crit ses trans­ports amou­reux dans la langue per­sane : « Le col­chique des mon­tagnes ne dure qu’une se­maine, ainsi que la vio­lette des bords de la ri­vière ; je veux crier, de ville en ville, que la fi­dé­lité des belles aux joues ro­sées ne dure qu’une se­maine… Mon cœur est plein de feu, mes yeux pleins de larmes ; ma vie n’est qu’un vase rem­pli de tris­tesses et d’ennuis. Eh bien ! si, après ma mort, tu viens à pas­ser près de ma tombe, ton par­fum me ren­dra la vie »

  1. En per­san باباطاهر. Par­fois trans­crit Bâbâ Tâ­her. Haut
  2. En per­san عریان. Par­fois trans­crit Uriyan, ‘Oriyān ou Oryân. Haut
  1. p. 516 & 528. Haut

« Anthologie persane (XIe-XIXe siècle) »

éd. Payot, coll. Bibliothèque historique, Paris

éd. Payot, coll. Bi­blio­thèque his­to­rique, Pa­ris

Il s’agit d’une an­tho­lo­gie per­sane (XIe-XIXe siècle). La poé­sie est le ta­lent propre et par­ti­cu­lier des Per­sans, et la par­tie de leur lit­té­ra­ture où ils ex­cellent : la vi­va­cité de leur ima­gi­na­tion, la po­li­tesse de leurs mœurs, la dou­ceur de leur langue, telles sont peut-être les causes de leur fé­con­dité poé­tique. Un homme qui ne sait pas un mot de per­san ne lais­sera pas, en en­ten­dant ré­ci­ter des vers per­sans, d’être épris du son et de la ca­dence qui y est très sen­sible. Al­lez en Iran, par­lez aux gens dans la rue, aux bou­chers, aux mar­chands ; ils fe­ront en­trer dans leur ré­ponse des tour­nures qui suf­fi­ront à vous plon­ger dans une rê­ve­rie pro­fonde. Comme dit Hâ­fez :

« Le se­cret de Dieu que le gnos­tique pè­le­rin ne dit à per­sonne,
Je suis stu­pé­fait, ne sa­chant d’où le mar­chand de vin l’a en­tendu
 »1.

Si les belles-lettres de l’islam comptent parmi les plus re­mar­quables du monde, c’est avant tout grâce au gé­nie ira­nien. Les pre­miers maîtres dans l’art de la gram­maire étaient d’origine per­sane, même s’ils avaient passé leur jeu­nesse dans la pra­tique de la langue arabe. Tous les sa­vants mu­sul­mans qui ont traité des prin­cipes fon­da­men­taux de la science, tous ceux qui se sont dis­tin­gués dans la ju­ris­pru­dence, et la plu­part de ceux qui ont cultivé l’exégèse co­ra­nique, ap­par­te­naient à la race per­sane ou s’étaient as­si­mi­lés aux Per­sans par les ma­nières et par l’éducation. Cela suf­fit pour dé­mon­trer la vé­rité de la pa­role at­tri­buée au pro­phète Ma­ho­met : « Si la science était sus­pen­due au haut du ciel, il y au­rait des gens parmi les Per­sans pour s’en em­pa­rer »2. Comme dit Jan Rypka : « Les Ira­niens sont les Fran­çais de l’Orient. Chez les uns comme chez les autres, la pro­duc­tion lit­té­raire et ar­tis­tique pré­sente une éten­due et une va­leur in­ap­pré­ciables…

  1. « Le Di­van : œuvre ly­rique d’un spi­ri­tuel en Perse au XIVe siècle », p. 639. Haut
  1. Dans Ibn Khal­doun, « Pro­lé­go­mènes ». Haut

Bosḥâq, « Recueil de poésies gastronomiques »

dans « Journal asiatique », sér. 8, vol. 8, p. 166-182

dans « Jour­nal asia­tique », sér. 8, vol. 8, p. 166-182

Il s’agit des poé­sies gas­tro­no­miques d’Abû Esḥâq1, plus connu sous la forme contrac­tée de Bosḥâq2. Ce que l’on sait de la vie de cet homme se ré­duit à peu de chose. Né à Chi­raz, en Perse, il exer­çait la pro­fes­sion de car­deur de co­ton, même s’il est connu grâce à ses poé­sies re­la­tives à l’art cu­li­naire. La date de sa mort est in­cer­taine : elle flotte de 1423 à 1427 apr. J.-C. Sui­vant les bio­graphes, c’était un joyeux com­père, rem­pli de verve caus­tique, et ne s’épargnant pas lui-même dans ses plai­san­te­ries. L’anecdote sui­vante le prouve. Son pro­tec­teur, le prince Es­kan­dar Mîrzâ3, s’étonnait de ne pas l’avoir aperçu à ses au­diences de­puis quelque temps ; Bosḥâq alla s’excuser : « Al­tesse », dit-il, « il me faut un jour pour car­der le co­ton, et trois jours pour trier les fils de ma barbe ». Il por­tait, en ef­fet, une barbe dé­me­su­ré­ment longue. Son œuvre tient tout en­tière dans le pe­tit vo­lume qu’il in­ti­tula « Le Di­van de la gas­tro­no­mie » (« Dî­vân-e aṭ‘ema »4). Voici com­ment il fut amené à ce su­jet. Il cher­chait de­puis quelque temps un moyen d’honorer sa pa­trie, d’étonner son siècle et de sé­duire ses contem­po­rains, lorsqu’un ma­tin, « à l’heure où la fu­mée d’un ap­pé­tit au­then­tique s’échappe de la cui­sine de l’estomac », comme il dit lui-même, sa maî­tresse en­tra chez lui et lui dit : « Je n’ai plus d’appétit ; je suis dé­goû­tée de tout. Que faire ? » Il lui ré­pon­dit : « Suis l’exemple de cet im­puis­sant qui alla consul­ter un mé­de­cin. Ce der­nier com­posa à l’usage de son client un livre ana­créon­tique. À peine notre in­firme en eut-il ter­miné la lec­ture qu’il triom­pha d’une jeune vierge. Moi aussi, je vais com­po­ser à ton in­ten­tion un opus­cule cu­li­naire. Par­cours-le une bonne fois, et ton ap­pé­tit re­naî­tra ». Et Bosḥâq s’attela aus­si­tôt à l’œuvre et fit « bouillir au feu du tra­vail la cas­se­role de l’invention », comme il dit lui-même. N’osant pré­tendre aux lau­riers des Fir­dousi et des Hâ­fez, son am­bi­tion plus mo­deste le can­tonna dans un genre in­connu en Perse avant lui : ce­lui de la ba­di­ne­rie gas­tro­no­mique. « En fine bouche qu’il était », dit Henri Ferté5, « il choi­sit l’art cu­li­naire pour trem­plin de son es­prit gouailleur. L’Iran trouve en lui son Ber­choux ou son Brillat-Sa­va­rin. On ne sau­rait tou­te­fois com­pa­rer, à la lettre, son Di­van à la “Gas­tro­no­mie” ou à la “Phy­sio­lo­gie du goût”, ces deux pe­tits chefs-d’œuvre de spi­ri­tuel ba­di­nage et de me­sure toute fran­çaise. La plai­san­te­rie du gas­tro­nome per­san sem­ble­rait trop sou­vent à nos lec­teurs lourde et pé­dante. »

  1. En per­san ابواسحاق. Par­fois trans­crit Abou Ishaq, Abō Isḥāq, Abu Ishaq ou Abû Isḥâḳ. Haut
  2. En per­san بسحق. Par­fois trans­crit Bou­shâq, Bu­shaq ou Bu­shak. Haut
  3. En turc İsk­ender Mirza. Par­fois trans­crit Mīrzā Is­kan­dar. Ce prince, un des pe­tits-fils de Ta­mer­lan, avait réussi, à la mort de son grand-père, à se faire at­tri­buer la Perse. En 1411 apr. J.-C. son oncle mar­cha contre lui et alla le for­cer dans la ville d’Ispahan. Es­kan­dar Mîrzâ prit la fuite ; mais des ca­va­liers, qui le pour­sui­virent, l’arrêtèrent et l’amenèrent à son oncle, qui le re­mit entre les mains de son frère, en lui re­com­man­dant d’en prendre soin. « Mais [son frère] lui fit cre­ver les yeux, afin de lui ôter par là l’envie de re­muer et d’entreprendre de ré­gner une autre fois » (« Les Pa­roles re­mar­quables, les Bons Mots et les Maximes des Orien­taux »). Haut
  1. En per­san « دیوان اطعمه ». Haut
  2. « Re­cueil de poé­sies gas­tro­no­miques », p. 167. Haut

Ibn al-Moqaffa, « Le Livre de “Kalila et Dimna” »

éd. Klincksieck, Paris

éd. Klinck­sieck, Pa­ris

Il s’agit du « Ka­lila et Dimna » (« Ka­lîla wa Dimna »1), en­semble de contes qui font l’admiration de l’Orient, et dont les ani­maux sont les prin­ci­paux ac­teurs. Tous les élé­ments as­surent à l’Inde l’honneur d’avoir donné nais­sance à ces contes : l’existence d’un re­cueil plus an­cien, le « Pañ­ca­tan­tra », ne laisse au­cun doute sur l’origine in­dienne ; et Fir­dousi confirme cette même ori­gine dans son « Livre des rois », où il dit : « Il y a dans le tré­sor du radja un livre que les hommes de bien ap­pellent “Pañ­ca­tan­tra”, et quand les hommes sont en­gour­dis par l’ignorance, le “Pañ­ca­tan­tra” est comme l’herbe de leur ré­sur­rec­tion… car il est le guide vers la [sa­gesse] »2. Ce fut au VIe siècle apr. J.-C. que Noû­chi­ré­vân le Juste3, roi de Perse, en­ga­gea un mé­de­cin cé­lèbre, Bar­zoui ou Bar­zouyèh4, à rap­por­ter de l’Inde, outre le « Pañ­ca­tan­tra », di­vers autres ou­vrages du même genre. Après un long sé­jour dans l’Inde, Bar­zouyèh par­vint à force de ruses et d’adresse à s’en pro­cu­rer des exem­plaires. Son pre­mier soin fut aus­si­tôt d’en com­po­ser un re­cueil en pehlvi, au­quel il donna le nom de « Ka­lila et Dimna », parce que le ré­cit des aven­tures de ces deux cha­cals en for­mait la prin­ci­pale par­tie. Cette ver­sion du « Ka­lila et Dimna » eut le sort de tout ce qui consti­tuait la lit­té­ra­ture per­sane au temps des Sas­sa­nides : elle fut dé­truite lors de la conquête de la Perse par les Arabes et sa­cri­fiée au zèle aveugle des pre­miers mu­sul­mans. Au VIIIe siècle apr. J.-C., le peu qui échappa à la des­truc­tion fut tra­duit en arabe par un autre Per­san, Ibn al-Mo­qaffa5, avec tant de mé­rite et tant d’élégance, que ces mêmes mu­sul­mans l’accusèrent d’avoir tra­vaillé, mais vai­ne­ment, à imi­ter et même à sur­pas­ser le style du Co­ran. « Alors, arabe vrai­ment, le “Ka­lila”, ou ira­nien, in­dien même, en ses plus loin­tains re­fuges ? La ré­ponse est à cher­cher dans l’histoire du livre. Et que nous dit-elle ? Qu’il est de­venu, très vite, l’une des pièces es­sen­tielles d’un pa­tri­moine, un livre-clef », dit M. An­dré Mi­quel

  1. En arabe « كليلة ودمنة ». Par­fois trans­crit « Ko­laïla ou Dimna » ou « Kalī­lah wa Dim­nah ». Haut
  2. « Le Livre des rois ; tra­duit et com­menté par Jules Mohl. Tome VI », p. 361. Haut
  3. Sur­nom de Khos­row Ier, dit Chos­roès le Grand, qui ré­gna sur la Perse au VIe siècle apr. J.-C. Haut
  1. En per­san برزوی ou برزویه. Par­fois trans­crit Burzōy, Bur­zoyé, Burzōē, Borzūya, Bur­zuyah, Bor­zoueh, Bor­zouyeh, Bor­ziyeh ou Ber­zouyèh. Haut
  2. En arabe بن المقفع. Au­tre­fois trans­crit Ibn al-Mu­qaffa‘, Ibn Mu­qa­faa, Ibn Mo­qa­faa’, Ebn-al­mou­kaffa, Ibn al-Mu­kaffâ, Ibn al-Moḳaffa‘, Ibn al-Mou­qaffa’, Ibn al Mou­qa­faa, Aben Mo­chafa, Ebn-al­mo­caffa ou Ebn-al­mo­kaffa. Par suite d’une faute, بن المقنع, trans­crit Ebn-al­mo­canna, Ebn Mo­can­naa, Ben Mo­cannâ ou Ben Mo­can­naah. Haut

Rypka, « Dans l’intimité d’un mystique iranien »

dans « L’Âme de l’Iran » (coll. Spiritualités vivantes, éd. A. Michel, Paris), p. 105-131

dans « L’Âme de l’Iran » (coll. Spi­ri­tua­li­tés vi­vantes, éd. A. Mi­chel, Pa­ris), p. 105-131

Il s’agit du ré­cit « Dans l’intimité d’un mys­tique ira­nien » du doc­teur Jan Rypka, pro­fes­seur ti­tu­laire de phi­lo­lo­gie turque et ira­nienne à l’Université de Prague, doyen de la Fa­culté des lettres, membre fon­da­teur de l’Institut orien­tal tché­co­slo­vaque, of­fi­cier de la Lé­gion d’honneur (Pa­ris), lau­réat de la mé­daille Fir­dousi (Té­hé­ran), etc. C’est un fait constant à toutes les époques que les gens d’esprit, dé­si­reux de se faire com­prendre, in­ventent dans ce des­sein toutes sortes d’artifices et cherchent à mettre en œuvre toutes les res­sources dont ils dis­posent. Pa­reil souci a poussé le doc­teur Rypka à com­po­ser ce ré­cit où il offre, par la bouche d’un mys­tique ira­nien, une étude élo­quente et par­faite de l’âme hu­maine. Deux rai­sons conju­guées ont in­cité ce sa­vant à faire par­ler un mys­tique ira­nien : il trou­vait là, en même temps qu’un moyen de s’exprimer en toute li­berté, un do­maine fa­mi­lier à ses re­cherches ; quant au ré­cit lui-même, il joi­gnait l’agrément à la sa­gesse, celle-ci le fai­sant choi­sir par les phi­lo­sophes, ce­lui-là — par les es­prits lé­gers. Le mys­tique en ques­tion est un vieillard frêle et mince, d’âge in­cer­tain. Sa de­meure, mi­nus­cule comme une cage d’oiseau, est tout à fait per­due dans le la­by­rinthe des pe­tites ruelles qui en­toure l’angle Nord-Est du ba­zar de Té­hé­ran. Il n’a ni of­fice ni pré­bende et il vit dans une pau­vreté ab­so­lue, presque au jour le jour, les dons de ses fi­dèles consti­tuant sa seule res­source ma­té­rielle. Et il donne en­core aux autres ! Dans sa cham­brette bai­gnée de lu­mière, les hôtes s’installent gé­né­ra­le­ment au­tour d’une longue table, sur de larges di­vans lon­geant les murs, as­sis, et le dos ap­puyé sur des cous­sins. Dans un coin se trouve une autre table, plus pe­tite, cou­verte de livres et de ma­nus­crits per­sans et arabes. C’est là le vrai centre au­tour du­quel tourne la vie dans la mai­son­nette du maître. Lui-même aime à feuille­ter ces livres toutes les fois qu’il a un mo­ment de li­berté ou se les fait ré­ci­ter par d’excellents chan­teurs. Son poète fa­vori est Magh­ribi :

« Si je te sa­lue, c’est que toi-même, tu es le sa­lut. Si je te bé­nis, c’est que tu es toi-même la bé­né­dic­tion.
Com­ment quelqu’un peut-il te don­ner à toi-même ? Car tu es à la fois ton propre bien­fait et ton propre bien­fai­teur
 »

Hâfez, « Le Divan : œuvre lyrique d’un spirituel en Perse au XIVe siècle »

éd. Verdier, coll. Verdier poche, Lagrasse

éd. Ver­dier, coll. Ver­dier poche, La­grasse

Il s’agit du Di­van (Re­cueil de poé­sies) de Shams ad-din Mo­ham­mad1, plus connu sous le sur­nom de Hâ­fez2 (« sa­chant de mé­moire le Co­ran »). La ville de Chi­raz, l’Athènes de la Perse, a pro­duit, à un siècle de dis­tance, deux des plus grands poètes de l’Orient ; car il n’y avait pas un demi-siècle que Saadi n’était plus, lorsque Hâ­fez a paru sur la scène du monde et a illus­tré sa pa­trie. L’ardeur de son ins­pi­ra­tion ly­rique, qui cé­lèbre Dieu sous les sym­boles ap­pa­rem­ment ir­ré­li­gieux de l’amour du vin, des plai­sirs des sens, et par­fois même de la dé­bauche, déses­père in­ter­prètes et tra­duc­teurs, et fait de son œuvre un exemple par­fait de poé­sie pure. Cette su­per­po­si­tion de sens per­met toute la gamme des in­ter­pré­ta­tions et laisse le lec­teur libre de choi­sir la si­gni­fi­ca­tion le mieux en rap­port avec son état d’âme du mo­ment. Aussi, de tous les poètes per­sans, Hâ­fez est-il le plus uni­ver­sel. Long­temps in­connu en Oc­ci­dent, il a été ré­vélé dans le « Di­van orien­tal-oc­ci­den­tal » de Gœthe, grâce à ce com­pli­ment, peut-être le plus beau que l’on puisse adres­ser à un poète, à sa­voir que sa poé­sie nous console et nous donne cou­rage dans les vi­cis­si­tudes de la vie : « À la mon­tée et à la des­cente, tes chants, Hâ­fez, charment le pé­nible che­min de ro­chers, quand le guide, avec ra­vis­se­ment, sur la haute croupe du mu­let, chante pour éveiller les étoiles et pour ef­frayer les bri­gands »3. Oui, cha­cun croit trou­ver chez Hâ­fez ce qu’il cherche : les âmes af­fli­gées — un conso­la­teur, les ar­tistes — un mo­dèle su­blime de raf­fi­ne­ment, les mys­tiques — un es­prit voi­sin de Dieu, les amants — un guide. Sou­vent la seule mu­sique des vers suf­fit pour sé­duire les illet­trés, et pour leur faire sen­tir tout un ordre de beau­tés, qu’ils n’avaient peut-être ja­mais si bien com­prises au­pa­ra­vant :

« “Sa­man-buyân gho­bâr-e gham čo benši­nand benšâ­nand.” Quand s’assoient ceux qui fleurent le jas­min, ils font tom­ber la pous­sière du cha­grin. »

  1. En per­san شمس الدین محمد. Par­fois trans­crit Chams-od-dîn Mo­ham­mad, Chams al-din Mo­ham­mad, Chams-ad-din Mo­ha­med, Mo­ham­med Scham­sed­din, Mo­ham­med-Chems-ed­dyn, Mu­ham­mad Schams ad-din, Mo­ham­med Shems ed-din ou Shams ud-dîn Mu­ham­mad. Haut
  2. En per­san حافظ. Par­fois trans­crit Ha­phyz, Hâ­fiz, Hhâ­fiz, Ha­fis, Hafes, Afez ou Ha­fedh. Haut
  1. « Poé­sies di­verses • Pen­sées • Di­van orien­tal-oc­ci­den­tal ; tra­duit par Jacques Por­chat », p. 532. Haut

Attar, « Le Mémorial des saints »

éd. du Seuil, coll. Points-Sagesses, Paris

éd. du Seuil, coll. Points-Sa­gesses, Pa­ris

Il s’agit d’une tra­duc­tion in­di­recte du « Mé­mo­rial des saints » (« Tez­ki­ra­ta­lav­lia »1) de Fé­rid-ed­din At­tar2 (XIIe-XIIIe siècle apr. J.-C.). Je consi­dère At­tar comme le meilleur poète mys­tique de la Perse. Certes, le nombre des Per­sans qui se sont dis­tin­gués dans le genre est si consi­dé­rable, et plu­sieurs d’entre eux ont ac­quis tant de gloire, que cette opi­nion peut pa­raître ha­sar­dée. Sous le rap­port du choix des pen­sées et de la grâce de l’expression, Djé­lâl-ed-dîn Roûmî ne lui est en rien in­fé­rieur ; mais de toutes les idées de ce cé­lèbre dis­ciple, je dé­fie­rais d’en trou­ver une qui n’appartienne pas à At­tar. Et Roûmî lui-même confesse cette lourde dette quand il dit : « At­tar a par­couru les sept ci­tés de l’Amour, tan­dis que j’en suis tou­jours au tour­nant d’une ruelle »3 ; et en­core : « At­tar fut l’âme du mys­ti­cisme, et Sa­naï fut ses yeux ; je ne fais que suivre leurs traces »4. Fé­rid-ed­din exerça d’abord la pro­fes­sion de par­fu­meur, ainsi que l’indique son sur­nom d’Attar (« qui fa­brique ou qui vend des par­fums »). Il avait une bou­tique très élé­gante, qui at­ti­rait les re­gards du pu­blic et qui flat­tait aussi bien les yeux que l’odorat. Un jour qu’il était as­sis sur le de­vant de sa bou­tique avec l’apparence d’un homme im­por­tant, un fou, ou pour mieux dire, un re­li­gieux très avancé dans la vie spi­ri­tuelle5, vint à sa porte, jeta un re­gard sur les mar­chan­dises qui étaient éta­lées, puis poussa un pro­fond sou­pir. At­tar, étonné, le pria de pas­ser son che­min. « Tu as rai­son », lui ré­pon­dit l’inconnu, « le voyage de l’éternité est fa­cile pour moi. Je ne suis pas em­bar­rassé dans ma marche, car je n’ai au monde que mon froc. Il n’en est mal­heu­reu­se­ment pas ainsi de toi, qui pos­sèdes tant de pré­cieuses mar­chan­dises. Songe donc à te pré­pa­rer à ce voyage. »

  1. En per­san « تذکرة الاولیا ». Par­fois trans­crit « Tez­ke­ret ül-Ev­liyâ », « Tez­ki­ret el-Ev­liyâ », « Taz­ki­rat-ul-Aw­lià », « Taz­ka­rat al-Av­liya », « Taz­ke­rat ul-Aw­liyâ », « Taḏ­ke­rat al-Au­liā », « Tadh­ki­rat ‘l-Aw­liyâ » ou « Tadh­ke­rat al-Ow­liyâ ». Haut
  2. En per­san فریدالدین عطار. Par­fois trans­crit Fa­rî­dod­dîn ’At­târ, Fé­ryd-ed­dyn At­thar, Farīd al-Dīn ‘Aṭṭār, Fe­ri­dud­din At­tar, Fa­ri­dud­dine At­tar, Fa­ri­dad­din At­tar ou Fa­rîd-ud-Dîn ‘At­târ. Haut
  3. En per­san

    « هفت شهر عشق راعطار گشت
    ماهنوز اندر خم یک کوچهایم
     ».

    Haut

  1. En per­san

    « عطار روح بود و سنایی دو چشم او
    ما از پی سنایی و عطار آمدیم
     ».

    Haut

  2. Les fous sont re­gar­dés comme des saints dans la Perse et dans l’Inde, et ran­gés parmi les sou­fis. Haut

Khayyam, « Les “Rubâ’iyât” : les quatrains du célèbre poète, mathématicien et astronome persan »

éd. Seghers, Paris

éd. Se­ghers, Pa­ris

Il s’agit des « Qua­trains » (« Ru­bayat »1) d’Omar Khayyam2, ma­thé­ma­ti­cien et as­tro­nome per­san (XIe-XIIe siècle). À force de son­der les étoiles, il me­sura com­bien la vie pa­rais­sait pe­tite et dé­ri­soire de­vant l’insondable in­dif­fé­rence de l’univers. Face à elle, Des­cartes se fera des sys­tèmes qui l’apaiseront, et Pas­cal se blot­tira contre Dieu. Khayyam, dont le gé­nie éga­lait ce­lui de ces deux sa­vants, consa­cra une bonne par­tie de son exis­tence à la poé­sie. Il chanta le sort des hommes, plon­gés dans l’Empire dé­sert et muet du néant, et loua le vin, le seul bon, le seul fi­dèle ami. Vé­ri­tables bré­viaires du pes­si­misme, ses « Qua­trains » cir­cu­lèrent par­tout où la langue per­sane était com­prise et ad­mi­rée :

« Bois du vin. Déjà ton nom quitte ce monde
Quand le vin coule dans ton cœur, toute tris­tesse dis­pa­raît
Dé­noue plu­tôt, boucle après boucle, la che­ve­lure d’une idole
Et n’attends pas que, de tes os, les nœuds d’eux-mêmes se dé­nouent
 »3.

Soufi en ap­pa­rence, in­cré­dule en réa­lité, mê­lant le blas­phème à l’hymne di­vin, mas­quant d’un sou­rire les san­glots d’angoisse qui l’étranglaient, Khayyam fut peut-être le plus scep­tique — et sur­tout le plus mo­derne — parmi les libres pen­seurs de la Perse : « Des cri­tiques exer­cés ont tout de suite senti sous cette en­ve­loppe sin­gu­lière un frère de Gœthe ou de Henri Heine », dit Er­nest Re­nan4. « Cer­tai­ne­ment, ni Mo­té­nabbi ni même au­cun de ces ad­mi­rables poètes arabes an­téis­la­miques, tra­duits avec le plus grand ta­lent, ne ré­pon­draient si bien à notre es­prit et à notre goût. Qu’un pa­reil livre [que les “Qua­trains”] puisse cir­cu­ler li­bre­ment dans un pays mu­sul­man, c’est là pour nous un su­jet de sur­prise ; car, sû­re­ment, au­cune lit­té­ra­ture eu­ro­péenne ne peut ci­ter un ou­vrage où, non seule­ment la re­li­gion po­si­tive, mais toute croyance mo­rale soit niée avec une iro­nie si fine et si amère » ; té­moin ce qua­train que Khayyam im­pro­visa un soir qu’un coup de vent ren­versa à terre son pot de vin im­pru­dem­ment posé au bord de la ter­rasse :

« Tu as brisé ma cruche de vin, ô Sei­gneur !
Tu as cla­qué sur moi la porte de la joie, ô Sei­gneur !
Sur le sol, tu as ré­pandu mon vin gre­nat par mal­adresse
(Que ma bouche s’emplisse de terre !5) n’étais-tu pas ivre, Sei­gneur ?
 »

  1. En per­san « رباعیات ». Au­tre­fois trans­crit « Ro­baïat », « Ru­baiat », « Robāïates », « Roubâ’yât », « Ro­baiyat », « Roba’yat », « Rou­bayyat », « Robái­j­ját », « Rou­baïyat » ou « Rubâi’yât ». Haut
  2. En per­san عمر خیام. Par­fois trans­crit Khayam, Khaïyâm, Káyyám, Hrayyâm, Cha­j­jám, Ha­j­jam, Haiām, Kheyyâm, Khèyam ou Kéyam. Haut
  3. p. 76. Haut
  1. « Rap­port sur les tra­vaux du Conseil », p. 56-57. Haut
  2. Ex­pres­sion que les Per­sans em­ploient sou­vent pour ex­pri­mer le re­gret d’avoir pro­féré ou de de­voir pro­fé­rer un blas­phème. Haut

« Menoutchehri : poète persan du XIe siècle de notre ère »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit du Di­van (Re­cueil de poé­sies) d’Abou-n-Nedjm Ah­med1, plus connu sous le sur­nom de Me­nout­chehri2. La rai­son de son sur­nom est qu’au dé­but de sa car­rière il com­po­sait des louanges en l’honneur de l’émir Me­nout­chehr. Cet émir mou­rut en l’an 1029 apr. J.-C. et Me­nout­chehri ajouta la lettre « i » pour in­di­quer le rap­port gram­ma­ti­cal entre sa per­sonne et celle de l’objet de ses louanges. Plus tard, il fut re­mar­qué par le sul­tan Mah­moud de Ghaznî et de­vint le poète fa­vori de son fils et suc­ces­seur Mas’oud. Ses poé­sies, qui ap­par­tiennent à l’aube de la lit­té­ra­ture per­sane, n’offrent au­cune trace de ce mys­ti­cisme des sou­fis qui va bien­tôt en­va­hir tout l’Orient. Il est même à re­mar­quer que Me­nout­chehri est exempt de toute teinte re­li­gieuse ou sec­taire, et qu’il n’a été l’imitateur de per­sonne : « En plu­sieurs points, il est ori­gi­nal et n’a suivi… la trace de ses pré­dé­ces­seurs en poé­sie, mais on trouve chez lui des re­flets d’Abou-Nowâs. Bien que ré­pé­tée plus d’une fois, l’allégorie sur la nais­sance du vin ne manque pas d’originalité. Une autre [poé­sie] sur la cam­pagne du [Prin­temps] contre l’Hiver doit être si­gna­lée comme conçue avec un cer­tain art, et la fin de cette pièce comme pleine d’élan et de brio », ex­plique Al­bert de Bi­ber­stein Ka­zi­mirski3. Mais le plus beau mé­rite de Me­nout­chehri, la plus belle conquête qu’on lui doit, c’est d’avoir ins­piré à Omar Khayyam les vers fa­meux qui suivent :

« Quand je mour­rai, la­vez mon corps avec du vin
Pour prières, louez pour moi les coupes pleines
Au jour de la ré­sur­rec­tion, si vous dé­si­rez me re­voir
Ta­mi­sez la pous­sière du seuil de la ta­verne
 »4

et qui font écho aux siens :

« Ô mes nobles amis, lorsque je mour­rai, la­vez mon corps du plus rouge vin.
Com­po­sez-en les aro­mates des pé­pins de rai­sin et faites mon suaire des feuilles de la vigne.
Creu­sez pour moi une tombe à l’ombre de la vigne, afin que la meilleure des places soit ma de­meure.
Le jour où Dieu me por­tera au pa­ra­dis, je de­man­de­rai à mon bien­fai­teur un ruis­seau plein de vin
 »

  1. En per­san ابوالنجم احمد. Par­fois trans­crit Ab’onnajm Ah­mad, Aboul Nedjm Ah­med, Abu al-Naim Ah­mad, Abou’n-Nadjm Ah­mad, Abun­najm Ah­mad ou Abu-Najm Ah­mad. Haut
  2. En per­san منوچهری. Par­fois trans­crit Me­nout­chehry, Ma­nut­schehri, Me­nu­chehri, Me­nu­çehrî, Ma­nut­chehri, Ma­noo­chehri, Ma­nu­cheri, Ma­nu­chehri, Ma­nučehri, Ma­nou­chehri, Ma­nout­cheri, Ma­nout­chehri, Mi­nout­chehri, Mi­nu­cheri, Minút­chehri, Manūčihrī, Ma­nu­chihri ou Minū­chihrī. Haut
  1. p. 147. Haut
  2. « Les “Rubâ’iyât” ; ver­sion fran­çaise par Pierre Se­ghers », p. 42. Haut

Saadi, « Le “Boustan”, ou Verger : poème persan »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit du « Bous­tan »1 (« Le Ver­ger ») de Saadi2, le prince des mo­ra­listes per­sans, l’écrivain de l’Orient qui s’accorde le mieux, je crois, avec les goûts de la vieille Eu­rope par son in­al­té­rable bon sens, par la fi­nesse et la fa­ci­lité élé­gante qui ca­rac­té­risent toute son œuvre, par la sa­gesse in­dul­gente avec la­quelle il raille les tra­vers des hommes et blâme dou­ce­ment leurs fo­lies. Saadi na­quit à Chi­raz l’an 1184 apr. J.-C. Il per­dit ses pa­rents de bonne heure et les pleura di­gne­ment, à en ju­ger par ce qu’il dit sur les or­phe­lins, qui lui ins­pi­rèrent quelques-uns de ses ac­cents les plus émus : « Étends ton ombre tu­té­laire sur la tête de l’orphelin… ar­rache l’épine qui le blesse. Ne connais-tu pas l’étendue de son mal­heur ? L’arbrisseau ar­ra­ché de ses ra­cines peut-il en­core se cou­vrir de feuillage ? Quand tu vois un or­phe­lin bais­ser tris­te­ment la tête… ne laisse pas cou­ler ses larmes ; ce sont des larmes qui font trem­bler le trône de Dieu. Sèche avec bonté ses yeux hu­mides, es­suie pieu­se­ment la pous­sière qui ter­nit son vi­sage. Il a perdu l’ombre qui pro­té­geait sa tête »3. L’orphelin Saadi par­tit pour Bag­dad, où il sui­vit les cours de Soh­ra­verdi, cheikh non moins cé­lèbre par ses ten­dances mys­tiques que par son éru­di­tion : « Ce cheikh vé­néré, mon guide spi­ri­tuel… pas­sait la nuit en orai­son et dès l’aube il ser­rait soi­gneu­se­ment son ta­pis de prière (sans l’étaler aux re­gards)… Je me sou­viens que la pen­sée ter­ri­fiante de l’enfer avait tenu éveillé ce saint homme pen­dant une nuit en­tière ; le jour venu, je l’entendis qui mur­mu­rait ces mots : “Que ne m’est-il per­mis d’occuper à moi seul tout l’enfer, afin qu’il n’y ait plus de place pour d’autres dam­nés que moi !” »4 Ce fut peu de temps après avoir ter­miné ses études que Saadi com­mença cette vie de voyages qui était une sorte d’initiation im­po­sée aux dis­ciples spi­ri­tuels du sou­fisme. La fa­ci­lité avec la­quelle les adeptes de cette doc­trine al­laient d’un bout à l’autre du monde mu­sul­man, la cu­rio­sité na­tu­relle à son jeune âge, le peu de sû­reté de son pays na­tal, toutes ces causes dé­ter­mi­nèrent Saadi à s’éloigner de la Perse pen­dant de longues an­nées. Il par­cou­rut l’Asie Mi­neure, l’Égypte et l’Inde ; il éprouva les nom­breux avan­tages des voyages qui « ré­jouissent l’esprit, pro­curent des pro­fits, font voir des mer­veilles, en­tendre des choses sin­gu­lières, par­cou­rir du pays, conver­ser avec des amis, ac­qué­rir des di­gni­tés et de bonnes ma­nières… C’est ainsi que les sou­fis ont dit : “Tant que tu restes comme un otage dans ta bou­tique ou ta mai­son, ja­mais, ô homme vain, tu ne se­ras un homme. Pars et par­cours le monde avant le jour fa­tal où tu le quit­te­ras” »5.

  1. En per­san « بوستان ». Par­fois trans­crit « Boos­tan », « Bus­tân » ou « Bos­tan ». Haut
  2. En per­san سعدی. Par­fois trans­crit Sa’dy, Sahdy, Sadi ou Sa‘di. Haut
  3. « Le “Bous­tan”, ou Ver­ger », p. 100. Haut
  1. id. p. 107. Haut
  2. « “Gu­lis­tan”, le Jar­din des roses », p. 81. Haut

Attar, « “Pend-namèh”, ou le Livre des conseils »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit du « Livre des conseils » (« Pend na­mèh »1) at­tri­bué à Fé­rid-ed­din At­tar2 (XIIe-XIIIe siècle apr. J.-C.). Je consi­dère At­tar comme le meilleur poète mys­tique de la Perse. Certes, le nombre des Per­sans qui se sont dis­tin­gués dans le genre est si consi­dé­rable, et plu­sieurs d’entre eux ont ac­quis tant de gloire, que cette opi­nion peut pa­raître ha­sar­dée. Sous le rap­port du choix des pen­sées et de la grâce de l’expression, Djé­lâl-ed-dîn Roûmî ne lui est en rien in­fé­rieur ; mais de toutes les idées de ce cé­lèbre dis­ciple, je dé­fie­rais d’en trou­ver une qui n’appartienne pas à At­tar. Et Roûmî lui-même confesse cette lourde dette quand il dit : « At­tar a par­couru les sept ci­tés de l’Amour, tan­dis que j’en suis tou­jours au tour­nant d’une ruelle »3 ; et en­core : « At­tar fut l’âme du mys­ti­cisme, et Sa­naï fut ses yeux ; je ne fais que suivre leurs traces »4. Fé­rid-ed­din exerça d’abord la pro­fes­sion de par­fu­meur, ainsi que l’indique son sur­nom d’Attar (« qui fa­brique ou qui vend des par­fums »). Il avait une bou­tique très élé­gante, qui at­ti­rait les re­gards du pu­blic et qui flat­tait aussi bien les yeux que l’odorat. Un jour qu’il était as­sis sur le de­vant de sa bou­tique avec l’apparence d’un homme im­por­tant, un fou, ou pour mieux dire, un re­li­gieux très avancé dans la vie spi­ri­tuelle5, vint à sa porte, jeta un re­gard sur les mar­chan­dises qui étaient éta­lées, puis poussa un pro­fond sou­pir. At­tar, étonné, le pria de pas­ser son che­min. « Tu as rai­son », lui ré­pon­dit l’inconnu, « le voyage de l’éternité est fa­cile pour moi. Je ne suis pas em­bar­rassé dans ma marche, car je n’ai au monde que mon froc. Il n’en est mal­heu­reu­se­ment pas ainsi de toi, qui pos­sèdes tant de pré­cieuses mar­chan­dises. Songe donc à te pré­pa­rer à ce voyage. »

  1. En per­san « پند‌نامه ». Par­fois trans­crit « Pand-nā­meh », « Pand­nâme », « Pend­name », « Pand-nāma » ou « Pand-nā­mah ». Haut
  2. En per­san فریدالدین عطار. Par­fois trans­crit Fa­rî­dod­dîn ’At­târ, Fé­ryd-ed­dyn At­thar, Farīd al-Dīn ‘Aṭṭār, Fe­ri­dud­din At­tar, Fa­ri­dud­dine At­tar, Fa­ri­dad­din At­tar ou Fa­rîd-ud-Dîn ‘At­târ. Haut
  3. En per­san

    « هفت شهر عشق راعطار گشت
    ماهنوز اندر خم یک کوچهایم
     ».

    Haut

  1. En per­san

    « عطار روح بود و سنایی دو چشم او
    ما از پی سنایی و عطار آمدیم
     ».

    Haut

  2. Les fous sont re­gar­dés comme des saints dans la Perse et dans l’Inde, et ran­gés parmi les sou­fis. Haut

Attar, « Le Langage des oiseaux : poème de philosophie religieuse »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit du « Lan­gage des oi­seaux »1 (« Man­tik al­taïr »2) de Fé­rid-ed­din At­tar3 (XIIe-XIIIe siècle apr. J.-C.). Je consi­dère At­tar comme le meilleur poète mys­tique de la Perse. Certes, le nombre des Per­sans qui se sont dis­tin­gués dans le genre est si consi­dé­rable, et plu­sieurs d’entre eux ont ac­quis tant de gloire, que cette opi­nion peut pa­raître ha­sar­dée. Sous le rap­port du choix des pen­sées et de la grâce de l’expression, Djé­lâl-ed-dîn Roûmî ne lui est en rien in­fé­rieur ; mais de toutes les idées de ce cé­lèbre dis­ciple, je dé­fie­rais d’en trou­ver une qui n’appartienne pas à At­tar. Et Roûmî lui-même confesse cette lourde dette quand il dit : « At­tar a par­couru les sept ci­tés de l’Amour, tan­dis que j’en suis tou­jours au tour­nant d’une ruelle »4 ; et en­core : « At­tar fut l’âme du mys­ti­cisme, et Sa­naï fut ses yeux ; je ne fais que suivre leurs traces »5. Fé­rid-ed­din exerça d’abord la pro­fes­sion de par­fu­meur, ainsi que l’indique son sur­nom d’Attar (« qui fa­brique ou qui vend des par­fums »). Il avait une bou­tique très élé­gante, qui at­ti­rait les re­gards du pu­blic et qui flat­tait aussi bien les yeux que l’odorat. Un jour qu’il était as­sis sur le de­vant de sa bou­tique avec l’apparence d’un homme im­por­tant, un fou, ou pour mieux dire, un re­li­gieux très avancé dans la vie spi­ri­tuelle6, vint à sa porte, jeta un re­gard sur les mar­chan­dises qui étaient éta­lées, puis poussa un pro­fond sou­pir. At­tar, étonné, le pria de pas­ser son che­min. « Tu as rai­son », lui ré­pon­dit l’inconnu, « le voyage de l’éternité est fa­cile pour moi. Je ne suis pas em­bar­rassé dans ma marche, car je n’ai au monde que mon froc. Il n’en est mal­heu­reu­se­ment pas ainsi de toi, qui pos­sèdes tant de pré­cieuses mar­chan­dises. Songe donc à te pré­pa­rer à ce voyage. »

  1. Titre em­prunté au Co­ran, XXVII, 16 : « Sa­lo­mon hé­rita de Da­vid et il dit : “Ô vous les hommes ! On nous a ap­pris le lan­gage des oi­seaux. Nous avons été com­blés de tous les biens” ». Haut
  2. En per­san « منطقالطیر ». Par­fois trans­crit « Man­tegh ot-teyr », « Man­teq ut-tayr », « Man­tic ut­taïr », « Man­teq-at-tayr », « Manṭeq al-ṭeyr », « Man­tik al thaïr », « Man­tek at-tair » ou « Manṭiq al-ṭayr ». Haut
  3. En per­san فریدالدین عطار. Par­fois trans­crit Fa­rî­dod­dîn ’At­târ, Fé­ryd-ed­dyn At­thar, Farīd al-Dīn ‘Aṭṭār, Fe­ri­dud­din At­tar, Fa­ri­dud­dine At­tar, Fa­ri­dad­din At­tar ou Fa­rîd-ud-Dîn ‘At­târ. Haut
  1. En per­san

    « هفت شهر عشق راعطار گشت
    ماهنوز اندر خم یک کوچهایم
     ».

    Haut

  2. En per­san

    « عطار روح بود و سنایی دو چشم او
    ما از پی سنایی و عطار آمدیم
     ».

    Haut

  3. Les fous sont re­gar­dés comme des saints dans la Perse et dans l’Inde, et ran­gés parmi les sou­fis. Haut

Attar, « Le Livre divin, “Elahi-nameh” »

éd. A. Michel, coll. Spiritualités vivantes-Islam, Paris

éd. A. Mi­chel, coll. Spi­ri­tua­li­tés vi­vantes-Is­lam, Pa­ris

Il s’agit du « Livre di­vin » (« Ilahi na­mèh »1) de Fé­rid-ed­din At­tar2 (XIIe-XIIIe siècle apr. J.-C.). Je consi­dère At­tar comme le meilleur poète mys­tique de la Perse. Certes, le nombre des Per­sans qui se sont dis­tin­gués dans le genre est si consi­dé­rable, et plu­sieurs d’entre eux ont ac­quis tant de gloire, que cette opi­nion peut pa­raître ha­sar­dée. Sous le rap­port du choix des pen­sées et de la grâce de l’expression, Djé­lâl-ed-dîn Roûmî ne lui est en rien in­fé­rieur ; mais de toutes les idées de ce cé­lèbre dis­ciple, je dé­fie­rais d’en trou­ver une qui n’appartienne pas à At­tar. Et Roûmî lui-même confesse cette lourde dette quand il dit : « At­tar a par­couru les sept ci­tés de l’Amour, tan­dis que j’en suis tou­jours au tour­nant d’une ruelle »3 ; et en­core : « At­tar fut l’âme du mys­ti­cisme, et Sa­naï fut ses yeux ; je ne fais que suivre leurs traces »4. Fé­rid-ed­din exerça d’abord la pro­fes­sion de par­fu­meur, ainsi que l’indique son sur­nom d’Attar (« qui fa­brique ou qui vend des par­fums »). Il avait une bou­tique très élé­gante, qui at­ti­rait les re­gards du pu­blic et qui flat­tait aussi bien les yeux que l’odorat. Un jour qu’il était as­sis sur le de­vant de sa bou­tique avec l’apparence d’un homme im­por­tant, un fou, ou pour mieux dire, un re­li­gieux très avancé dans la vie spi­ri­tuelle5, vint à sa porte, jeta un re­gard sur les mar­chan­dises qui étaient éta­lées, puis poussa un pro­fond sou­pir. At­tar, étonné, le pria de pas­ser son che­min. « Tu as rai­son », lui ré­pon­dit l’inconnu, « le voyage de l’éternité est fa­cile pour moi. Je ne suis pas em­bar­rassé dans ma marche, car je n’ai au monde que mon froc. Il n’en est mal­heu­reu­se­ment pas ainsi de toi, qui pos­sèdes tant de pré­cieuses mar­chan­dises. Songe donc à te pré­pa­rer à ce voyage. »

  1. En per­san « الهی‌نامه ». Par­fois trans­crit « Ilahi-name », « Ilahi nâma », « Ilāhī-nā­mah », « Elāhī-nāma » ou « Elahi-na­meh ». Haut
  2. En per­san فریدالدین عطار. Par­fois trans­crit Fa­rî­dod­dîn ’At­târ, Fé­ryd-ed­dyn At­thar, Farīd al-Dīn ‘Aṭṭār, Fe­ri­dud­din At­tar, Fa­ri­dud­dine At­tar, Fa­ri­dad­din At­tar ou Fa­rîd-ud-Dîn ‘At­târ. Haut
  3. En per­san

    « هفت شهر عشق راعطار گشت
    ماهنوز اندر خم یک کوچهایم
     ».

    Haut

  1. En per­san

    « عطار روح بود و سنایی دو چشم او
    ما از پی سنایی و عطار آمدیم
     ».

    Haut

  2. Les fous sont re­gar­dés comme des saints dans la Perse et dans l’Inde, et ran­gés parmi les sou­fis. Haut