Il s’agit des poèmes de Yamamoto Eizô 1, ermite japonais (XVIIIe-XIXe siècle), plus connu sous le surnom de Ryôkan 2. Enfant taciturne et solitaire, adonné à de vastes lectures, il réfléchissait, dès son plus jeune âge, sur la vie et sur la mort. Une nuit, il comprit que c’était le Bouddha qui pourrait donner réponse à ses questions existentielles. Au petit matin, s’étant rasé la tête, il prit quelques affaires. Sur le pas de la porte, il serra dans ses bras ses six frères et sœurs : « Prenant mes mains dans les siennes, ma mère a longtemps fixé mon visage. C’[est] comme si l’image de son visage est encore devant mes yeux. Lorsque j’ai demandé congé, elle m’a dit, de sa parole devenue austère : “Ne laisse jamais dire aux gens rencontrés que tu as en vain quitté le monde”. Aujourd’hui, je me rappelle ses mots et me donne cette leçon matin et soir » 3. Dans son ermitage au toit de chaume, Ryôkan restait cloîtré, quelquefois pendant des jours, à méditer, à lire des classiques et à composer des poèmes. Un de ses contemporains 4, qui s’y abrita de la pluie, raconte 5 : « [À] l’intérieur de cet ermitage, je ne vois aucun autre bien qu’une seule statue du Bouddha en bois, posée debout, et deux volumes de livres mis sur un petit accoudoir, installé au pied de la fenêtre. J’ouvre le livre pour savoir de quelle œuvre il s’agit. C’est une édition xylographique de “L’Œuvre complète” de Tchouang-tseu. Dans ce livre sont insérées des calligraphies, tracées en style cursif, d’anciens poèmes chinois, qui semblent être l’œuvre de ce moine. N’ayant pas appris de poèmes dans cette langue, je ne sus s’ils étaient de qualité, mais les calligraphies en question l’étaient à tel point qu’elles m’émerveillèrent ».
poésie
Ryôkan, « La Rosée d’un lotus, “Hachisu no tsuyu” »
éd. Gallimard, coll. Connaissance de l’Orient, Paris
Il s’agit des poèmes de Yamamoto Eizô 1, ermite japonais (XVIIIe-XIXe siècle), plus connu sous le surnom de Ryôkan 2. Enfant taciturne et solitaire, adonné à de vastes lectures, il réfléchissait, dès son plus jeune âge, sur la vie et sur la mort. Une nuit, il comprit que c’était le Bouddha qui pourrait donner réponse à ses questions existentielles. Au petit matin, s’étant rasé la tête, il prit quelques affaires. Sur le pas de la porte, il serra dans ses bras ses six frères et sœurs : « Prenant mes mains dans les siennes, ma mère a longtemps fixé mon visage. C’[est] comme si l’image de son visage est encore devant mes yeux. Lorsque j’ai demandé congé, elle m’a dit, de sa parole devenue austère : “Ne laisse jamais dire aux gens rencontrés que tu as en vain quitté le monde”. Aujourd’hui, je me rappelle ses mots et me donne cette leçon matin et soir » 3. Dans son ermitage au toit de chaume, Ryôkan restait cloîtré, quelquefois pendant des jours, à méditer, à lire des classiques et à composer des poèmes. Un de ses contemporains 4, qui s’y abrita de la pluie, raconte 5 : « [À] l’intérieur de cet ermitage, je ne vois aucun autre bien qu’une seule statue du Bouddha en bois, posée debout, et deux volumes de livres mis sur un petit accoudoir, installé au pied de la fenêtre. J’ouvre le livre pour savoir de quelle œuvre il s’agit. C’est une édition xylographique de “L’Œuvre complète” de Tchouang-tseu. Dans ce livre sont insérées des calligraphies, tracées en style cursif, d’anciens poèmes chinois, qui semblent être l’œuvre de ce moine. N’ayant pas appris de poèmes dans cette langue, je ne sus s’ils étaient de qualité, mais les calligraphies en question l’étaient à tel point qu’elles m’émerveillèrent ».
« Ryôkan, moine zen »
éd. du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Paris
Il s’agit des poèmes de Yamamoto Eizô 1, ermite japonais (XVIIIe-XIXe siècle), plus connu sous le surnom de Ryôkan 2. Enfant taciturne et solitaire, adonné à de vastes lectures, il réfléchissait, dès son plus jeune âge, sur la vie et sur la mort. Une nuit, il comprit que c’était le Bouddha qui pourrait donner réponse à ses questions existentielles. Au petit matin, s’étant rasé la tête, il prit quelques affaires. Sur le pas de la porte, il serra dans ses bras ses six frères et sœurs : « Prenant mes mains dans les siennes, ma mère a longtemps fixé mon visage. C’[est] comme si l’image de son visage est encore devant mes yeux. Lorsque j’ai demandé congé, elle m’a dit, de sa parole devenue austère : “Ne laisse jamais dire aux gens rencontrés que tu as en vain quitté le monde”. Aujourd’hui, je me rappelle ses mots et me donne cette leçon matin et soir » 3. Dans son ermitage au toit de chaume, Ryôkan restait cloîtré, quelquefois pendant des jours, à méditer, à lire des classiques et à composer des poèmes. Un de ses contemporains 4, qui s’y abrita de la pluie, raconte 5 : « [À] l’intérieur de cet ermitage, je ne vois aucun autre bien qu’une seule statue du Bouddha en bois, posée debout, et deux volumes de livres mis sur un petit accoudoir, installé au pied de la fenêtre. J’ouvre le livre pour savoir de quelle œuvre il s’agit. C’est une édition xylographique de “L’Œuvre complète” de Tchouang-tseu. Dans ce livre sont insérées des calligraphies, tracées en style cursif, d’anciens poèmes chinois, qui semblent être l’œuvre de ce moine. N’ayant pas appris de poèmes dans cette langue, je ne sus s’ils étaient de qualité, mais les calligraphies en question l’étaient à tel point qu’elles m’émerveillèrent ».
Buson, « Le Parfum de la lune : poèmes »
Il s’agit des haïkus de Yosa Buson 1, grand artiste japonais (XVIIIe siècle apr. J.-C.), maître de la peinture « bunjinga » (« peinture des hommes de lettres »). On dit qu’une nuit, pour mieux observer un effet de lune, il fit un trou à son toit en y mettant le feu avec une chandelle ; perdu dans une extase d’admiration, il ne s’aperçut pas de l’incendie qui en surgit et qui dévora tout un quartier de la capitale. En joignant l’art de la peinture à celui de la poésie, Buson donna une vie nouvelle au haïku délaissé à la mort de Bashô. Il parvint à décrire, avec la même élégance qu’avec son pinceau, ces bagatelles, ces petits imprévus que lui fournissaient naturellement ses voyages. « Se libérer du banal en se servant du banal » 2. Telle fut sa devise paradoxale, qu’il est difficile d’interpréter ; car tout en étant un artiste de génie, Buson ne livra presque jamais le fond de sa pensée. Inimitable et intransmissible, son art disparut avec lui ; seuls ses chefs-d’œuvre en attestent aujourd’hui toute la magnificence et toute la hardiesse. Par exemple, ce célèbre croquis de deux piétons, dont on ne voit de dos que les habits de pluie : « Pluie de printemps / avancent en devisant / un manteau de paille et un parapluie » 3 ; ou cette puissante esquisse des pentes du mont Yoshino, parsemées de cerisiers : « Avalant les nuages / exhalant des fleurs / le mont Yoshino » 4. « Les comparaisons ne sont pas absentes de [ses] poèmes », explique M. Yves Bonnefoy 5, « et ainsi Buson note-t-il que “le bruit de l’eau est sombre”, ce qui ne surprendra pas le lecteur de “Correspondances”. Mais chez Baudelaire, l’analogie est comprise comme l’affleurement d’une vérité inaperçue jusqu’alors, c’est un acte de connaissance, qui prouve la capacité des mots d’atteindre à l’être des choses… Ce qu’énonce Buson, par contre, c’est d’abord — ou même c’est seulement une certitude de la conscience immédiate, sans arrière-pensée spéculative ; et cette perception est aussi silencieuse… que la traînée de couleur que laisse un pinceau sur la feuille blanche… Le rapprochement ne dévoile rien… il retient… »
- En japonais 与謝蕪村. Parfois transcrit Bouçon, Bouçonn ou Busson.
- En japonais « 俗を離れて俗を用ゆ ».
- p. 47.
- p. 13.
- « Préface à “Haïku ; avant-propos et texte français de Roger Munier” », p. 17.
« Ise, poétesse et dame de Cour : poèmes »
Il s’agit de dame Ise 1, dame d’honneur aussi aimable que lettrée, favorite de l’Empereur du Japon (IXe-Xe siècle apr. J.-C.). À une époque où l’Empire du Soleil levant cherchait à faire taire le bruit confus des armes pour écouter la voix de la poésie, dame Ise, favorite d’un Empereur qui avait abdiqué le trône au profit de ses héritiers, deviendra pour la postérité l’initiatrice modeste, mais décisive, d’une « littérature de femmes » qui s’épanouira en chefs-d’œuvre moins d’un siècle plus tard. Les « Histoires qui sont maintenant du passé » nous racontent dans quelles circonstances un messager de l’Empereur vint la prier de composer, pour la première fois, des poèmes pour paravents : « L’Empereur avait commandé des paravents lorsqu’il s’aperçut, au dernier moment, qu’un cartouche était resté vide. Ayant d’urgence convoqué le calligraphe, il essuya encore une déconvenue quand ce dernier lui signala qu’on ne lui avait pas fourni de poèmes à placer dans ce cartouche. En l’absence de Mitsune et de Tsurayuki, l’Empereur [dépêcha donc un messager à] dame Ise, la suppliant de bien vouloir en composer sur-le-champ » 2. Les poèmes apportés par le messager furent jugés d’une exécution superbe, et l’Empereur, les ayant considérés, daigna les trouver remarquables. Il les montra à tous ceux qui se trouvaient autour de lui, et comme on les déclamait avec des intonations agréables, on ne tarissait pas d’éloges sur eux. On les lut et relut, après quoi seulement ils furent écrits sur le paravent. « Toujours est-il qu’à partir de cette année-là, dame Ise, qui n’avait guère produit [jusque-là] de poèmes pour paravents, se trouva enrôlée dans la troupe de spécialistes chargés de composer sur commande des poèmes de circonstances officielles et des poèmes pour paravents, [ainsi que] de préparer les concours de poésie qui, de simple passe-temps, devenaient, en cette dernière décennie du siècle, des rencontres très sérieuses », dit Mme Renée Garde 3. On publia à titre posthume une anthologie de quatre cents de ses poèmes, que l’on intitula « Ise-shû » 4 (« Recueil d’Ise ») et que l’on fit précéder par un « Petit Récit » plus ou moins légendaire de sa vie.
- En japonais 伊勢. Autrefois transcrit Issé ou Icé. À ne pas confondre avec Ise no Ôsuke (伊勢大輔), la fille du grand prêtre d’Ise, qui vécut un siècle plus tard.
- Dans p. 125-126.
« Aventures merveilleuses sous terre et ailleurs d’Er-Töshtük, le géant des steppes : épopée du cycle de “Manas” »
éd. Gallimard, coll. Caucase, Paris
Il s’agit d’« Er-Töshtük » 1, épopée kirghize d’environ douze mille trois cents vers, monument authentique d’une tradition nationale millénaire (XVIIe-XXe siècle). L’épopée transmise oralement est le grand genre littéraire des peuples nomades d’Asie centrale, « moins souvent joyeux à la chasse et dans les banquets, qu’angoissés dans l’immensité des steppes et des déserts, ou dans la grandeur glacée des hautes montagnes » 2. Les Kirghiz, en particulier, sont un des rares peuples de la terre à avoir conservé jusqu’aujourd’hui, dans presque toute sa vitalité, leur tradition orale d’épopées. Sorte de recueil encyclopédique de toutes leurs légendes, de toutes leurs coutumes et de toutes leurs croyances, un cycle épique aux proportions gigantesques, celui de « Manas » 3, domine leur littérature, au point que les chanteurs professionnels d’épopées se nomment tous « manastchï » 4, et que beaucoup de poèmes épiques se trouvent rattachés, plus ou moins artificiellement, à la grande trilogie centrale de « Manas ». Cette trilogie, consacrée au héros principal Manas, à son fils Semetey 5, et à son petit-fils Seytek 6, joint une richesse de canevas, une complexité de personnages, un déploiement grandiose d’événements, à une élégance et à une force d’épithètes comparables à celles d’Homère. Autour de cette trilogie gravitent des épopées de moindre étendue, désignées par les noms de leurs héros, et dont les unes appartiennent au fond mythologique et surnaturel (« Er-Töshtük », « Kojo-Jash » 7), quelques autres au roman amoureux (« Oljo-Bay menen Kishim-Jan » 8), et la plus grande partie, enfin, au genre héroïque.
« Un Poète russe : Alexis Koltsov »
Il s’agit du « Grand Mystère » (« Vélikaïa Taïna » 1) et autres poèmes d’Alexis Vasilievitch Koltsov 2, poète russe (XIXe siècle). Son père était marchand de bœufs ; et sa mère, issue d’une famille qui se livrait au même négoce, était illettrée. Né au plein cœur de la steppe, qui lui servit de première école, en même temps que de confidente des mouvements les plus intimes de son cœur, le futur poète fut élevé à la diable, sans surveillance, jouant avec les gamins des rues et barbotant à son aise dans la boue. C’est bien à lui qu’on appliquera cette parole de La Bruyère : « L’on voit certains animaux farouches, répandus par la campagne, noirs, livides et tout brûlés du soleil, attachés à la terre qu’ils fouillent et qu’ils remuent avec une opiniâtreté invincible ; ils ont comme une voix articulée, et quand ils se lèvent sur leurs pieds, ils montrent une face humaine ; et en effet, ils sont des hommes ». Il avait déjà neuf ans lorsqu’on songea à l’envoyer à l’école. Il n’y resta même pas un an et demi. Dès qu’il sut écrire et compter, son père le prit à la maison pour économiser le traitement d’un commis. Le petit Alexis connaissait à peine l’orthographe et il resta pour toujours brouillé avec elle, ainsi qu’avec la ponctuation et parfois même avec la grammaire. Mais la lecture était sa passion, et le peu d’argent qu’on lui donnait pour des friandises, il le consacrait à acheter les volumes des « Mille et une Nuits ». Il avait quinze ans lorsqu’un ami, fauché par une mort prématurée, eut l’idée de lui léguer toute sa bibliothèque : soixante-dix volumes. Quel trésor ! Mais son père ne lui laissait guère le temps d’en jouir. Il fallait sans cesse l’accompagner dans les bazars pour acheter des bestiaux qu’ils engraissaient sur la steppe et qu’ils revendaient à l’une des nombreuses fonderies de suif. « Je suis enchaîné par ma situation », dit Koltsov 3. « Maudit métier ! Que suis-je ? Un homme sans individualité, sans parole, sans rien. Une lamentable créature, un misérable être qui n’est bon qu’à traîner de l’eau et du bois, un mercanti, un grippe-sou, un juif, un Tzigane, une canaille, voilà ce que je dois être. »
« Les Pruniers refleuris : poème tonkinois »
Il s’agit des « Pruniers refleuris » (« Nhị độ mai »), poème composé par un lettré vietnamien sur la vie duquel on n’a pas de détails biographiques, et qui, du reste, n’a pas jugé nécessaire d’attacher son nom à son livre (XIXe siècle). Jadis ce poème était fort estimé dans la province du Tonkin, où il y avait peu de personnes qui ne fussent capables d’en réciter, ou plutôt d’en chanter, des passages. L’intrigue de ce poème n’a rien d’original en elle-même ; c’est une adaptation écourtée d’un roman chinois portant le même titre : « Er du mei » 1, c’est-à-dire « La Floraison redoublée des “mei” » (XVIe siècle). Mei, en vietnamien Mai, est le nom de la famille à laquelle appartient le héros de cette histoire, mais c’est aussi le nom d’une espèce de prunier, ou plutôt d’une espèce d’abricotier, qui revient souvent dans la rhétorique chinoise. C’est pour cela que la double floraison de ce prunier est interprétée, dans une scène mémorable, comme un augure de la restauration de la famille Mei ; et que le Premier ministre, le vilain de cette histoire, dit : « Nous allons chercher un moyen de détruire ce prunier » 2. Dans le préambule de l’adaptateur vietnamien, on lit : « À loisir, dans mon cabinet d’étude, je me reposais de mes travaux en m’amusant à la lecture. Je trouvai dans les récits non historiques celui de “La Floraison redoublée des pruniers” au temps de l’Empereur Đức-tông de la dynastie Đường. En ce temps, le [ciel] avait donné naissance à un fonctionnaire incorruptible. Il appartenait à la famille Mai, son nom honorifique était Bá Cao ; sa race était une race fidèle ; lui, était d’une nature distinguée et élevée… Son âme était droite comme le vol de la flèche, son cœur avait la limpidité de l’eau » 3. L’adaptation vietnamienne se recommande par une langue encore pure de toute influence occidentale et écrite selon le mètre populaire « lục bát » (« six-huit »). Ce mètre convient avec bonheur au caractère musical de la langue vietnamienne dont les six tons, une fois bien agencés, se prêtent à l’expression de tous les états d’âme, avec toutes les couleurs et tous les rythmes propres à la poésie. « Soutenue par la cadence de la métrique ou écrite dans la simplicité du langage parlé, cette œuvre… a le don de répondre au goût changeant du lecteur qui aime à se laisser transporter en esprit, loin de la réalité, dans un monde très différent de la monotonie et de la petitesse du siècle présent », dit M. Trần Cửu Chấn
- En chinois « 二度梅 ». Autrefois transcrit « Erh-tou-mei » ou « Eul tou mei ». Traduit en français sous le titre des « Pruniers merveilleux ».
- p. 30.
Santôka, « Zen Saké Haïku : poèmes choisis »
Il s’agit d’une traduction partielle des haïkus de Shôichi Taneda 1, poète mendiant japonais, plus connu sous le surnom de Santôka 2 (« le feu au sommet de la montagne »). Il naquit au milieu de cinq frères et sœurs. Son père, riche propriétaire mais piètre père de famille, passait son temps à politiquer et courir le jupon. Un jour que ce dernier était en villégiature dans les montagnes avec une de ses maîtresses, son épouse, âgée de trente-trois ans, se jeta dans le puits de la propriété familiale. Qu’elle a dû être grande l’amertume du petit Santôka à la vue du corps inanimé de sa mère qu’on sortait du puits. Pour ajouter à ce malheur, un de ses frères mourut en bas âge, et un autre se donna la mort en 1918. Quant à notre poète, après un mariage raté, il fut tour à tour brasseur de saké, encadreur de tableaux, traducteur. Il partit pour Tôkyô. Mélancolique, inconstant au travail, il occupait ses loisirs de bibliothécaire à des lectures bouddhiques. Dans le grand tremblement de terre qui ravagea la capitale, sa chambre s’écroula. Il retourna à Kumamoto. Une nuit de décembre 1924, ivre, il s’immobilisa devant un tramway que le conducteur ne parvint à arrêter qu’à grand-peine. On l’emmena dans un temple proche de là, le Hôon-ji, où il se fit moine. L’année suivante et toutes les autres jusqu’à sa mort, il s’en alla errer sur les routes du Japon, par les nuits d’hiver, sans gîte, sans feu ni lieu, comme s’il lui fallait marcher pour vivre : « Je ne suis rien d’autre qu’un moine mendiant », dit-il 3. « On ne peut pas dire grand-chose de moi sinon que je suis un pèlerin fou qui passe sa vie entière à déambuler, comme ces plantes aquatiques qui dérivent de rive en rive. Cela peut sembler pitoyable, pourtant je trouve la paix dans cette vie dépouillée… » Il faut lire ses poésies comme le carnet qu’un routard aurait laissé tomber de sa poche, et dans lequel il aurait noté ses observations à l’état brut, dans une langue plate et relâchée, qui évacue le rythme traditionnel des 5-7-5 syllabes. La route est la plus belle conquête de l’homme libre : voilà, en substance, la seule philosophie de Santôka. Il jouit au Japon d’une faveur égale à celle de Kerouac en Amérique dont on a aussi un « Livre des haïkus ». Pour tout dire, je ne crois pas, mais peut-être je me trompe, que l’un et l’autre soient d’immenses talents, mais ils représentent pour la foule du grand public la figure la plus exacte et la plus vive du poète : un gueux sous la pluie, un bohème trempé dans ses haillons, un vagabond loin des lois et des usages, rebut éternel du monde.
Tchiyo, « Bonzesse au jardin nu : poèmes »
Il s’agit d’une traduction partielle de Kaga no Tchiyo-jo 1, poétesse et nonne japonaise (XVIIIe siècle apr. J.-C.), également connue sous le surnom de Tchiyo-ni 2 (« Tchiyo la nonne »). Un maître du haïku, Roghennbô 3, passa par la ville de province où habitait Tchiyo, encore toute jeune. « N’importe comment », pensa-t-elle, « je solliciterai d’un haïkiste aussi célèbre des conseils sur l’art de composer… » Et poussée par le démon de la poésie, elle s’en alla frapper à la porte de l’auberge et prier Roghennbô de lui donner une leçon de poésie. Fatigué par le long voyage, il lui dit de prendre l’encre et le papier et de composer quelque chose sur un sujet tout indiqué par la saison : le coucou. Puis, sans plus s’inquiéter d’elle, il commença à dormir en ronflant. Après avoir longuement réfléchi, Tchiyo composa une poésie et demanda timidement : « Excusez-moi, s’il vous plaît… — Qu’est-ce qu’il y a ? », dit le poète brusquement réveillé. Et toujours allongé, il lut la poésie qui lui était présentée sur un rouleau de papier. Il fut très surpris de voir qu’une fille de quinze ans était capable d’écrire avec tant de talent ; mais cachant son véritable sentiment, il déclara : « Voici une poésie qui n’a pas de sens. Compose donc quelque chose de plus vivant ». Et peu après, il se remit à ronfler. L’élève continua à méditer et à écrire. Elle composa vingt poésies, trente poésies, sans oser les montrer. À mesure que les heures s’écoulaient, des tas de papiers noircis s’entassaient. Ayant perdu la notion du temps, elle se désola : « Ah ! Dieu n’a pas voulu m’accorder le talent d’une vraie poétesse. Dès aujourd’hui, c’est fini ; je renonce complètement à écrire ». Au même instant, le son d’une cloche, venant on ne sait d’où, annonça l’arrivée de l’aurore. Roghennbô, qui était moine, se souleva d’un bond sur sa couche : « Comme j’ai bien dormi ! Mais… serait-ce déjà le matin ? » 4 Au bruit de la voix qui frappait l’air, Tchiyo revint tout à coup à la réalité. Sans penser, désespérément, elle murmura cette exquise poésie :
« Coucou !
Coucou ! à ces mots,
Le jour est venu »
- En japonais 加賀千代女. Parfois transcrit Kaga no Chiyo-jo.
- En japonais 千代尼. Parfois transcrit Chiyo-ni.
« Une Poétesse japonaise au XVIIIᵉ siècle : Kaga no Tchiyo-jo »
Il s’agit d’une traduction partielle de Kaga no Tchiyo-jo 1, poétesse et nonne japonaise (XVIIIe siècle apr. J.-C.), également connue sous le surnom de Tchiyo-ni 2 (« Tchiyo la nonne »). Un maître du haïku, Roghennbô 3, passa par la ville de province où habitait Tchiyo, encore toute jeune. « N’importe comment », pensa-t-elle, « je solliciterai d’un haïkiste aussi célèbre des conseils sur l’art de composer… » Et poussée par le démon de la poésie, elle s’en alla frapper à la porte de l’auberge et prier Roghennbô de lui donner une leçon de poésie. Fatigué par le long voyage, il lui dit de prendre l’encre et le papier et de composer quelque chose sur un sujet tout indiqué par la saison : le coucou. Puis, sans plus s’inquiéter d’elle, il commença à dormir en ronflant. Après avoir longuement réfléchi, Tchiyo composa une poésie et demanda timidement : « Excusez-moi, s’il vous plaît… — Qu’est-ce qu’il y a ? », dit le poète brusquement réveillé. Et toujours allongé, il lut la poésie qui lui était présentée sur un rouleau de papier. Il fut très surpris de voir qu’une fille de quinze ans était capable d’écrire avec tant de talent ; mais cachant son véritable sentiment, il déclara : « Voici une poésie qui n’a pas de sens. Compose donc quelque chose de plus vivant ». Et peu après, il se remit à ronfler. L’élève continua à méditer et à écrire. Elle composa vingt poésies, trente poésies, sans oser les montrer. À mesure que les heures s’écoulaient, des tas de papiers noircis s’entassaient. Ayant perdu la notion du temps, elle se désola : « Ah ! Dieu n’a pas voulu m’accorder le talent d’une vraie poétesse. Dès aujourd’hui, c’est fini ; je renonce complètement à écrire ». Au même instant, le son d’une cloche, venant on ne sait d’où, annonça l’arrivée de l’aurore. Roghennbô, qui était moine, se souleva d’un bond sur sa couche : « Comme j’ai bien dormi ! Mais… serait-ce déjà le matin ? » 4 Au bruit de la voix qui frappait l’air, Tchiyo revint tout à coup à la réalité. Sans penser, désespérément, elle murmura cette exquise poésie :
« Coucou !
Coucou ! à ces mots,
Le jour est venu »
- En japonais 加賀千代女. Parfois transcrit Kaga no Chiyo-jo.
- En japonais 千代尼. Parfois transcrit Chiyo-ni.
Akiko, « Cheveux emmêlés »
Il s’agit de Yosano Akiko 1, poétesse japonaise (XIXe-XXe siècle) dont les poèmes d’amour rappellent cette verve sensuelle et audacieuse qui avait caractérisé Izumi-shikibu. Dans sa « Biographie de la poétesse Izumi-shikibu », Akiko écrivit, au sujet de celle qu’elle considérait comme son modèle, des pages très remarquables, non seulement parce qu’elles comptaient parmi les plus belles qui eussent été jamais écrites sur le sujet, mais aussi parce qu’en ces pages, sans peut-être y songer, Akiko se décrivait elle-même : « Poétesse de l’amour venue du ciel », dit-elle dans cette biographie 2, « toute sa vie fut consacrée à l’amour et à la poésie. Écrivait-elle par amour ou aimait-elle pour la poésie ? Dans son esprit, ces deux choses n’en étaient qu’une ». « Cheveux emmêlés » (« Midaregami » 3), tel sera le titre du premier recueil d’Akiko par allusion au célèbre poème d’Izumi-shikibu. Dans ce recueil qu’on peut qualifier de révolutionnaire, elle se montre en jeune fille frémissante de passions fugitives, d’abandons charnels, de caprices d’un jour, et se confiant à voix haute. « Être femme ; en être fière ; à mots vrais, forts, crier au monde son droit à l’amour, à la joie ; chanter “sa chair et sa vie”… c’est les “cheveux emmêlés” que, tête haute, Yosano Akiko s’[avancera] dans la vie et dans la poésie » 4. Ce sont cette spontanéité et cette hardiesse qui lui vaudront le succès auprès d’un public à la fois surpris et admiratif.
- En japonais 与謝野晶子. Autrefois transcrit Yoçano Akiko.
- Dans Claire Dodane, « Yosano Akiko : poète de la passion », p. 71.
- En japonais « みだれ髪 ». Parfois traduit « Les Cheveux mêlés » ou « Cheveux en désordre ».
- Georges Bonneau, « Histoire de la littérature japonaise contemporaine ».
« Anthologie de la poésie persane (XIᵉ-XXᵉ siècle) »
éd. Gallimard-UNESCO, coll. UNESCO d’œuvres représentatives-Connaissance de l’Orient, Paris
Il s’agit d’une anthologie persane (XIe-XXe siècle). La poésie est le talent propre et particulier des Persans, et la partie de leur littérature où ils excellent : la vivacité de leur imagination, la politesse de leurs mœurs, la douceur de leur langue, telles sont peut-être les causes de leur fécondité poétique. Un homme qui ne sait pas un mot de persan ne laissera pas, en entendant réciter des vers persans, d’être épris du son et de la cadence qui y est très sensible. Allez en Iran, parlez aux gens dans la rue, aux bouchers, aux marchands ; ils feront entrer dans leur réponse des tournures qui suffiront à vous plonger dans une rêverie profonde. Comme dit Hâfez :
« Le secret de Dieu que le gnostique pèlerin ne dit à personne,
Je suis stupéfait, ne sachant d’où le marchand de vin l’a entendu » 1.
Si les belles-lettres de l’islam comptent parmi les plus remarquables du monde, c’est avant tout grâce au génie iranien. Les premiers maîtres dans l’art de la grammaire étaient d’origine persane, même s’ils avaient passé leur jeunesse dans la pratique de la langue arabe. Tous les savants musulmans qui ont traité des principes fondamentaux de la science, tous ceux qui se sont distingués dans la jurisprudence, et la plupart de ceux qui ont cultivé l’exégèse coranique, appartenaient à la race persane ou s’étaient assimilés aux Persans par les manières et par l’éducation. Cela suffit pour démontrer la vérité de la parole attribuée au prophète Mahomet : « Si la science était suspendue au haut du ciel, il y aurait des gens parmi les Persans pour s’en emparer » 2. Comme dit Jan Rypka : « Les Iraniens sont les Français de l’Orient. Chez les uns comme chez les autres, la production littéraire et artistique présente une étendue et une valeur inappréciables…