Il s’agit du « Kim-Vân-Kiều » 1 (XIXe siècle), poème de plus de trois mille vers qui montrent l’âme vietnamienne dans toute sa sensibilité, sa pureté et son abnégation, et qui comptent parmi les plus remarquables du monde. « Il faut suspendre son souffle, il faut marcher avec précaution pour être en mesure de saisir [leur] beauté, tellement ils sont gracieux, jolis, grandioses, splendides », dit un écrivain moderne 2. Leur auteur, Nguyễn Du 3, laissa la réputation d’un homme mélancolique et taciturne. Mandarin malgré lui, il remplissait les devoirs de sa charge aussi bien ou même mieux que les autres, mais il resta, au fond, étranger aux ambitions. Son grand désir fut de se retirer dans la solitude de son village ; son grand bonheur fut de cacher ses talents : « Que ceux qui ont du talent ne se glorifient donc pas de leur talent ! », dit-il 4. « Le mot “tài” [talent] rime avec le mot “tai” [malheur]. » Au cours de la maladie qui lui fut fatale, Nguyễn Du refusa tout médicament, et lorsqu’il apprit que ses pieds étaient déjà glacés, il déclara dans un soupir : « C’est bien ainsi ! » Ce furent ses dernières paroles. Le mérite incomparable du « Kim-Vân-Kiều » n’a pas échappé à l’attention de Phạm Quỳnh, celui des critiques vietnamiens du siècle dernier qui a montré le plus d’érudition et de justesse dans ses opinions littéraires, dont une, en particulier, est devenue célèbre : « Qu’avons-nous à craindre, qu’avons-nous à être inquiets : le “Kiều” restant, notre langue reste ; notre langue restant, notre pays reste »
- Parfois transcrit « Kim-Van-Kiéou » ou « Kim Ven Kièou ». Outre cette appellation communément employée, le « Kim-Vân-Kiều » porte encore divers titres, selon les éditions, tels que : « Truyện Kiều » (« Histoire de Kiều ») ou « Đoạn Trường Tân Thanh » (« Le Cœur brisé, nouvelle version »).
- M. Hoài Thanh.
- Autrefois transcrit Nguyên Zou. À ne pas confondre avec Nguyễn Dữ, l’auteur du « Vaste Recueil de légendes merveilleuses », qui vécut deux siècles plus tôt.
- p. 173.