Icône CatégorieTrès bons ouvrages

Wang Fu, « Dialogue du thé et du vin »

éd. Berg international, Paris

éd. Berg in­ter­na­tio­nal, Pa­ris

Il s’agit du « du thé et du » 1Cha jiu lun» 2). Sous la dy­nas­tie des Tang 3, le thé, ayant reçu l’onction du boud­dhique, de­vient un concur­rent re­dou­table du vin, le­quel était tra­di­tion­nel­le­ment vé­néré par les let­trés. Dans une joute ora­toire fic­tive, tra­cée par la plume d’un cer­tain Wang  4 (Xe siècle apr. J.-C.), ces deux breu­vages se trouvent dé­sor­mais per­son­ni­fiés et op­po­sés, à la fa­çon des de nos fables, cha­cun rap­pe­lant ses , ses char­mantes qua­li­tés, et fai­sant va­loir sa sa­veur in­dé­niable. Leur af­fron­te­ment, loin des sé­rieux trai­tés sur l’art du thé, donne lieu à des ar­gu­ments dé­fen­dus avec . Ceux du vin : «, je vis avec l’ : les man­da­rins ont tou­jours en­vie de moi. Il m’est ar­rivé de faire jouer de la ci­thare au sou­ve­rain de Zhao, et j’ai poussé le roi de Qin à jouer du tam­bour. Qui se met à chan­ter rien qu’avec du thé?» 5 Et ceux du thé : «Moi, “cha”, je suis la plante su­pé­rieure, tan­tôt blanc comme jade, tan­tôt d’. Dans leur quête spi­ri­tuelle, les plus vé­né­rables moines, les les plus vivent dé­ta­chés du  : boire le thé leur ap­porte la lu­ci­dité dans la conver­sa­tion et éloigne d’eux le som­meil. C’est moi qu’on offre au » 6 Au plus fort de la dis­pute sur­git un troi­sième lar­ron, dont ni le thé ni le vin ne peuvent se pas­ser, et qui met les deux d’accord. Je vous laisse dé­cou­vrir de qui il s’agit. Ha­sard ou des­ti­née, ce vieux «Dia­logue du thé et du vin» fait par­tie des dé­cou­verts en 1908 par le si­no­logue Paul Pel­liot dans les de Dun­huang. De­puis, il a re­pris une ac­tua­lité . Il a été cité par M. le pré­sident Xi Jin­ping, lors de ses dé­pla­ce­ments dans les pays fran­co­phones, pour évo­quer l’ qua­si­ment pa­ral­lèle, al­lant des ter­roirs aux ri­tuels de dé­gus­ta­tion, entre vins fran­çais et thés  : «La ré­serve sobre du thé et la sans en­trave du vin», a dit M. le pré­sident 7, «re­pré­sentent deux ma­nières dif­fé­rentes de sa­vou­rer la et de dé­chif­frer le monde». Il existe des routes des thés en , comme il existe des routes des vins en et au .

  1. Par­fois tra­duit «Dis­cus­sion entre le thé et le vin» ou «La Dis­pute du thé et du vin». Icône Haut
  2. En chi­nois «茶酒論». Icône Haut
  3. De l’an 618 à l’an 907. Icône Haut
  4. En chi­nois 王敷. Icône Haut
  1. p. 29-30. Icône Haut
  2. p. 28-29. Icône Haut
  3. Dans «Le Thé et le Vin vus par les », p. 4. Icône Haut

« Philosophes taoïstes. Tome II. “Huainan zi” »

éd. Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, Paris

éd. Gal­li­mard, coll. Bi­blio­thèque de la Pléiade, Pa­ris

Il s’agit du «Huai­nan hon­glie» 1Grande Lu­mière de Huai­nan»), plus connu sous le titre de «Huai­nan zi» 2[Livre du] maître de Huai­nan»), ou­vrage qui, sous des al­lures d’encyclopédie phi­lo­so­phique, cache un vé­ri­table plai­doyer . Le Maître de Huai­nan avait pour nom per­son­nel Liu An 3 (IIe siècle av. J.-C.). C’était un «cu­rieux», dans toutes les ac­cep­tions de ce mot, ai­mant la com­pa­gnie des éru­dits ac­cou­rus des quatre coins de la ; cu­rieux aussi par l’étonnement que sa ins­pire, car il était pe­tit-fils de l’Empereur et d’une fille du au ser­vice du roi de Zhao. On ra­conte qu’en la sep­tième an­née de son règne, l’Empereur était passé par le pays de Zhao et s’était mon­tré échauffé et ir­rité contre le roi. Ce­lui-ci, pour l’apaiser, lui avait of­fert une fille du pa­lais — la grand-mère de notre au­teur. Elle re­çut la fa­veur im­pé­riale et se trouva en­ceinte. Le roi de Zhao, n’osant plus la gar­der au pa­lais, lui fit bâ­tir à l’extérieur un pe­tit lo­gis. Ce­pen­dant, l’Empereur s’en dés­in­té­ressa, et l’Impératrice, de son côté, prit des dis­po­si­tions pour que l’affaire ne fût pas ébrui­tée. Dans le dé­nue­ment le plus com­plet, la fille du pa­lais mit au un fils — le père de notre au­teur — et se donna la en ma­nière de pro­tes­ta­tion. Un of­fi­cier prit res­pec­tueu­se­ment l’enfant et l’apporta à l’Empereur. L’enfant, qui fut pro­clamé prince de Huai­nan, eut maille à par­tir avec ses , nés de l’Impératrice, qui, une fois ar­ri­vés au pou­voir, trou­vèrent un pré­texte pour le faire condam­ner. Il mou­rut de faim sur la route de l’, en lais­sant le titre prin­cier à son fils, Liu An — notre au­teur. Liu An se mon­tra un es­prit pas­sionné pour les po­li­tiques et les belles-lettres. Il conçut l’idée d’une somme phi­lo­so­phique d’ ïste, où se ver­raient concen­trés tous les sa­voirs de son , et qui ren­fer­me­rait, par la même oc­ca­sion, les meilleurs pré­ceptes sur la ma­nière dont un Em­pire de­vrait être conduit et di­rigé. Pour réa­li­ser son pro­jet am­bi­tieux, il at­tira à sa Cour un grand nombre de let­trés — jusqu’à mille! Il leur pré­senta un amas consi­dé­rable d’argent et de vivres et leur dit qu’il voyait bien que l’Empereur ne re­con­nais­sait pas leur ta­lent et leur zèle; «que leurs étaient [pour­tant] bien su­pé­rieures à celles des mi­nistres de la Cour im­pé­riale; et qu’il ne dou­tait pas qu’aidé de leurs conseils, il ne fût en état de ten­ter [son] des­sein» 4. Les uns eurent pour tâche de gla­ner, dans les des An­ciens, tout ce qui sem­blait d’un cer­tain in­té­rêt; les autres par­ti­ci­pèrent à de brillantes dis­cus­sions pré­si­dées par Liu An en per­sonne. Quant à la pa­ter­nité du livre qui en ré­sulta, le «Huai­nan zi», il se­rait in­juste de com­pa­rer le rôle que Liu An a dû jouer à ce­lui de Lü Bu­wei, dont le nom est rat­ta­ché aux «Prin­temps et Au­tomnes du sieur Lü», alors qu’il n’en a été que le mé­cène. Si l’on ad­met, comme le font les , l’ du «Huai­nan zi», il n’y a pas de d’en re­fu­ser le mé­rite es­sen­tiel à Liu An.

  1. En «淮南鴻烈». Au­tre­fois trans­crit «Houai-nan hong-lie». Icône Haut
  2. En chi­nois «淮南子». Au­tre­fois trans­crit «Houai Nan-tseu», «Hoai-nan-tse», «Hoay-nan-tse» ou «Huai-nan-tzu». Icône Haut
  1. En chi­nois 劉安. Par­fois trans­crit Lieou Ngan ou Lieau An. Icône Haut
  2. « gé­né­rale de la Chine, ou An­nales de cet Em­pire, tra­duites du “Tong-kien-kang-mou”. Tome III». Icône Haut

« Trois Pièces du théâtre des Yuan »

éd. Les Belles Lettres, coll. Bibliothèque chinoise, Paris

éd. Les Belles Lettres, coll. Bi­blio­thèque chi­noise, Pa­ris

Il s’agit de «L’Automne au des Han» 1Han Gong Qiu» 2) et autres pièces du des Yuan. Les let­trés tra­vaillaient peu pour le théâtre et re­cueillaient peu de re­nom­mée de leurs pièces, parce que ce genre était plu­tôt to­léré que per­mis en ; les an­ciens l’ayant constam­ment dé­crié et é comme un art cor­rup­teur. Il faut at­tendre le XIIIe siècle apr. J.-C. pour trou­ver des pro­duc­tions très im­por­tantes à la fois en qua­lité et en quan­tité. Un dé­sastre na­tio­nal, le pas­sage de la Chine sous le joug , fut l’occasion de cette sou­daine flo­rai­son. Du­rant une pé­riode de quatre-vingt-dix ans, les sau­vages en­va­his­seurs, qui ne pos­sé­daient pas d’, abo­lirent le sys­tème des concours où se re­cru­taient les , et re­lé­guèrent les let­trés, qui for­maient la classe la plus ho­no­rée de la chi­noise, à un des éche­lons les plus bas, tout juste de­vant les et les men­diants. Par dés­œu­vre­ment, ces let­trés se tour­nèrent alors vers le théâtre — genre dont la grande vogue com­men­çait à se des­si­ner, et qu’ils contri­buèrent très vite à per­fec­tion­ner. Ce­pen­dant, le dis­cré­dit at­ta­ché au théâtre sub­sista. Ces let­trés n’accédèrent ja­mais aux hon­neurs et durent se conten­ter d’exercer de mo­destes em­plois — pe­tits com­mer­çants, apo­thi­caires, de­vins ou simples . Aussi, ne sommes-nous pas éton­nés de ne trou­ver au­cun ren­sei­gne­ment sur leur . Et mal­gré la pu­bli­ca­tion, en 1616, d’une cen­taine de leurs -d’œuvre dans l’« de pièces des Yuan» («Yuan Qu Xuan» 3), le théâtre est resté jusqu’à nos jours le genre le moins connu de toutes les lit­té­ra­tures de di­ver­tis­se­ment qu’a eues la Chine. «Évi­dem­ment, la [de ce théâtre] est ex­trê­me­ment gros­sière», ex­plique Adolf-Eduard Zu­cker 4. «Les se font connaître à l’auditoire, en dé­taillant leur pas­sée et la part qu’ils sont ap­pe­lés à jouer dans le drame… On peut dire que, dans l’ensemble, les pièces n’atteignent guère un plan spi­ri­tuel très élevé. Il se dé­gage, ce­pen­dant, un grand charme de ce théâtre qui nous pré­sente des per­son­nages de toute condi­tion et nous donne une vaste fresque de l’abondante de l’Empire du Mi­lieu, aux jours dé­crits par Marco Polo.»

  1. Par­fois tra­duit « au pa­lais des Han». Icône Haut
  2. En chi­nois «漢宮秋». Au­tre­fois trans­crit «Han-kung ch’iu». L’auteur de cette pièce est Ma Zhiyuan (馬致遠). Au­tre­fois trans­crit Ma Chih-yüan. Icône Haut
  1. En chi­nois «元曲選». Au­tre­fois trans­crit «Yuan K’iu Siuan», «Yuen-kiu-siuen» ou «Yüan-ch’ü Hsüan». Éga­le­ment connu sous le titre de «Yuan Ren Bai Zhong Qu» («元人百種曲»), c’est-à-dire «Cent Pièces d’auteurs des Yuan». Au­tre­fois trans­crit «Yüan-jen Pai Chung Ch’ü» ou «Youen Jin Pe Tchong Keu». Icône Haut
  2. Dans Ca­mille Pou­peye, «Le Théâtre chi­nois», p. 130-131. Icône Haut

Lindgren, « Fifi Brindacier : l’intégrale »

éd. Hachette jeunesse, Paris

éd. Ha­chette , Pa­ris

Il s’agit de «Fifi Brin­da­cier» («Pippi Lång­strump») de Mme , la grande dame de la lit­té­ra­ture pour , la créa­trice de la ga­mine la plus ef­fron­tée sor­tie de l’ sué­doise : Fifi Brin­da­cier. Au­cun au­teur n’a été tra­duit en au­tant de langues que Mme Lind­gren. On ra­conte que M. Bo­ris Pan­kine 1, am­bas­sa­deur d’ à Stock­holm, confia un jour à l’écrivaine que presque tous les foyers so­vié­tiques comp­taient deux  : son «Karls­son sur le toit» et la ; ce à quoi elle ré­pli­qua : «Comme c’est étrange! J’ignorais to­ta­le­ment que la Bible était si po­pu­laire!» 2 C’est en 1940 ou 1941 que Fifi Brin­da­cier vit le jour comme per­son­nage de , au mo­ment où l’ fai­sait main basse sur l’, sem­blable à «un monstre éfique qui, à in­ter­valles ré­gu­liers, sort de son trou pour se pré­ci­pi­ter sur une vic­time» 3. Le cou­lait, les gens re­ve­naient mu­ti­lés, tout n’était que mal­heur et déses­poir. Et mal­gré les mille rai­sons d’être dé­cou­ra­gée face à l’avenir de notre , Mme Lind­gren ne pou­vait s’empêcher d’éprouver un cer­tain op­ti­misme quand elle voyait les per­sonnes de de­main : les en­fants, les ga­mins. Ils étaient «joyeux, sin­cères et sûrs d’eux, et ce, comme au­cune gé­né­ra­tion pré­cé­dente ne l’a été» 4. Mme Lind­gren com­prit, alors, que l’avenir du dor­mait dans les chambres des en­fants. C’est là que tout se jouait pour que les hommes et les de de­main de­viennent des sains et bien­veillants, qui voient le monde tel qu’il est, qui en connaissent la beauté. Le de Mme Lind­gren tient à cette . L’ qu’elle porte aux faibles et aux op­pri­més lui vaut éga­le­ment le des pe­tits et des grands. Beau­coup de ses ré­cits ont pour cadre des bour­gades res­sem­blant à sa bour­gade na­tale. Mais il ne s’agit là que du cadre. Car l’essence de ses ré­cits ré­side dans l’imagination dé­bor­dante de l’enfant so­li­taire — ce ter­ri­toire in­té­rieur où nul ne peut plus être tra­qué, où la seule est pos­sible. «Je veux écrire pour des lec­teurs qui savent créer des mi­racles. Les en­fants savent créer des mi­racles en li­sant», dit-elle 5. De même que toute , dans n’importe quel genre, dé­passe les li­mites de ce genre et de­vient quelque chose d’incomparable; de même, les ou­vrages de Mme Lind­gren dé­passent les li­mites étroites de la . Ce sont des le­çons de li­berté pour tous les âges et tous les siècles : «: Li­berté! Car sans li­berté, la fleur du poème fa­nera où qu’elle pousse» 6.

  1. En Борис Дмитриевич Панкин. Icône Haut
  2. Dans «Dos­sier : As­trid Lind­gren». Icône Haut
  3. Dans Jens An­der­sen, «As­trid Lind­gren». Icône Haut
  1. id. Icône Haut
  2. Dans «Dos­sier : As­trid Lind­gren». Icône Haut
  3. Dans Jens An­der­sen, «As­trid Lind­gren». Icône Haut

« L’Extase du thé : poèmes »

éd. Moundarren, Millemont

éd. Moun­dar­ren, Mil­le­mont

Il s’agit de poèmes sur le thé. C’est Li Po, au VIIIe siècle apr. J.-C., qui com­posa ce que l’on consi­dère comme le pre­mier poème sur le thé pour re­mer­cier son ne­veu, le moine Chung , qui lui avait of­fert du thé de la mon­tagne de la Source de jade. Le poète avait en­tendu par­ler de cette mon­tagne qui re­gor­geait de . À l’extérieur, au mi­lieu des ro­chers, pous­saient des théiers. La Source de jade en as­per­geait les ra­cines et les branches de gouttes par­fu­mées. Seul un vieil ve­nait cueillir leurs feuilles qui, quand on les bu­vait, to­ni­fiaient chair et os : il les sé­chait au et les fa­çon­nait en briques 1. À l’âge de quatre-vingts ans pas­sés, son teint gar­dait la des pêches et des prunes. Alors que Li Po voya­geait dans le Ching ling, le moine Chung fu, son ne­veu comme je l’ai dit plus haut, lui avait of­fert des di­zaines de ces briques dont la forme res­sem­blait à une main hu­maine. On ap­pe­lait ce thé «la main d’immortel». Un ma­tin, as­sis, res­sen­tant en­core les bien­faits de la bois­son, Li Po com­posa des vers su­perbes et une pré­face pour en faire l’éloge. C’est éga­le­ment au VIIIe siècle que na­quit Lu Tung 2, sur­nommé le «fou du thé». «Du ma­tin au soir», ex­plique M. Paul Bu­tel 3, «le maître [Lu Tung] ne fai­sait rien d’autre que de ré­ci­ter des poèmes et de pré­pa­rer la bois­son dont il raf­fo­lait avec tant de pas­sion que quelques-uns de ses contem­po­rains le crurent fou. N’écrit-il pas “je ne m’intéresse nul­le­ment à l’, mais seule­ment au goût du thé”?». Au­tant Lu Yu est cé­lèbre en prose pour son «Clas­sique du thé»; au­tant Lu Tung l’est en pour son chant des «Sept tasses de thé» 4, qui dé­crit re­mar­qua­ble­ment le plai­sir ap­porté par les tasses suc­ces­sives de thé, de­puis la pre­mière qui «hu­mecte lèvres et go­sier» jusqu’à la sep­tième qui pro­voque «un vent frais sous [les] ais­selles», c’est-à-dire une ex­tase qua­si­ment re­li­gieuse. Plus qu’une idéa­li­sa­tion de la ma­nière de boire, le thé re­pré­sente chez lui une de l’art de la , comme on le voit à son re­cluse, sub­tile, loin d’une dans le fonc­tion­na­riat. Son théisme est un ïsme dé­guisé.

  1. Le thé était ja­dis conservé sous forme de briques com­pres­sées, aussi dures qu’une , comme il s’en vend en­core dans les de la . Icône Haut
  2. En 盧仝. Par­fois trans­crit Lo­tung ou Lu Tong. Icône Haut
  1. « du thé», p. 22. Icône Haut
  2. En chi­nois «七碗茶». Par­fois tra­duit «Sept bols de thé». Ce chant n’est, en , que la par­tie cen­trale d’un long poème in­ti­tulé «Zoubi Meng jia­nyi ji xin­cha» («走筆謝孟諫議寄新茶»), c’est-à-dire «Re­mer­cie­ments em­pres­sés adres­sés au cen­seur im­pé­rial Meng pour son ca­deau de thé fraî­che­ment coupé». Icône Haut

Béliaev, « L’Homme amphibie »

éd. L’Âge d’homme, coll. Classiques slaves, Lausanne

éd. L’Âge d’, coll. Clas­siques slaves, Lau­sanne

Il s’agit du «L’Homme am­phi­bie» d’ 1, un des seuls à avoir consa­cré toute son œuvre à la science-. Il y a un épi­sode tra­gique dans la de Bé­liaev sans le­quel nous ne com­pren­drions ja­mais que la moi­tié de cet écri­vain; sans le­quel un côté de cet homme nous échap­pe­rait tou­jours. Un après-midi, le gar­çon qui por­tait le pré­nom or­di­naire d’Alexandre, eut le ex­tra­or­di­naire de s’envoler dans les airs. Aus­si­tôt dé­cidé, aus­si­tôt fait. Il at­ta­cha des ba­lais à ses bras, monta sur le toit de la grange, et presque sans hé­si­ta­tion… sauta en bas. Loin de trou­ver le saut désa­gréable, il en fit, tout ex­cité, un se­cond et un troi­sième; mais au der­nier, il se frac­tura la co­lonne ver­té­brale et fut cloué au lit. Il sem­bla en voie de ; mais en 1916 se dé­clara une tu­ber­cu­lose os­seuse — ma­la­die grave, dont les at­taques dou­lou­reuses l’obligèrent à por­ter un cor­set or­tho­pé­dique jusqu’à la fin de sa vie. Rien ne put ar­rê­ter, ce­pen­dant, l’envol de son . Af­fran­chir les hommes des li­mites que la leur a po­sées, dans l’espoir — illu­soire sans — que cet af­fran­chis­se­ment les ren­drait maîtres de leur des­tin, telle fut l’ambition de Bé­liaev en­fermé entre les quatre murs de sa chambre d’hôpital. Ainsi, «La Tête du pro­fes­seur Do­well» («Go­lova pro­fes­sora Dooué­lia» 2) dé­bar­rasse l’esprit hu­main du ; «L’Homme qui ne dort ja­mais» («Tché­lo­vek, ko­to­ryi né spit» 3) le li­bère du som­meil; «Le Maître du » («Vlas­té­line mira» 4) en­vi­sage la brillante pers­pec­tive de l’homme de­venu té­lé­pathe; «L’Homme am­phi­bie» («Tché­lo­vek-am­fi­bia» 5) dé­crit le pre­mier pois­son parmi les hommes ou le pre­mier homme parmi les pois­sons : «L’idée est tou­jours la même», dit Bé­liaev dans ce ro­man, son plus im­por­tant et son plus cé­lèbre, «l’être hu­main n’est pas par­fait. Tout en ayant ac­quis au cours de l’ bon nombre d’avantages en com­pa­rai­son de ses pré­da­teurs , [il] a dans le même perdu beau­coup de ce qu’il pos­sé­dait dans les stades plus an­ciens de son dé­ve­lop­pe­ment… Pour­quoi ne pas rendre à l’être hu­main [ces] fa­cul­tés?»

  1. En Александр Беляев. Par­fois trans­crit Bel­jaev, Be­lyaev, Be­lâev, Be­lyayev, Bel­ja­jew, Bel­ja­jev, Be­liaew ou Bé­liaïev. Icône Haut
  2. En russe «Голова профессора Доуэля». Icône Haut
  3. En russe «Человек, который не спит», in­édit en . Icône Haut
  1. En russe «Властелин мира», in­édit en fran­çais. Icône Haut
  2. En russe «Человек-амфибия». Icône Haut

Pamuk, « Istanbul : souvenirs d’une ville »

éd. Gallimard, Paris

éd. Gal­li­mard, Pa­ris

Il s’agit d’«Is­tan­bul : sou­ve­nirs d’une ville» («İst­anbul : Hatı­ra­lar ve Şe­hir») 1 de M. , écri­vain pour le­quel le centre du est Is­tan­bul, non seule­ment parce qu’il y a passé toute sa , mais aussi parce que toute sa vie il en a ra­conté les re­coins les plus in­times. En 1850, Gus­tave Flau­bert, en ar­ri­vant à Is­tan­bul, frappé par la gi­gan­tesque bi­gar­rure de cette ville, par le cô­toie­ment de «tant d’individualités sé­pa­rées, dont l’addition for­mi­dable apla­tit la vôtre», avait écrit que de­vien­drait «plus tard la ca­pi­tale de la » 2. Cette naïve pré n’empêcha pas l’Empire turc de s’écrouler et de dis­pa­raître, et la ca­pi­tale de perdre son nom de Constan­ti­nople, vi­dée de ses Grecs, ses Ar­mé­niens, ses Juifs. À la nais­sance de M. Pa­muk, tout juste un siècle après le sé­jour de Flau­bert, Is­tan­bul, en tant que ville mon­diale, n’était plus qu’une ombre cré­pus­cu­laire et vi­vait les jours les plus faibles, les moins glo­rieux de ses deux mille ans d’. La douce tris­tesse de ses rues fa­nées et flé­tries, de son passé tombé en dis­grâce per­çait de toute part; elle avait une pré­sence vi­sible dans le et chez les gens; elle re­cou­vrait tel un brouillard «les vieilles fon­taines bri­sées ici et là, ta­ries de­puis des an­nées, les bou­tiques de bric et de broc ap­pa­rues… aux abords im­mé­diats des vieilles mos­quées…, les trot­toirs sales, tout tor­dus et dé­fon­cés…, les vieux ci­me­tières égre­nés sur les hau­teurs…, les lam­pa­daires fa­lots», dit M. Pa­muk 3. Parce que cette tris­tesse était cau­sée par le fait d’être des re­je­tons d’un an­cien Em­pire, les Stam­bou­liotes pré­fé­raient faire table rase du passé. Ils ar­ra­chaient des pierres aux mu­railles et aux vé­né­rables édi­fices afin de s’en ser­vir pour leurs propres construc­tions. Dé­truire, brû­ler, éri­ger à la place un im­meuble oc­ci­den­tal et mo­derne était leur ma­nière d’oublier — un peu comme un amant qui, pour ef­fa­cer le dou­lou­reux d’une an­cienne maî­tresse, se dé­bar­rasse en hâte des , des bi­joux, des et des meubles. Au bout du compte, ce trai­te­ment de choc et ces des­truc­tions par le ne fai­saient qu’accroître le sen­ti­ment de tris­tesse, en lui ajou­tant le ton du déses­poir et de la mi­sère. «L’effort d’occidentalisation», dit M. Pa­muk 4, «ou­vrit la voie… à la trans­for­ma­tion des in­té­rieurs do­mes­tiques en mu­sées d’une ja­mais vé­cue. Des an­nées après, j’ai éprouvé toute cette in­con­gruité… Ce sen­ti­ment de tris­tesse, en­foui dé­fi­ni­ti­ve­ment dans les tré­fonds de la ville, me fit prendre de la né­ces­sité de construire mon propre ima­gi­naire, si je ne vou­lais pas être pri­son­nier…» Un soir, après avoir poussé la porte de la mai­son fa­mi­liale, fran­chi le seuil et lon­gue­ment mar­ché dans ces rues qui lui ap­por­taient et ré­con­fort, M. Pa­muk ren­tra au mi­lieu de la et s’assit à sa table pour res­ti­tuer quelque chose de leur at­mo­sphère et de leur . Le len­de­main, il an­nonça à sa qu’il se­rait écri­vain.

  1. Éga­le­ment connu sous le titre d’«Is­tan­bul illus­tré» («Re­simli İst­anbul»). Icône Haut
  2. «Lettre à Louis Bouil­het du 14.XI.1850». Icône Haut
  1. «Is­tan­bul», p. 68-69. Icône Haut
  2. id. p. 54-55. Icône Haut

Pamuk, « La Femme aux cheveux roux : roman »

éd. Gallimard, coll. Du monde entier, Paris

éd. Gal­li­mard, coll. Du en­tier, Pa­ris

Il s’agit du «La Femme aux che­veux roux» («Kırmızı Sa­çlı Kadın») de M. , écri­vain pour le­quel le centre du monde est Is­tan­bul, non seule­ment parce qu’il y a passé toute sa , mais aussi parce que toute sa vie il en a ra­conté les re­coins les plus in­times. En 1850, Gus­tave Flau­bert, en ar­ri­vant à Is­tan­bul, frappé par la gi­gan­tesque bi­gar­rure de cette ville, par le cô­toie­ment de «tant d’individualités sé­pa­rées, dont l’addition for­mi­dable apla­tit la vôtre», avait écrit que de­vien­drait «plus tard la ca­pi­tale de la » 1. Cette naïve pré n’empêcha pas l’Empire turc de s’écrouler et de dis­pa­raître, et la ca­pi­tale de perdre son nom de Constan­ti­nople, vi­dée de ses Grecs, ses Ar­mé­niens, ses Juifs. À la nais­sance de M. Pa­muk, tout juste un siècle après le sé­jour de Flau­bert, Is­tan­bul, en tant que ville mon­diale, n’était plus qu’une ombre cré­pus­cu­laire et vi­vait les jours les plus faibles, les moins glo­rieux de ses deux mille ans d’. La douce tris­tesse de ses rues fa­nées et flé­tries, de son passé tombé en dis­grâce per­çait de toute part; elle avait une pré­sence vi­sible dans le et chez les gens; elle re­cou­vrait tel un brouillard «les vieilles fon­taines bri­sées ici et là, ta­ries de­puis des an­nées, les bou­tiques de bric et de broc ap­pa­rues… aux abords im­mé­diats des vieilles mos­quées…, les trot­toirs sales, tout tor­dus et dé­fon­cés…, les vieux ci­me­tières égre­nés sur les hau­teurs…, les lam­pa­daires fa­lots», dit M. Pa­muk 2. Parce que cette tris­tesse était cau­sée par le fait d’être des re­je­tons d’un an­cien Em­pire, les Stam­bou­liotes pré­fé­raient faire table rase du passé. Ils ar­ra­chaient des pierres aux mu­railles et aux vé­né­rables édi­fices afin de s’en ser­vir pour leurs propres construc­tions. Dé­truire, brû­ler, éri­ger à la place un im­meuble oc­ci­den­tal et mo­derne était leur ma­nière d’oublier — un peu comme un amant qui, pour ef­fa­cer le dou­lou­reux d’une an­cienne maî­tresse, se dé­bar­rasse en hâte des , des bi­joux, des et des meubles. Au bout du compte, ce trai­te­ment de choc et ces des­truc­tions par le ne fai­saient qu’accroître le sen­ti­ment de tris­tesse, en lui ajou­tant le ton du déses­poir et de la mi­sère. «L’effort d’occidentalisation», dit M. Pa­muk 3, «ou­vrit la voie… à la trans­for­ma­tion des in­té­rieurs do­mes­tiques en mu­sées d’une ja­mais vé­cue. Des an­nées après, j’ai éprouvé toute cette in­con­gruité… Ce sen­ti­ment de tris­tesse, en­foui dé­fi­ni­ti­ve­ment dans les tré­fonds de la ville, me fit prendre de la né­ces­sité de construire mon propre ima­gi­naire, si je ne vou­lais pas être pri­son­nier…» Un soir, après avoir poussé la porte de la mai­son fa­mi­liale, fran­chi le seuil et lon­gue­ment mar­ché dans ces rues qui lui ap­por­taient et ré­con­fort, M. Pa­muk ren­tra au mi­lieu de la et s’assit à sa table pour res­ti­tuer quelque chose de leur at­mo­sphère et de leur . Le len­de­main, il an­nonça à sa qu’il se­rait écri­vain.

  1. «Lettre à Louis Bouil­het du 14.XI.1850». Icône Haut
  2. «Is­tan­bul», p. 68-69. Icône Haut
  1. id. p. 54-55. Icône Haut

Rosny, « La Mort de la Terre et Autres Contes »

éd. Bibliothèque nationale de France, coll. Les Orpailleurs, Paris

éd. Bi­blio­thèque na­tio­nale de , coll. Les Or­pailleurs, Pa­ris

Il s’agit de «La de la » et autres œuvres de . Sous le pseu­do­nyme de Rosny se masque la col­la­bo­ra­tion lit­té­raire entre deux  : Jo­seph-Henri-Ho­noré Boëx et Sé­ra­phin-Jus­tin-Fran­çois Boëx. Ils na­quirent, l’aîné en 1856, le jeune en 1859, d’une fran­çaise, hol­lan­daise et es­pa­gnole ins­tal­lée en . Ces di­verses, leur ins­tinct de , un âpre de la lutte — les Rosny étaient d’une rare vi­gueur mus­cu­laire —, leur han­tise de la pré, et jusque la fas­ci­na­tion qu’exerçaient sur eux les terres in­hos­pi­ta­lières et sau­vages, firent naître chez eux le rêve de re­joindre les tri­bus in­diennes qui han­taient en­core les éten­dues loin­taines du . Londres d’abord et Pa­ris en­suite n’étaient dans leur tête qu’une es­cale; mais le des­tin les y fixa pour la et fit d’eux des pri­son­niers de ces ten­ta­cu­laires que les Rosny al­laient fouiller en pro­fon­deur, avec toute la pas­sion que sus­citent des contrées in­con­nues, des contrées hu­maines et bru­tales. Ils pé­né­trèrent dans les fau­bourgs sor­dides; ils connurent les four­naises, les usines, les fa­briques fa­rouches et re­pous­santes, cra­chant leurs noires fu­mées dans le , les dé­po­toirs à perte de vue, au­tour des­quels grouillaient des hommes de fer et de . Cette vi­sion exal­tait les Rosny jusqu’aux larmes : «Le front contre sa vitre, il contem­plait le fau­bourg si­nistre, les hautes che­mi­nées d’usine, avec l’impression d’une tue­rie lente et in­vin­cible. Au­rait-on le de sau­ver les hommes?… De vastes es­pé­rances ba­layaient cette crainte» 1. À ja­mais éga­rés des ho­ri­zons ca­na­diens, les Rosny se conso­lèrent en créant une des ban­lieues, à la­quelle on doit leurs meilleures pages. L’impression qu’un autre tire d’une fo­rêt vierge, d’une sa­vane, d’une jungle, d’un abîme d’herbes, de ra­mures et de fauves, ils la ti­rèrent, aussi vierge, de l’étrange re­mous de la in­dus­trielle. Le sif­fle­ment des , le re­ten­tis­se­ment des en­clumes, la des foules de­vint pour eux un bruit aussi re­li­gieux que l’appel des cloches. L’aspect fé­roce, puis­sant des tra­vailleurs, à la sor­tie des ate­liers, leur évo­qua les temps pri­mi­tifs où les pre­miers hommes se dé­bat­taient dans des com­bats vio­lents contre les forces élé­men­taires de la . Dans leurs ro­mans aux dé­cors sub­ur­bains, qui re­joignent d’ailleurs leurs ré­cits pré­his­to­riques et , puisqu’ils se penchent sur «tout l’antique mys­tère» 2 des de­ve­nirs de la vie — dans leurs ro­mans, dis-je, les Rosny font voir que «la fo­rêt vierge et les grandes in­dus­tries ne sont pas des choses op­po­sées, ce sont des choses ana­logues»; qu’un «mor­ceau de Pa­ris, où s’entasse la gran­deur de nos sem­blables, doit faire pal­pi­ter les au­tant que la chute du Rhin à Schaff­house» 3; que l’œuvre des hommes est non moins belle et mons­trueuse que celle de la na­ture — ou plu­tôt, il est im­pos­sible de sé­pa­rer l’une de l’autre.

  1. «La Vague rouge». Icône Haut
  2. «L’Aube du fu­tur». Icône Haut
  1. «La Vague rouge». Icône Haut

Pamuk, « D’Autres Couleurs : essais »

éd. Gallimard, coll. Du monde entier, Paris

éd. Gal­li­mard, coll. Du en­tier, Pa­ris

Il s’agit de «D’Autres » («Öteki Renk­ler») de M. , écri­vain pour le­quel le centre du monde est Is­tan­bul, non seule­ment parce qu’il y a passé toute sa , mais aussi parce que toute sa vie il en a ra­conté les re­coins les plus in­times. En 1850, Gus­tave Flau­bert, en ar­ri­vant à Is­tan­bul, frappé par la gi­gan­tesque bi­gar­rure de cette ville, par le cô­toie­ment de «tant d’individualités sé­pa­rées, dont l’addition for­mi­dable apla­tit la vôtre», avait écrit que de­vien­drait «plus tard la ca­pi­tale de la » 1. Cette naïve pré n’empêcha pas l’Empire turc de s’écrouler et de dis­pa­raître, et la ca­pi­tale de perdre son nom de Constan­ti­nople, vi­dée de ses Grecs, ses Ar­mé­niens, ses Juifs. À la nais­sance de M. Pa­muk, tout juste un siècle après le sé­jour de Flau­bert, Is­tan­bul, en tant que ville mon­diale, n’était plus qu’une ombre cré­pus­cu­laire et vi­vait les jours les plus faibles, les moins glo­rieux de ses deux mille ans d’. La douce tris­tesse de ses rues fa­nées et flé­tries, de son passé tombé en dis­grâce per­çait de toute part; elle avait une pré­sence vi­sible dans le et chez les gens; elle re­cou­vrait tel un brouillard «les vieilles fon­taines bri­sées ici et là, ta­ries de­puis des an­nées, les bou­tiques de bric et de broc ap­pa­rues… aux abords im­mé­diats des vieilles mos­quées…, les trot­toirs sales, tout tor­dus et dé­fon­cés…, les vieux ci­me­tières égre­nés sur les hau­teurs…, les lam­pa­daires fa­lots», dit M. Pa­muk 2. Parce que cette tris­tesse était cau­sée par le fait d’être des re­je­tons d’un an­cien Em­pire, les Stam­bou­liotes pré­fé­raient faire table rase du passé. Ils ar­ra­chaient des pierres aux mu­railles et aux vé­né­rables édi­fices afin de s’en ser­vir pour leurs propres construc­tions. Dé­truire, brû­ler, éri­ger à la place un im­meuble oc­ci­den­tal et mo­derne était leur ma­nière d’oublier — un peu comme un amant qui, pour ef­fa­cer le dou­lou­reux d’une an­cienne maî­tresse, se dé­bar­rasse en hâte des , des bi­joux, des et des meubles. Au bout du compte, ce trai­te­ment de choc et ces des­truc­tions par le ne fai­saient qu’accroître le sen­ti­ment de tris­tesse, en lui ajou­tant le ton du déses­poir et de la mi­sère. «L’effort d’occidentalisation», dit M. Pa­muk 3, «ou­vrit la voie… à la trans­for­ma­tion des in­té­rieurs do­mes­tiques en mu­sées d’une ja­mais vé­cue. Des an­nées après, j’ai éprouvé toute cette in­con­gruité… Ce sen­ti­ment de tris­tesse, en­foui dé­fi­ni­ti­ve­ment dans les tré­fonds de la ville, me fit prendre de la né­ces­sité de construire mon propre ima­gi­naire, si je ne vou­lais pas être pri­son­nier…» Un soir, après avoir poussé la porte de la mai­son fa­mi­liale, fran­chi le seuil et lon­gue­ment mar­ché dans ces rues qui lui ap­por­taient et ré­con­fort, M. Pa­muk ren­tra au mi­lieu de la et s’assit à sa table pour res­ti­tuer quelque chose de leur at­mo­sphère et de leur . Le len­de­main, il an­nonça à sa qu’il se­rait écri­vain.

  1. «Lettre à Louis Bouil­het du 14.XI.1850». Icône Haut
  2. «Is­tan­bul», p. 68-69. Icône Haut
  1. id. p. 54-55. Icône Haut

« Koltsov (1809-1842) »

dans « La Littérature russe : notices et extraits des principaux auteurs depuis les origines jusqu’à nos jours » (XIXᵉ siècle)

dans «La  : no­tices et ex­traits des prin­ci­paux au­teurs de­puis les jusqu’à nos jours» (XIXe siècle)

Il s’agit du «Fau­cheur» («Kos­sar» 1) et autres poèmes d’ 2, poète (XIXe siècle). Son père était mar­chand de bœufs; et sa mère, is­sue d’une qui se li­vrait au même né­goce, était illet­trée. Né au plein cœur de la steppe, qui lui ser­vit de pre­mière école, en même que de confi­dente des mou­ve­ments les plus in­times de son cœur, le fu­tur poète fut élevé à la , sans sur­veillance, jouant avec les ga­mins des rues et bar­bo­tant à son aise dans la boue. C’est bien à lui qu’on ap­pli­quera cette de La Bruyère : «L’on voit cer­tains fa­rouches, ré­pan­dus par la cam­pagne, , li­vides et tout brû­lés du , at­ta­chés à la qu’ils fouillent et qu’ils re­muent avec une opi­niâ­treté in­vin­cible; ils ont comme une ar­ti­cu­lée, et quand ils se lèvent sur leurs pieds, ils montrent une face hu­maine; et en ef­fet, ils sont des hommes». Il avait déjà neuf ans lorsqu’on son­gea à l’envoyer à l’école. Il n’y resta même pas un an et demi. Dès qu’il sut écrire et comp­ter, son père le prit à la mai­son pour éco­no­mi­ser le trai­te­ment d’un com­mis. Le pe­tit Alexis connais­sait à peine l’orthographe et il resta pour tou­jours brouillé avec elle, ainsi qu’avec la ponc­tua­tion et par­fois même avec la . Mais la lec­ture était sa pas­sion, et le peu d’argent qu’on lui don­nait pour des frian­dises, il le consa­crait à ache­ter les vo­lumes des «Mille et une Nuits». Il avait quinze ans lorsqu’un ami, fau­ché par une pré­ma­tu­rée, eut l’idée de lui lé­guer toute sa bi­blio­thèque : soixante-dix vo­lumes. Quel tré­sor! Mais son père ne lui lais­sait guère le temps d’en jouir. Il fal­lait sans cesse l’accompagner dans les ba­zars pour ache­ter des bes­tiaux qu’ils en­grais­saient sur la steppe et qu’ils re­ven­daient à l’une des nom­breuses fon­de­ries de suif. «Je suis en­chaîné par ma si­tua­tion», dit Kolt­sov 3. «Mau­dit mé­tier! Que suis-je? Un sans , sans pa­role, sans rien. Une la­men­table créa­ture, un mi­sé­rable être qui n’est bon qu’à traî­ner de l’ et du bois, un mer­canti, un grippe-sou, un , un Tzi­gane, une ca­naille, voilà ce que je dois être.»

  1. En russe «Косарь». Icône Haut
  2. En russe Алексей Васильевич Кольцов. Par­fois trans­crit Alek­sej Vasil’evič Kol’cov, Alexei Was­sil­je­witsch Kol­zow, Alexis-Vas­si­lie­vitsch Kolt­zof, Alexis Vas­si­lié­vitch Kolt­zov ou Alek­sey Va­si­lye­vitch Kolt­soff. Icône Haut
  1. «Un Poète russe : Alexis Kolt­sov», p. 551. Icône Haut

Sepehri, « Histoires de lune, d’eau et de vent : poèmes »

éd. Maelström réévolution, Bruxelles

éd. Mael­ström ré, Bruxelles

Il s’agit d’une de M.  1, ar­tiste in­égalé de l’ mo­derne. Peintre et poète à la fois, il est tout aussi im­pré­gné de dans sa , qu’il est peintre dans ses élans poé­tiques. Son trait dis­tinc­tif est un sens spé­cial de la , qui voit l’ dans le de­hors et le de­hors dans l’âme et qui ex­prime l’un par l’autre les deux mondes ou­verts de­vant lui. Là est la de cette , par la­quelle M. Se­pehri re­pré­sente une idée sous l’ d’une li­bel­lule, d’un peu­plier aux feuilles mur­mu­rantes, d’une al­lée boi­sée, etc., propre à la rendre plus sen­sible et plus frap­pante que si elle était pré­sen­tée di­rec­te­ment. En ef­fet, la poé­sie de M. Se­pehri n’est autre chose qu’un , un al­lé­go­risme conti­nuel, ana­logue au songe d’un en­fant :

«“Où est la de­meure de l’Ami?”
C’est à l’aurore que re­ten­tit la du ca­va­lier…
Mon­trant du doigt un peu­plier blanc, [un pas­sant ré­pon­dit] :
“Pas loin de cet arbre se trouve une ruelle boi­sée
Plus verte que le songe de
Où l’ est tout aussi que
Le plu­mage de la sin­cé­rité.
Tu iras jusqu’au fond de cette al­lée…
Au pied de la fon­taine d’où jaillissent les mythes de la
Dans l’intimité on­du­lante de cet
Tu en­ten­dras un cer­tain bruis­se­ment :
Tu ver­ras un en­fant per­ché au-des­sus d’un pin ef­filé,
Dé­si­reux de ra­vir la cou­vée du nid de la lu­mière
Et tu lui de­man­de­ras :
— Où est la de­meure de l’Ami?”
»

  1. En سهراب سپهری. Icône Haut

Hugo, « Les Chants du crépuscule • Les Voix intérieures • Les Rayons et les Ombres »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit des «Rayons et les Ombres» et autres œuvres de (XIXe siècle). Il faut re­con­naître que Hugo est non seule­ment le pre­mier en rang des de fran­çaise, de­puis que cette langue a été fixée; mais le seul qui ait un vrai­ment à ce titre d’écrivain dans sa pleine ac­cep­tion. Toutes les ca­té­go­ries de l’ lit­té­raire se trouvent en lui dé­jouées. La qui vou­drait dé­mê­ler cette ti­ta­nique, stu­pé­fiante, te­nant quelque chose de la di­vi­nité, est en pré­sence du pro­blème le plus in­so­luble. Fut-il poète, ro­man­cier ou pen­seur? Fut-il spi­ri­tua­liste ou réa­liste? Il fut tout cela et plus en­core. Nou­veau Qui­chotte, cet est allé por­ter ses pas sur tous les che­mins de l’esprit, mon­ter sur toutes les bar­ri­cades qu’il ren­con­trait, sou­tien des faibles et pour­fen­deur des ty­rans, son­neur de clai­rons et amant de la vio­lette; si bien qu’aucune des fa­milles qui se par­tagent l’espèce hu­maine au et au mo­ral ne peut se l’attribuer en­tiè­re­ment. Tan­tôt égal à la , com­paré à la mon­tagne, rap­pro­ché du , as­si­milé à l’ouragan, tan­tôt phi­lo­sophe, re­dres­seur des abus du siècle, pro­fes­seur d’histoire et guide , tan­tôt chargé d’apitoyer le sur la femme, de le mettre à ge­noux de­vant le vieillard pour le vé­né­rer et de­vant l’enfant pour le conso­ler, il fut je ne sais quel suc­cé­dané de la . Avec sa , c’est un monde cy­clo­péen d’idées et d’impressions qui est parti, un conti­nent de gra­nit qui s’est dé­ta­ché et a roulé avec fra­cas au fond des abîmes. «Qui pour­rait dire : “J’aime ceci ou cela dans Hugo”?», dit Édouard Dru­mont 1. «Comme l’océan, comme la mon­tagne, comme la fo­rêt, ce éveille l’idée de l’. Ce qu’on aime dans l’océan, ce n’est point une vague, ce sont des vagues in­ces­sam­ment re­nou­ve­lées; ce qu’on aime dans la fo­rêt, ce n’est point un arbre ou une feuille, ce sont ces mil­liers d’ et ces mil­liers de feuilles qui confondent leur ver­dure et leur bruit.»

  1. «Vic­tor Hugo de­vant l’opinion», p. 104. Icône Haut