Il s’agit des « Natchez » de François René de Chateaubriand, auteur et politique français, père du romantisme chrétien. Le mal, le grand mal de Chateaubriand fut d’être né entre deux siècles, « comme au confluent de deux fleuves » 1, et de voir les caractères opposés de ces deux siècles se rencontrer dans ses opinions. Sorti des entrailles de l’ancienne monarchie, de l’ancienne aristocratie, il se plaça contre la Révolution française, dès qu’il la vit dans ses premières violences, et il resta royaliste, souvent contre son instinct. Car au fond de lui-même, il était de la race, de la famille de Napoléon Bonaparte. Même fougue, même éclat, même mélancolie moderne. Si les Bourbons avaient mieux apprécié Chateaubriand, il est possible qu’il eût été moins vulnérable au souvenir de l’Empereur devenu resplendissant comme un « large soleil ». Le parallèle qu’il fait dans ses « Mémoires d’outre-tombe » entre l’Empire et la monarchie bourbonienne, pour cruel qu’il soit, est l’expression sincère de la conception de l’auteur, tellement plus vraie que celle du politique : « Retomber de Bonaparte et de l’Empire à ce qui les a suivis, c’est tomber de la réalité dans le néant ; du sommet d’une montagne dans un gouffre. Tout n’est-il pas terminé avec Napoléon ?… Comment nommer Louis XVIII en place de l’Empereur ? Je rougis en [y] pensant ». Triste jusqu’au désespoir, sans amis et sans espérance, il était obsédé par un passé à jamais évanoui et tombé dans le néant. « Je n’ai plus qu’à m’asseoir sur des ruines et à mépriser cette vie », écrivait-il 2 en songeant qu’il était lui-même une ruine encore plus chancelante. Aucune pensée ne venait le consoler excepté la religion chrétienne, à laquelle il était revenu avec chaleur et avec véhémence. Sa mère et sa sœur avaient eu la plus grande part à cette conversion : « Ma mère, après avoir été jetée à soixante-douze ans dans des cachots où elle vit périr une partie de ses enfants, expira enfin sur un grabat, où ses malheurs l’avaient reléguée. Le souvenir de mes égarements [le scepticisme de mon “Essai sur les Révolutions”] répandit sur ses derniers jours une grande amertume ; elle chargea, en mourant, une de mes sœurs de me rappeler à cette religion dans laquelle j’avais été élevé. Ma sœur me manda le dernier vœu de ma mère. Quand la lettre me parvint au-delà des mers, ma sœur elle-même n’existait plus ; elle était morte aussi des suites de son emprisonnement. Ces deux voix sorties du tombeau, cette mort qui servait d’interprète à la mort, m’ont frappé ; je suis devenu chrétien »
Très bons ouvrages
Chateaubriand, « Les Natchez. Tome I »
Il s’agit des « Natchez » de François René de Chateaubriand, auteur et politique français, père du romantisme chrétien. Le mal, le grand mal de Chateaubriand fut d’être né entre deux siècles, « comme au confluent de deux fleuves » 1, et de voir les caractères opposés de ces deux siècles se rencontrer dans ses opinions. Sorti des entrailles de l’ancienne monarchie, de l’ancienne aristocratie, il se plaça contre la Révolution française, dès qu’il la vit dans ses premières violences, et il resta royaliste, souvent contre son instinct. Car au fond de lui-même, il était de la race, de la famille de Napoléon Bonaparte. Même fougue, même éclat, même mélancolie moderne. Si les Bourbons avaient mieux apprécié Chateaubriand, il est possible qu’il eût été moins vulnérable au souvenir de l’Empereur devenu resplendissant comme un « large soleil ». Le parallèle qu’il fait dans ses « Mémoires d’outre-tombe » entre l’Empire et la monarchie bourbonienne, pour cruel qu’il soit, est l’expression sincère de la conception de l’auteur, tellement plus vraie que celle du politique : « Retomber de Bonaparte et de l’Empire à ce qui les a suivis, c’est tomber de la réalité dans le néant ; du sommet d’une montagne dans un gouffre. Tout n’est-il pas terminé avec Napoléon ?… Comment nommer Louis XVIII en place de l’Empereur ? Je rougis en [y] pensant ». Triste jusqu’au désespoir, sans amis et sans espérance, il était obsédé par un passé à jamais évanoui et tombé dans le néant. « Je n’ai plus qu’à m’asseoir sur des ruines et à mépriser cette vie », écrivait-il 2 en songeant qu’il était lui-même une ruine encore plus chancelante. Aucune pensée ne venait le consoler excepté la religion chrétienne, à laquelle il était revenu avec chaleur et avec véhémence. Sa mère et sa sœur avaient eu la plus grande part à cette conversion : « Ma mère, après avoir été jetée à soixante-douze ans dans des cachots où elle vit périr une partie de ses enfants, expira enfin sur un grabat, où ses malheurs l’avaient reléguée. Le souvenir de mes égarements [le scepticisme de mon “Essai sur les Révolutions”] répandit sur ses derniers jours une grande amertume ; elle chargea, en mourant, une de mes sœurs de me rappeler à cette religion dans laquelle j’avais été élevé. Ma sœur me manda le dernier vœu de ma mère. Quand la lettre me parvint au-delà des mers, ma sœur elle-même n’existait plus ; elle était morte aussi des suites de son emprisonnement. Ces deux voix sorties du tombeau, cette mort qui servait d’interprète à la mort, m’ont frappé ; je suis devenu chrétien »
Chateaubriand, « Atala • René • Les Aventures du dernier Abencérage »
Il s’agit d’« Atala » et autres œuvres de François René de Chateaubriand, auteur et politique français, père du romantisme chrétien. Le mal, le grand mal de Chateaubriand fut d’être né entre deux siècles, « comme au confluent de deux fleuves » 1, et de voir les caractères opposés de ces deux siècles se rencontrer dans ses opinions. Sorti des entrailles de l’ancienne monarchie, de l’ancienne aristocratie, il se plaça contre la Révolution française, dès qu’il la vit dans ses premières violences, et il resta royaliste, souvent contre son instinct. Car au fond de lui-même, il était de la race, de la famille de Napoléon Bonaparte. Même fougue, même éclat, même mélancolie moderne. Si les Bourbons avaient mieux apprécié Chateaubriand, il est possible qu’il eût été moins vulnérable au souvenir de l’Empereur devenu resplendissant comme un « large soleil ». Le parallèle qu’il fait dans ses « Mémoires d’outre-tombe » entre l’Empire et la monarchie bourbonienne, pour cruel qu’il soit, est l’expression sincère de la conception de l’auteur, tellement plus vraie que celle du politique : « Retomber de Bonaparte et de l’Empire à ce qui les a suivis, c’est tomber de la réalité dans le néant ; du sommet d’une montagne dans un gouffre. Tout n’est-il pas terminé avec Napoléon ?… Comment nommer Louis XVIII en place de l’Empereur ? Je rougis en [y] pensant ». Triste jusqu’au désespoir, sans amis et sans espérance, il était obsédé par un passé à jamais évanoui et tombé dans le néant. « Je n’ai plus qu’à m’asseoir sur des ruines et à mépriser cette vie », écrivait-il 2 en songeant qu’il était lui-même une ruine encore plus chancelante. Aucune pensée ne venait le consoler excepté la religion chrétienne, à laquelle il était revenu avec chaleur et avec véhémence. Sa mère et sa sœur avaient eu la plus grande part à cette conversion : « Ma mère, après avoir été jetée à soixante-douze ans dans des cachots où elle vit périr une partie de ses enfants, expira enfin sur un grabat, où ses malheurs l’avaient reléguée. Le souvenir de mes égarements [le scepticisme de mon “Essai sur les Révolutions”] répandit sur ses derniers jours une grande amertume ; elle chargea, en mourant, une de mes sœurs de me rappeler à cette religion dans laquelle j’avais été élevé. Ma sœur me manda le dernier vœu de ma mère. Quand la lettre me parvint au-delà des mers, ma sœur elle-même n’existait plus ; elle était morte aussi des suites de son emprisonnement. Ces deux voix sorties du tombeau, cette mort qui servait d’interprète à la mort, m’ont frappé ; je suis devenu chrétien »
Yamamoto, « Barberousse : roman »
Il s’agit de « L’Étrange Histoire du dispensaire de Barberousse » (« Akahige shinryôtan » 1) de M. Satomu Shimizu 2, romancier japonais, plus connu sous le surnom de Shûgorô Yamamoto 3. M. Shimizu naquit en 1903. Faute de moyens financiers, il abandonna ses études secondaires et entra en tant que commis dans une librairie de Tôkyô, dont le patron le prit en affection et lui permit d’étudier chaque soir. Mais le grand tremblement de terre de 1923 contraignit la librairie à fermer ses portes. Après un séjour à Ôsaka, où il fit ses débuts dans un journal local, M. Shimizu regagna Tôkyô et décida de se consacrer à l’écriture. Une nouvelle inspirée de son séjour et intitulée « Au bord du temple de Suma » (« Sumadera fukin » 4) marqua son entrée dans le monde littéraire. Une faute de l’éditeur attribua pourtant cette nouvelle à Shûgorô Yamamoto, le défunt patron de la librairie, que M. Shimizu considérait comme son père spirituel. L’écrivain gardera désormais ce surnom. À la manière d’Émile Zola, M. Shimizu savait remuer longuement et tristement tous les dessous de la société humaine ; ramasser des têtes éparses en une masse formidable ; mettre la foule en mouvement : « Il s’attarde aux bas-fonds de la bête humaine, au jeu des forces du sang et des nerfs en ce qu’elles ont de plus insultant pour l’orgueil humain. Il fouille et étale les laideurs secrètes de la chair et ses malfaisances… Il y a dans presque tous ses romans, autour des protagonistes, une quantité de personnages secondaires, un “servum pecus” 5 qui souvent marche en bande, qui fait le fond de la scène et qui s’en détache et prend la parole par intervalles, à la façon du chœur antique » 6. Ce sont, dans « L’Étrange Histoire du dispensaire de Barberousse », le chœur des malades et celui des laissés pour compte ; dans « Le Quartier sans saisons » (« Kisetsu no nai machi » 7), le chœur des misérables et celui des sans-le-sou ; dans « Le Sapin, seul, est resté » (« Momi no ki wa nokotta » 8), le chœur des chefs provinciaux intimidés par le shôgun ; dans le « Conte du bateau de pêche bleu » (« Aobeka monogatari » 9), le chœur des pêcheurs. Par eux, les figures du premier plan se trouvent mêlées à une large portion d’humanité ; et comme cette humanité est mêlée elle-même à la vie des choses, il se dégage de ces vastes ensembles une impression de fourmilière immense, profonde, grouillant dans l’ombre ou, au contraire, pétillant au soleil, déroulant des vies qui se suivent sans fin.
- En japonais « 赤ひげ診療譚 ».
- En japonais 清水三十六.
- En japonais 山本周五郎.
- En japonais « 須磨寺附近 », inédit en français.
- Un « troupeau servile ».
« Notice sur le poète persan Enveri, suivie d’un extrait de ses “Odes” »
Il s’agit d’une traduction partielle des « Odes » d’Anvari 1, poète de langue persane, également connu sous le nom d’Anvari Abivardi 2, car il naquit près d’Abivard, dans l’actuel Turkménistan (XIIe siècle apr. J.-C.). Ce fut le poète le plus brillant de la Cour du sultan Ahmad Sanjar. Le style de ses compositions est assez difficile, et certaines de ses « Odes » ont besoin d’un commentaire pour être comprises. L’ode, cependant, est le genre où Anvari est regardé comme supérieur à tous les autres poètes persans, comme en témoigne ce distique : « Parmi les poètes, trois sont prophètes, en dépit de la parole de Mahomet : “Plus de prophète après moi !” ; dans l’épopée Firdousi, dans le ghazel Saadi, dans l’ode Anvari » 3. On sait peu de chose sur sa vie, sauf les circonstances dans lesquelles il devint le poète officiel du sultan. Les voici, d’ailleurs. Moezzi, qui le précéda dans ce poste, jouissait d’une telle mémoire qu’il lui suffisait d’entendre une ode une fois pour la retenir par cœur. Aussi, chaque fois qu’un poète récitait une ode devant le sultan Ahmad Sanjar, lorsque la pièce arrivait à sa fin, plaisait-elle à ce monarque, Moezzi ne manquait pas de s’écrier : « Il y a beau temps que j’ai composé cette poésie ; d’ailleurs, elle est encore dans ma mémoire » 4, et il la récitait du premier au dernier vers. Les poètes prétendants étaient plongés dans la stupéfaction, ne sachant par quel moyen présenter au sultan Ahmad Sanjar des vers dont ce monarque fût persuadé que Moezzi n’était pas l’auteur. Anvari trouva le stratagème suivant : il revêtit des habits tout râpés et orna sa tête d’une aigrette extraordinaire, puis se rendit avec un air de folie chez Moezzi. « Je suis poète », lui dit-il, « et j’ai composé quelques vers en l’honneur du sultan ; j’attends de vous que vous les lui déclamiez et que vous receviez pour mon compte un cadeau sérieux. — Récite-les-moi », répondit Moezzi. Anvari commença en ces termes : « Vive le roi, vive le roi, vive le roi ! Vive l’émir, vive l’émir, vive l’émir ! », et il continua à débiter d’autres balivernes de la même force. Moezzi se figura avoir affaire à un bouffon et lui dit : « Demain matin, trouve-toi à la Cour du sultan : je lui exposerai ta situation, et j’obtiendrai qu’il t’attache à son service ». Le lendemain, Anvari s’habilla avec convenance, se coiffa d’un turban élégant et entra dans le palais. Pris de court, Moezzi ne put que dire : « Déclame-nous l’ode que tu as composée en l’honneur du sultan ». Aussitôt, Anvari récita le début d’une ode pleine de comparaisons audacieuses et de louanges superbes
- En persan انوری. Autrefois transcrit Enweri, Envery, Enveri, Enverri, Anveri, Anvery, Anweri, Anwery, Anouary, Anwary ou Anwarī.
- En persan انوری ابیوردی.
« Les Dix-neuf Poèmes anciens »
Il s’agit des « Dix-neuf Poèmes anciens » 1 (« Gushi shijiu shou » 2), ensemble de dix-neuf poèmes chinois, tous anonymes, qui tirent leur beauté des images douces et symboliques et de l’expression toute personnelle de leur mélancolie. Très peu connus en Occident, ils datent probablement du déclin de la dynastie des Han (IIe siècle apr. J.-C.), qui fut marqué par de graves troubles politiques, et l’emprise du confucianisme se relâchant, par une émancipation de la poésie qui s’intéressa non plus aux choses, mais aux sentiments intimes. Pour la première fois en Chine, les « Dix-neuf Poèmes anciens » évoquèrent — certes sur un ton populaire, mais avec art tout de même, et un art qui a ses titres de noblesse — l’amertume de l’échec, la nostalgie de l’amour idéal, le sentiment douloureux de la fragilité humaine, la hantise du temps qui passe et de la mort : « Selon une brillante étude du professeur Yoshikawa 3, l’idée que l’homme est le jouet d’un destin incompréhensible et capricieux ne se développe en Chine que sous les Han. Bien qu’en réalité [cette] idée apparaisse déjà dans le “Shi Jing” et dans les “Élégies de Chu”… les personnages du “Shi Jing” croient en général à la justice du ciel, et ceux des “Élégies de Chu” accusent plutôt les hommes que le hasard de leurs malheurs. Il semble donc que la désolation silencieuse des “Dix-neuf Poèmes anciens” soit bien l’indice d’un pessimisme nouveau », explique M. Jean-Pierre Diény
- Autrefois traduit « Les Dix-Neuf Poèmes des temps très reculés ».
- En chinois « 古詩十九首 ». Autrefois transcrit « Kou che che kieou cheou » ou « Ku-shih shih-chiu shou ».
- Kôjirô Yoshikawa, « 推移の悲哀ー古詩十九首の主題 » (« La Tristesse de l’impermanence — le thème principal des “Dix-neuf Poèmes anciens” »), inédit en français.
Gorgâni, « Le Roman de “Wîs et Râmîn” »
éd. Les Belles Lettres, coll. UNESCO d’œuvres représentatives-Traduction de textes persans, Paris
Il s’agit du « Wîs et Râmîn » 1 de Fakhr-od-Dîn As’ad Gorgâni 2. Gorgâni est le créateur du roman courtois en langue persane. On doit reconnaître que souvent les préciosités et l’afféterie qui dominent son style l’ont desservi, mais il serait injuste de le confondre avec les auteurs à peu près oubliés. Il a beaucoup de leurs défauts, mais ils n’ont aucune de ses beautés. Le « Wîs et Râmîn » servit à embellir les œuvres de Nezâmî et de Roûmî. Peut-on douter qu’un homme qui rendit ce service n’eût quelque génie ? « Si tu es Râmîn », dit Roûmî 3, « ne cherche rien d’autre que ta Wîs ! C’est ton “moi” essentiel qui est ta Wîs et ta bien-aimée, et toutes ces choses extérieures ne sont pour toi que calamité. » Voici en quelle occasion Gorgâni composa ce roman qui offre de grandes analogies avec un autre roman que ses versions en diverses langues ont rendu célèbre en Occident : « Tristan et Iseut ». Entre les années 1049 et 1055, Gorgâni se rendit dans la ville d’Ispahan, à la requête d’Abou’l-Fath, gouverneur de cette ville 4. Abou’l-Fath adressa la parole au poète, qui s’en trouva très honoré, et il lui dit : « Reste avec nous cet hiver et ne pense pas au Kouhestân. Au printemps, quand l’univers se rénovera, quand l’atmosphère s’adoucira, tu t’en iras ; je te ferai cadeau du nécessaire, rien ne te manquera ». Un mois après, il lui dit : « Quel est ton avis sur la légende de “Wîs et Râmîn” ? On dit que c’est une fort belle chose ; dans ce pays, tous l’aiment ». Gorgâni répondit : « En effet, c’est une fort jolie légende, colligée par six érudits. Je ne connais pas meilleure histoire ; on dirait un charmant jardin. Mais elle est écrite en langue pehlvi 5, et ceux qui la lisent ne peuvent l’expliquer ; car un chacun ne lit pas bien cette langue, et si même il la lit bien, il n’en comprend pas le sens… Mais si un écrivain capable s’y appliquait, cette histoire serait aussi belle qu’un trésor plein de joyaux, car elle est renommée, possède originalités sans nombre en ses diverses parties ». Ayant entendu ce discours, Abou’l-Fath demanda au poète d’aller écrire cette légende avec la plume de l’éloquence, la faire vivre par son souffle, l’animer de métaphores enchâssées çà et là dans le récit « comme des perles dignes des rois enchâssées dans l’or »
- En persan « ویس و رامین ». Parfois traduit « Veïs et Ramin », « Veïçeh et Ramin », « Wéissé et Ramin », « Weise et Ramin », « Veisse et Ramin », « Viz et Ramin », « Vis et Raminn » ou « Wis et Râmmin ».
- En persan فخرالدین اسعد گرگانی. Parfois transcrit Faḵr al-Din As‘ad Gorgāni, Fachr-uddīn As’ad Dschurdschānī, Fakhr Eddin Essaad Djourdjani, Fakhr-uddin Asad Jurjani, Fakhroddin Asaad Gorgani, Fakhr ad-Din Asad Gurgāni ou Fakhré-aldin-assad Gorgâni.
- « Mathnawî », liv. III, v. 228-229.
- Le même que celui décrit dans le « Safar-nâmeh » : « Le sultan Togrul Beg le Seldjoukide (que Dieu lui fasse miséricorde !) avait établi comme gouverneur à Ispahan, après qu’il s’en fut rendu maître, un homme encore jeune, originaire de Nichapour et qui avait une grande habileté comme secrétaire et comme calligraphe ; son caractère était calme et sa physionomie agréable » (p. 253-254).
- Ancienne langue de l’Iran, formée par le mélange de l’idiome des Perses (peuple aryen) et des Babyloniens (peuple sémitique).
Ayyûqî, « Le Roman de “Varqe et Golšâh” »
dans « Arts asiatiques », vol. 22, p. 1-264
Il s’agit du « Varqe et Golšâh » (« Varqe va Golšâh » 1), le premier roman d’amour persan (XIe siècle apr. J.-C.). Jusqu’à récemment, les orientalistes se demandaient si le « Varqe et Golšâh » avait jamais été mis par écrit, ou s’il avait uniquement existé à l’état de tradition orale ; de l’auteur, ils ignoraient même le nom. Mais la découverte récente d’un manuscrit de l’ouvrage au Palais de Topkapı, à Istanbul, mit fin aux incertitudes et aux doutes. Il s’ouvre par le panégyrique d’un certain sultan Mahmûd, auquel il est dédié :
« Ô Ayyûqî, si tu as quelque intelligence et quelque entendement
Mets-les au service de l’art du panégyrique
Recherche de tout cœur la bienveillance [du] sultan [conquérant]
Chante de toute ton âme la louange de sultan Mahmûd » 2.
Le poète, dont le nom ou le surnom est Ayyûqî 3, ainsi que le montre cet extrait, a mis en vers un récit pour le présenter au souverain. C’est celui de deux jeunes gens nés le même jour et élevés ensemble, qui s’éprennent l’un de l’autre, puis qui sont séparés par des différences de rang et de situation, et réunis après de terribles épreuves. Le poète dit lui-même que « cette histoire étonnante [est] prise des histoires en langue arabe et des livres arabes » ; et en effet, une histoire analogue, mais beaucoup moins développée, est rapportée dans le « Livre des chants » d’Abû al-Faraj. Le style du roman persan est coulant, marqué par les répétitions, émaillé d’expressions d’allure populaire ; c’est probablement la raison de son succès dans les pays turcophones, auquel il doit sa survie. « Une analyse rapide montre qu’Ayyûqî l’a… tissé de thèmes que l’on retrouve ailleurs, par exemple dans le… roman courtois le plus ancien, “Wîs et Râmîn”, composé par Gorgâni vers le milieu du XIe siècle. Les deux romans relatent l’aventure d’adolescents qui s’éprennent d’amour pour avoir été élevés ensemble. Chaque fois, la jeune fille est donnée en mariage à un prince qu’elle n’aime point, pour des raisons de convenance, et se soustrait à l’acte nuptial. On retrouve l’anecdote du souverain à qui on l’a refusée, et qui l’enlève. Celle du jeune amant qui part en quête de l’aimée et parvient au château où elle est retenue », dit M. Assadullah Souren Melikian-Chirvani
Asadî de Ṭoûs, « Le Livre de Gerchâsp : poème persan. Tome II »
éd. P. Geuthner, coll. Publications de l’École nationale des langues orientales vivantes, Paris
Il s’agit du « Livre de Gerchâsp » (« Gerchâsp-nâmè » 1), épopée iranienne (XIe siècle apr. J.-C.). Firdousi n’avait pas épuisé toute la masse de souvenirs qui s’étaient conservés sur la chronologie des rois de l’Iran, sur leurs généalogies, sur leurs expéditions et sur leurs biographies ; son « Livre des rois », parce qu’il touchait vivement et directement un sentiment national, trouva une foule d’imitateurs. Presque tous les héros dont Firdousi avait parlé, ainsi que quelques autres qu’il avait négligés, devinrent les sujets d’épopées secondaires, écrites par on ne sait trop qui et on ne sait trop quand. « La longueur excessive de quelques-uns de ces ouvrages prouve non seulement l’abondance des matériaux qui existaient encore, mais aussi l’intérêt que le peuple y mettait : car ces interminables aventures, racontées sans art et sans grâce, n’auraient trouvé ni lecteurs ni auditeurs, si l’intérêt du fond n’eût pas fait supporter la médiocrité de la forme », dit Jules Mohl 2. « Le Livre de Gerchâsp » d’Asadî de Ṭoûs 3 fut la seule épopée de ce cycle secondaire à se rendre illustre et à faire conserver le nom de son auteur. La supériorité de son art est du côté de la description du tumulte des guerres, de la dévastation, du carnage, des feux de l’incendie. Asadî de Ṭoûs fournit quelques détails sur les motifs qui lui firent entreprendre son poème. Il raconte qu’il cherchait un moyen pour que son nom fût connu, lorsque deux personnages vinrent l’exhorter en lui disant : « Firdousi de Ṭoûs, ce cerveau pur, a rendu justice aux discours élégants. Il a orné le monde en écrivant le “Livre des Rois” ; il a cherché la gloire en composant ce poème. Tu es son compatriote, et de même profession : tu as, dans ton discours, des pensées alertes. Au moyen de ce vieux livre qui est notre compagnon, mets en vers une histoire… ! Par la science, tu créeras ainsi un gai jardin qui ne sera jamais vide de fruits. Le monde ne dure éternellement pour personne ; la meilleure chose à en conserver, c’est la bonne renommée, et c’est assez » 4. Il conçut dès lors l’ambition d’égaler ou de surpasser Firdousi.
- En persan « گرشاسپنامه ». Parfois transcrit « Guerschasp-nameh », « Karšāsp-nāmah », « Garšāsb-nāma » ou « Garshaspnama ».
- « Préface au “Livre des rois. Tome I” », p. LXII.
Asadî de Ṭoûs, « Le Livre de Gerchâsp : poème persan. Tome I »
éd. P. Geuthner, coll. Publications de l’École nationale des langues orientales vivantes, Paris
Il s’agit du « Livre de Gerchâsp » (« Gerchâsp-nâmè » 1), épopée iranienne (XIe siècle apr. J.-C.). Firdousi n’avait pas épuisé toute la masse de souvenirs qui s’étaient conservés sur la chronologie des rois de l’Iran, sur leurs généalogies, sur leurs expéditions et sur leurs biographies ; son « Livre des rois », parce qu’il touchait vivement et directement un sentiment national, trouva une foule d’imitateurs. Presque tous les héros dont Firdousi avait parlé, ainsi que quelques autres qu’il avait négligés, devinrent les sujets d’épopées secondaires, écrites par on ne sait trop qui et on ne sait trop quand. « La longueur excessive de quelques-uns de ces ouvrages prouve non seulement l’abondance des matériaux qui existaient encore, mais aussi l’intérêt que le peuple y mettait : car ces interminables aventures, racontées sans art et sans grâce, n’auraient trouvé ni lecteurs ni auditeurs, si l’intérêt du fond n’eût pas fait supporter la médiocrité de la forme », dit Jules Mohl 2. « Le Livre de Gerchâsp » d’Asadî de Ṭoûs 3 fut la seule épopée de ce cycle secondaire à se rendre illustre et à faire conserver le nom de son auteur. La supériorité de son art est du côté de la description du tumulte des guerres, de la dévastation, du carnage, des feux de l’incendie. Asadî de Ṭoûs fournit quelques détails sur les motifs qui lui firent entreprendre son poème. Il raconte qu’il cherchait un moyen pour que son nom fût connu, lorsque deux personnages vinrent l’exhorter en lui disant : « Firdousi de Ṭoûs, ce cerveau pur, a rendu justice aux discours élégants. Il a orné le monde en écrivant le “Livre des Rois” ; il a cherché la gloire en composant ce poème. Tu es son compatriote, et de même profession : tu as, dans ton discours, des pensées alertes. Au moyen de ce vieux livre qui est notre compagnon, mets en vers une histoire… ! Par la science, tu créeras ainsi un gai jardin qui ne sera jamais vide de fruits. Le monde ne dure éternellement pour personne ; la meilleure chose à en conserver, c’est la bonne renommée, et c’est assez » 4. Il conçut dès lors l’ambition d’égaler ou de surpasser Firdousi.
- En persan « گرشاسپنامه ». Parfois transcrit « Guerschasp-nameh », « Karšāsp-nāmah », « Garšāsb-nāma » ou « Garshaspnama ».
- « Préface au “Livre des rois. Tome I” », p. LXII.
Blaga, « Manole, Maître bâtisseur : drame en cinq actes »
éd. Librairie bleue, coll. Théâtre, Troyes
Il s’agit de « Manole, Maître bâtisseur » (« Meșterul Manole ») de Lucian Blaga, poète, dramaturge et philosophe roumain, dont l’œuvre sublime se résume en un vers : « Je crois que l’éternité est née au village » 1. Né en 1895 au village de Lancrăm, dont le nom, dit-il, rappelle « la sonorité des larmes » (« sunetele lacrimei »), fils d’un prêtre orthodoxe, Blaga fit son entrée à l’Académie roumaine sans prononcer, comme de coutume, l’éloge de son prédécesseur. Son discours de réception fut un éloge du village romain, comme le fut aussi toute son œuvre. Pour l’auteur de « L’Âme du village » (« Sufletul satului »), les paysages campagnards, les chemins de terre et de boue sont « le seuil du monde » (« prag de lume »), le village-idée d’où partent les vastes horizons de la création artistique et poétique. Les regards rêveurs des paysans sondent l’univers, se perdant dans l’infini. L’homme de la ville au contraire vit « dans le fragment, la relativité, le concret mécanique, dans une tristesse constante et dans une superficialité lucide ». Cet éloge de l’âme du village comme creuset, comme âme de la nation est doublé de l’angoisse devant le mystère de ce que Blaga appelle « le Grand Anonyme » (« Marele Anonim »), c’est-à-dire Dieu. Face à cette angoisse-là, la solution qu’il ébauche, en s’inspirant des romantiques allemands, passe par le sacrifice de l’individu en tant qu’individu au profit d’une spiritualité collective, anonyme et spontanée. Puisque les grandes questions du monde restent sans réponse, la sagesse serait de se taire et de se fondre avec la terre dans les sillons de l’éternité :
« Regarde, c’est le soir », dit Blaga 2.
« L’âme du village palpite près de nous
Comme une odeur timide d’herbe coupée,
Comme une chute de fumée des avant-toits de paille… »
- Dans Constantin Ciopraga, « La Personnalité de la littérature roumaine ».
Lu Yu, « Le Classique du thé, “Chajing” »
Il s’agit du « Cha Jing » 1 (« Classique du thé » 2), le plus ancien ouvrage connu sur le thé (VIIIe siècle apr. J.-C.). En Chine, le thé est un produit de consommation constante : c’est le breuvage du pauvre et du riche. Chaque rue compte un certain nombre de maisons de thé où, pour quelques sous, le passant trouve une tasse d’un excellent thé pour reposer ses forces et réveiller ses esprits. Au Japon, la préparation de cette boisson est un prétexte au culte de la pureté et du raffinement, un cérémonial sacré où hôte et invité s’unissent pour réaliser la plus haute communion. Là, l’esprit de l’Extrême-Orient règne sans conteste. « Il ne faut donc jamais offrir de thé à un Japonais, à moins de vouloir ancrer définitivement dans son esprit l’idée que tout Occidental est un barbare », explique un gastronome 3. C’est sous la dynastie des Tang 4 que le thé devint la boisson ordinaire et de première nécessité pour les Chinois. Pendant une trentaine de jours par an, des armées de cueilleuses, jeunes filles pour la plupart, le cueillaient au petit jour et le portaient en chantant. La capitale fastueuse des Tang, Chang’an 5, abritait de grands buveurs, à la fois poètes et musiciens, peintres et calligraphes. L’un d’eux, nommé Lu Yu 6, se fit l’apôtre exclusif du thé, et dans son petit ouvrage, le « Cha Jing », publié en 780 apr. J.-C., il formula l’art de cette boisson qui fait encore référence : en souvenir de quoi les marchands de thé l’honoreront comme leur dieu tutélaire. Le « Cha Jing » traite, en dix chapitres, des origines du thé, des étapes de sa fabrication, des ustensiles et des façons de le boire pour obtenir des effets aussi subtils et aussi délicieux que ceux du vin. Mais l’amateur de belles-lettres ne prêtera de l’intérêt qu’au septième et plus long chapitre, qui est une succession d’anecdotes, de bribes de poèmes mêlant cette boisson à la vie de divers personnages : véritable piège tendu à la curiosité.
- En chinois « 茶經 ». Parfois transcrit « Tcha-Tching », « Ch’a Ching », « Chaking », « Tch’a King » ou « Tch’a Tsing ».
- Parfois traduit « Livre du thé » ou « Le Canon du thé ».
- M. Marin Wagda.
- De l’an 618 à l’an 907.
- Aujourd’hui Xi’an (西安). Autrefois transcrit Tch’ang-ngan.
- En chinois 陸羽. Autrefois transcrit Lou-yu, Lu Jü ou Luwuh. À ne pas confondre avec Lu You, le poète de la dynastie des Song, qui vécut quatre siècles plus tard.
Lu You, « Le Vieil Homme qui n’en fait qu’à sa guise : poèmes »
Il s’agit de Lu You 1, un des poètes chinois les plus féconds (XIIe siècle apr. J.-C.). La quantité innombrable des compositions poétiques de Lu You (dix mille de conservées, un nombre égal de perdues) ne manque pas d’étonner, et le sinologue est comme surpris et effrayé quand il voit se déployer devant lui le vaste champ de ces poésies, ne sachant trop quelles limites imposer à son étude ; et surtout, hésitant à faire un choix. Si, dans ce dessein, il se fie au goût des autochtones, c’est-à-dire s’il aborde seulement les poésies regardées comme sublimes par les Chinois, il fera fausse route. Trop souvent, celles-ci ne sont appréciées que pour leurs thèmes patriotiques et leur esprit de résistance, qui serviront de modèles aux « Poésies complètes » d’un Mao Tsé-toung. En vérité, Lu You fut un poète d’une inspiration extrêmement variée. Les fleurs qu’il cueillit furent des plus diverses. Il prit son bien là où il le trouva ; et les proclamations patriotiques de ses débuts ont tendance à s’éclipser, surtout vers la fin de sa vie, devant un éloge des paysages campagnards ou le détachement d’un sage niché au fond des montagnes et forêts : « Son œuvre prolifique tisse la chronique de son quotidien, avec… un penchant inné pour la nature et les joies de la vie campagnarde qui le rapproche de Tao Yuan ming. Sa philosophie de la vie, inspirée par le détachement taoïste, transparaît dans “Adresse à mes visiteurs” : “À l’ombre des mûriers les senteurs de cent herbes / À midi le vent frais le bruit des dévidoirs à soie / Visiteurs, taisez-vous sur les affaires du monde / Et partagez plutôt avec monts et forêts la longue journée d’été” », explique M. Guilhem Fabre 2. Lu You appelait son atelier « le nid aux livres » (« shu chao » 3). Il n’y recevait pas d’invités et n’y accueillait pas son épouse ni ses enfants. Perchés sur les étagères, alignés par devant, couchés pêle-mêle sur son lit, où qu’on portât le regard, on y voyait des livres. Qu’il mangeât, bût, se levât ou s’assît ; qu’il souffrît ou gémît ; qu’il fût triste ou se mît en colère, ce n’était jamais sans un livre. Si d’aventure il songeait à sortir, le désordre inextricable des livres l’enserrait comme des branches entremêlées, et il ne pouvait avancer. Alors, il disait en riant : « N’est-ce pas là ce que j’appelle mon “nid” ? » 4
- En chinois 陸游. Autrefois transcrit Lou Yeou, Lu Yiu ou Lu Yu. À ne pas confondre avec Lu Yu, l’auteur du « Classique du thé », qui vécut quatre siècles plus tôt.
- « Instants éternels : cent et quelques poèmes connus par cœur en Chine » (éd. La Différence, Paris), p. 261.