Il s’agit de la « Confession d’un pécheur » (« Confessio peccatoris ») et des « Mémoires » de François II Rákóczi 1, prince de Hongrie, fervent admirateur et ami de la France à tel point qu’en mourant il voulut que son cœur reposât en terre française (XVIIe-XVIIIe siècle). Rákóczi mérite le titre d’écrivain de langue française ; car c’est dans cette langue qu’il exprima les aspirations séculaires du peuple hongrois : le grand amour de la liberté et le désir de voir la patrie délivrée du joug étranger. Lorsqu’en l’an 1707, la Hongrie, menacée d’une germanisation complète par l’Autriche, se révolta contre les Habsbourg, Rákóczi fut poussé à la lutte à la fois par le fait d’une volonté supérieure et par la sienne propre. Le peuple et, en même temps, le destin dont il avait hérité l’appelaient impérieusement à conduire ce combat qu’il savait pourtant inégal. Il tourna ses regards vers Louis XIV qui lui envoya, outre des secours en argent, d’éminents stratèges et ingénieurs qui donnèrent à la Cour magyare une allure versaillaise. La « Confession » et les « Mémoires » furent écrits en France, où ce prince malheureux vint se réfugier après l’échec de l’indépendance hongroise. Il y séjourna de l’an 1712 à 1717, d’abord comme hôte de Louis XIV, à Versailles, puis comme résident du couvent des camaldules, à Grosbois. Il assista aux représentations des pièces de Racine et Molière, il visita les galeries, il fit la connaissance de Saint-Simon qui dit du couvent des camaldules « que Rákóczi n’y voyait presque personne, vivait très frugalement dans une grande pénitence, au pain et à l’eau une ou deux fois la semaine, et assidu à tous les offices du jour et de la nuit ». Peu d’hommes pleurèrent la mort du Roi-Soleil avec plus de sincérité que Rákóczi. Cette mort marqua, d’ailleurs, la perte de son dernier espoir, et même si, sur l’invitation du Sultan turc, il se rendit à Constantinople pour organiser une armée appelée à recommencer la guerre contre l’Autriche, les circonstances ne lui permirent pas de réaliser son grand rêve, et il mourut dans l’émigration et dans l’obscurité.
Très bons ouvrages
Wang Su, « Les Entretiens familiers de Confucius, “Kong-tze Kia-yu” »
Il s’agit du « Kong-tze Kia-yu » 1 (« Entretiens familiers de Confucius » 2), espèce de supplément aux « Entretiens de Confucius ». Il n’est peut-être pas inutile de rappeler que Confucius, suivant l’usage de son temps, avait toujours à sa suite quelques-uns de ses disciples, même lorsqu’il était admis en présence d’un roi ou d’un prince. C’est au soin que ces disciples ont eu de transmettre par écrit ce qu’ils avaient vu et entendu de la part de leur maître, qu’on est redevable de ce que l’on sait de sa vie privée. Le détail en fut consigné, peu de temps après sa mort, dans le fameux livre des « Entretiens de Confucius ». Mais comme ce livre ne renfermait pas tout, on y suppléa dans la suite en recueillant tout ce qui avait été rejeté des grandes éditions et tout ce qu’on put trouver d’un peu intéressant dans les mémoires des premiers disciples ou leurs descendants. On donna à ce supplément le titre de « Kia-yu ». Ce livre, comme tant d’autres, fut perdu dans l’incendie général des livres chinois ordonné en 213 av. J.-C par Tsin-chi-hoang-ti — acte de barbarie qui mérite une malédiction aussi éternelle que la perte de la bibliothèque d’Alexandrie. L’ordre fut exécuté avec la plus grande cruauté. Les lamentations, les pleurs mêmes que cette destruction arracha à de nombreux lettrés, en firent périr plus de quatre cents dans les flammes et attirèrent sur les autres une proscription impériale. Avec le temps, le « Kia-yu » reparut, mais tronqué, mutilé, presque informe. Ce ne fut que quatre siècles plus tard, vers 240 apr. J.-C., qu’un lettré, Wang Su 3, en reproduisit une partie, tronquée elle-même, et y amalgama d’autres parties, puisées à d’autres sources. « Comment s’opéra cette transformation ? On l’ignore. [Mais] comme le nouveau texte [de Wang Su] était accompagné d’un commentaire, et que l’ancien n’existait probablement qu’en très petit nombre d’exemplaires, le premier eut bientôt supplanté complètement l’autre qui tomba dans l’oubli », explique monseigneur Charles de Harlez 4. Il résulte de là que le « Kia-yu », dans l’état où il se trouve aujourd’hui, n’a pas l’autorité des autres écrits confucéens, bien que le fond en soit bon.
« Wang Wei le Poète »
Il s’agit de Wang Wei 1, artiste chinois (VIIIe siècle apr. J.-C.), aussi illustre en poésie qu’en peinture et musique. La mort de son père le livra de bonne heure et tout entier à l’influence maternelle, qui imprima sur son génie une véritable empreinte bouddhique : c’est en elle qu’il faut voir la source de cet amour de la nature, de ce goût de la méditation, de ce détachement du monde, de cette « pureté détachée » (« qing yi » 2) qui pénètrent le caractère de Wang Wei et forment l’essence même de ses compositions. On peut supposer que c’est aussi sa mère qui le guida dans le choix de son surnom : Mo-jie 3. En effet, ces deux idéogrammes, joints à celui de son prénom Wei, forment le nom chinois du saint Vimalakîrti. Sa vie durant, Wang Wei observa un jeûne rigoureux et s’abstint de viandes. Dans sa chambre dépouillée, hormis un service à thé, un luth et un lit de cordes, on ne voyait qu’une table basse sur laquelle étaient rangées les écritures bouddhiques. On n’a pas raison de douter qu’il avait une bonne connaissance de ces écritures ; mais une froide impression d’immobilisme émane de ses poèmes qui, étant parfaits et sans défaut, cherchant et atteignant leurs effets, sont par là moins humains, moins vivants. Une autre explication de cet immobilisme, c’est l’influence de la peinture et la musique. Le grand lettré Su Dongpo écrivait : « Lorsque je goûte la poésie de Mo-jie, je trouve des peintures dans ses poèmes ; lorsque je contemple la peinture de Mo-jie, je trouve des poèmes dans sa peinture » 4. Un autre critique qualifiait sa poésie de « peinture sonore » (« you sheng hua » 5). On rapporte, comme preuve de son savoir dans ces deux différents arts, l’anecdote suivante : « [Se trouvant] un jour chez une personne qui possédait un tableau représentant des musiciens en train de jouer d’un instrument, Wang Wei regarda le tableau et dit : “C’est la première mesure du troisième refrain de la Danse de la robe d’arc-en-ciel 6”. Les curieux firent venir des musiciens pour jouer cette pièce. Leur pose instrumentale confirma l’affirmation de Wang Wei »
- En chinois 王維. Autrefois transcrit Uang Uei, Wang Wey, Ouang-oey, Ouang Oueï ou Ouan-ouey.
- En chinois 清逸. Autrefois transcrit « ts’ing yi ».
- En chinois 摩詰. Parfois transcrit Mouo Kie, Mo-k’i ou Moji.
- Dans Che Bing Chiu, « Wang Wei, le “Wangchuan ji” (“Recueil du Val de la Jante”) : un poète en sa villégiature ».
- En chinois 有聲畫. Parfois transcrit « yeou-cheng-houa ».
- En chinois 霓裳羽衣曲. Nom d’une mélodie venue d’Asie centrale et entrée en Chine sous les Tang, période où les échanges culturels avec l’Ouest étaient très riches.
Lessing, « Choix des plus belles fables »
Il s’agit des « Fables » (« Fabeln ») de Gotthold Ephraim Lessing, écrivain hostile aux conventions en vogue, aux préjugés de classe, à l’esprit de servilité et de routine, à tout ce qui paralysait le génie allemand (XVIIIe siècle). Sans être le plus grand d’entre les plus grands, celui qui a mérité que Henri Heine dise de lui : « Lessing, de tous les écrivains allemands, est celui que je chéris le plus » 1 a certainement le droit d’être considéré comme l’un des pères de cette Allemagne triomphante où, selon le mot de la baronne de Staël 2, « [même] les écrivains du second et du troisième ordre ont encore des connaissances assez approfondies pour être chefs ailleurs ». Il fut tour à tour philosophe, critique, traducteur, dramaturge, fabuliste, secrétaire d’un général, bibliothécaire d’un duc, ouvrant dans toutes les directions des voies nouvelles, poursuivant partout la vérité. Car Lessing eut une passion pour la vérité. Il la chercha « avec caractère, avec énergique constance », comme dit Gœthe 3, et il eut même plus de joie à la chercher qu’à la trouver, comme le chasseur qui prend plus de plaisir à courir le lièvre qu’à l’attraper. « Si Dieu », dit Lessing 4, « tenait dans sa main droite toutes les vérités et dans sa main gauche l’effort infatigable vers la vérité… et qu’il me disait : “Choisis !”, je m’inclinerais avec désespoir vers sa main gauche, en lui disant : “Père, donne ! La pure vérité n’est que pour toi seul !” » Tel Luther, Lessing fut un émancipateur, qui ne se contentait pas de sa liberté personnelle, mais qui souhaitait également celle de ses lecteurs. Il pensait tout haut devant eux et leur donnait envie de penser. Il estimait qu’ils étaient non moins habiles que lui à gérer leurs opinions et leurs goûts. « La liberté fut l’âme de tous ses ouvrages ; on citerait difficilement une ligne de lui qui ne vise quelque servitude », explique Victor Cherbuliez 5. En religion, il lutta pour l’avènement d’une religion humanitaire et universelle. Il imagina une grande famille humaine, une franc-maçonnerie de tous les croyants unis plutôt dans la pratique de la vertu que dans celle du culte. En littérature, il affranchit son pays de la rigidité, de l’imitation servile. Jusque-là, on n’avait joué sur la scène allemande que des adaptations de pièces françaises, elles-mêmes imitées du grec ; il fit voir le ridicule de cette fausse Antiquité, empruntée de seconde main. Il contribua au contraire à révéler au public les tragédies de Shakespeare, dont le caractère terrible avait infiniment plus de rapport avec celui des Allemands. Il assura que Shakespeare seul pouvait susciter un théâtre original et populaire ; et que, si Shakespeare ignorait Aristote, que Corneille avait si bien étudié, des deux tragédiens c’est Shakespeare qui l’avait le mieux suivi ! Cependant, quels que fussent les paradoxes auxquels Lessing se laissa entraîner par l’ardeur et par les nécessités de la controverse, il sema des vues neuves, des aperçus féconds.
- Heine, « De l’Allemagne. Tome I », p. 204.
- Staël, « De l’Allemagne », part. 3, ch. VII.
- En allemand « durch seinen Charakter, durch sein Festhalten ».
- « Eine Duplik » (« Une Duplique »), inédit en français.
- « Études de littérature et d’art », p. 20.
Lessing, « Ernst et Falk : causeries pour francs-maçons »
éd. Dervy, coll. Petite Bibliothèque de la franc-maçonnerie, Paris
Il s’agit d’« Ernst et Falk : causeries pour francs-maçons » (« Ernst und Falk : Gespräche für Freimaurer ») de Gotthold Ephraim Lessing, écrivain hostile aux conventions en vogue, aux préjugés de classe, à l’esprit de servilité et de routine, à tout ce qui paralysait le génie allemand (XVIIIe siècle). Sans être le plus grand d’entre les plus grands, celui qui a mérité que Henri Heine dise de lui : « Lessing, de tous les écrivains allemands, est celui que je chéris le plus » 1 a certainement le droit d’être considéré comme l’un des pères de cette Allemagne triomphante où, selon le mot de la baronne de Staël 2, « [même] les écrivains du second et du troisième ordre ont encore des connaissances assez approfondies pour être chefs ailleurs ». Il fut tour à tour philosophe, critique, traducteur, dramaturge, fabuliste, secrétaire d’un général, bibliothécaire d’un duc, ouvrant dans toutes les directions des voies nouvelles, poursuivant partout la vérité. Car Lessing eut une passion pour la vérité. Il la chercha « avec caractère, avec énergique constance », comme dit Gœthe 3, et il eut même plus de joie à la chercher qu’à la trouver, comme le chasseur qui prend plus de plaisir à courir le lièvre qu’à l’attraper. « Si Dieu », dit Lessing 4, « tenait dans sa main droite toutes les vérités et dans sa main gauche l’effort infatigable vers la vérité… et qu’il me disait : “Choisis !”, je m’inclinerais avec désespoir vers sa main gauche, en lui disant : “Père, donne ! La pure vérité n’est que pour toi seul !” » Tel Luther, Lessing fut un émancipateur, qui ne se contentait pas de sa liberté personnelle, mais qui souhaitait également celle de ses lecteurs. Il pensait tout haut devant eux et leur donnait envie de penser. Il estimait qu’ils étaient non moins habiles que lui à gérer leurs opinions et leurs goûts. « La liberté fut l’âme de tous ses ouvrages ; on citerait difficilement une ligne de lui qui ne vise quelque servitude », explique Victor Cherbuliez 5. En religion, il lutta pour l’avènement d’une religion humanitaire et universelle. Il imagina une grande famille humaine, une franc-maçonnerie de tous les croyants unis plutôt dans la pratique de la vertu que dans celle du culte. En littérature, il affranchit son pays de la rigidité, de l’imitation servile. Jusque-là, on n’avait joué sur la scène allemande que des adaptations de pièces françaises, elles-mêmes imitées du grec ; il fit voir le ridicule de cette fausse Antiquité, empruntée de seconde main. Il contribua au contraire à révéler au public les tragédies de Shakespeare, dont le caractère terrible avait infiniment plus de rapport avec celui des Allemands. Il assura que Shakespeare seul pouvait susciter un théâtre original et populaire ; et que, si Shakespeare ignorait Aristote, que Corneille avait si bien étudié, des deux tragédiens c’est Shakespeare qui l’avait le mieux suivi ! Cependant, quels que fussent les paradoxes auxquels Lessing se laissa entraîner par l’ardeur et par les nécessités de la controverse, il sema des vues neuves, des aperçus féconds.
- Heine, « De l’Allemagne. Tome I », p. 204.
- Staël, « De l’Allemagne », part. 3, ch. VII.
- En allemand « durch seinen Charakter, durch sein Festhalten ».
- « Eine Duplik » (« Une Duplique »), inédit en français.
- « Études de littérature et d’art », p. 20.
Mikes, « Lettres de Turquie »
éd. H. Champion, coll. Bibliothèque d’études de l’Europe centrale-Série Littérature, Paris
Il s’agit des « Lettres de Turquie » (« Törökországi levelek ») de Clément Mikes 1, épistolier hongrois des Lumières. Né à Zagon, dans l’actuelle Roumanie, élève des jésuites, Mikes entra à l’âge de dix-sept ans au service du prince François II Rákóczi. Il gravit rapidement les échelons, aimant son maître au point qu’après l’échec de la guerre d’indépendance menée contre les Habsbourg, il l’accompagna dans son exil en Pologne, en France, en Bulgarie, mais surtout en Turquie. Pour divertir les ennuis de ses lointains séjours, il adressa à une tante qu’on n’a pu identifier, et qui est sans doute imaginaire, une série de « Lettres de Turquie ». Les détails sur l’insurrection de Rákóczi, le tableau de la vie des émigrés hongrois, les coutumes et mœurs des Empires de son temps — tout cela mêlé avec ses propres pensées, sa résignation stoïque, en même temps que sa douloureuse attente d’un retour dans ses foyers, fait de Mikes un des virtuoses de la prose hongroise du XVIIIe siècle. On trouve combiné dans son œuvre l’art épistolaire d’une Sévigné (dont il était le lecteur assidu) avec la manière quelque peu sèche des mémoires, chère aux Hongrois. « Comme la lettre est fictive… elle offre à l’auteur — beaucoup plus que le conte, le sermon, le roman, ou même les mémoires — un champ illimité à l’expression de ses idées et de ses sentiments, à une sincérité presque absolue. Le fait que l’auteur vit en émigration multiplie les possibilités de la forme épistolaire et crée une sorte de tension à la fois authentique et tragique entre l’auteur et la destinataire, celle-ci n’étant pas “la comtesse E. P.”, mais bien la patrie que Mikes voudrait tant revoir, mais qui lui restera à tout jamais inaccessible », dit M. István Nemeskürty 2. Outre ses « Lettres », on possède de Mikes des traductions d’ouvrages de piété français, avec le sous-titre : « En terre étrangère, d’une langue étrangère ».
- « Histoire de la littérature hongroise », p. 100.
« Le “Kojiki”, Chronique des choses anciennes »
Il s’agit du « Kojiki » 1 (« Chronique des choses anciennes »), le plus vieux monument de la littérature japonaise. « [C’est] une épopée confuse, une espèce de recueil de folklore et de traditions, contenant vraisemblablement, au milieu d’une cosmogonie naïve et embrouillée, quelques parcelles de vérité historique », dit Paul Claudel 2. Projeté dès le VIIe siècle et mené à terme au VIIIe siècle apr. J.-C., le « Kojiki » est l’ouvrage qui décrit le mieux la religion indigène du Japon ; car le désir de mettre en avant le passé national, qui a présidé à sa rédaction, fait peu de place à l’arrivée du bouddhisme et du confucianisme. On peut donc le considérer comme le livre canonique de la religion shintô, en même temps que l’épopée d’une nation insulaire qui a toujours aimé à se rappeler ses origines. Les faits et gestes mythiques des dieux s’y mêlent à l’histoire réelle des premiers Empereurs, souvent remaniée dans le dessein de raffermir l’autorité du trône impérial et de professer la doctrine du droit divin. Parmi toutes les croyances que l’on découvre en lisant le « Kojiki », la plus significative est la vénération envers les « kamis » 3, qui sont les différentes divinités du ciel et de la terre qu’on trouve dans le shintoïsme. Non seulement des êtres humains, mais aussi des cerfs et des loups, des lacs et des montagnes — tout ce qui sort de l’ordinaire et qui est supérieur, tout ce qui nous inspire l’émerveillement s’appelle « kami » : le soleil, par exemple, en tant que source de vie, personnifié par Grande-Auguste-Kami-Illuminant-le-Ciel ; ou les arbres, souvent ceux de grande taille ou d’une forme particulière, qui sont doublement sacrés en tant que « kamis » et en tant que lieux de résidence pour les « kamis ». « Rien de plus nettement océanien et de plus étranger à l’esprit moralisateur et pédantesque des Chinois », dit Paul Claudel 4. « Dès ce moment, s’affirme l’originalité profonde de cet esprit et de cet art japonais qu’on a si sottement contestée. »
- En japonais « 古事記 ».
- « Extrême-Orient. Tome II », p. 396.
Lessing, « Du Laocoon, ou Des limites respectives de la poésie et de la peinture »
Il s’agit du « Laocoon, ou Des limites respectives de la poésie et de la peinture » (« Laokoon, oder Über die Grenzen der Malerei und Poesie ») de Gotthold Ephraim Lessing, écrivain hostile aux conventions en vogue, aux préjugés de classe, à l’esprit de servilité et de routine, à tout ce qui paralysait le génie allemand (XVIIIe siècle). Sans être le plus grand d’entre les plus grands, celui qui a mérité que Henri Heine dise de lui : « Lessing, de tous les écrivains allemands, est celui que je chéris le plus » 1 a certainement le droit d’être considéré comme l’un des pères de cette Allemagne triomphante où, selon le mot de la baronne de Staël 2, « [même] les écrivains du second et du troisième ordre ont encore des connaissances assez approfondies pour être chefs ailleurs ». Il fut tour à tour philosophe, critique, traducteur, dramaturge, fabuliste, secrétaire d’un général, bibliothécaire d’un duc, ouvrant dans toutes les directions des voies nouvelles, poursuivant partout la vérité. Car Lessing eut une passion pour la vérité. Il la chercha « avec caractère, avec énergique constance », comme dit Gœthe 3, et il eut même plus de joie à la chercher qu’à la trouver, comme le chasseur qui prend plus de plaisir à courir le lièvre qu’à l’attraper. « Si Dieu », dit Lessing 4, « tenait dans sa main droite toutes les vérités et dans sa main gauche l’effort infatigable vers la vérité… et qu’il me disait : “Choisis !”, je m’inclinerais avec désespoir vers sa main gauche, en lui disant : “Père, donne ! La pure vérité n’est que pour toi seul !” » Tel Luther, Lessing fut un émancipateur, qui ne se contentait pas de sa liberté personnelle, mais qui souhaitait également celle de ses lecteurs. Il pensait tout haut devant eux et leur donnait envie de penser. Il estimait qu’ils étaient non moins habiles que lui à gérer leurs opinions et leurs goûts. « La liberté fut l’âme de tous ses ouvrages ; on citerait difficilement une ligne de lui qui ne vise quelque servitude », explique Victor Cherbuliez 5. En religion, il lutta pour l’avènement d’une religion humanitaire et universelle. Il imagina une grande famille humaine, une franc-maçonnerie de tous les croyants unis plutôt dans la pratique de la vertu que dans celle du culte. En littérature, il affranchit son pays de la rigidité, de l’imitation servile. Jusque-là, on n’avait joué sur la scène allemande que des adaptations de pièces françaises, elles-mêmes imitées du grec ; il fit voir le ridicule de cette fausse Antiquité, empruntée de seconde main. Il contribua au contraire à révéler au public les tragédies de Shakespeare, dont le caractère terrible avait infiniment plus de rapport avec celui des Allemands. Il assura que Shakespeare seul pouvait susciter un théâtre original et populaire ; et que, si Shakespeare ignorait Aristote, que Corneille avait si bien étudié, des deux tragédiens c’est Shakespeare qui l’avait le mieux suivi ! Cependant, quels que fussent les paradoxes auxquels Lessing se laissa entraîner par l’ardeur et par les nécessités de la controverse, il sema des vues neuves, des aperçus féconds.
- Heine, « De l’Allemagne. Tome I », p. 204.
- Staël, « De l’Allemagne », part. 3, ch. VII.
- En allemand « durch seinen Charakter, durch sein Festhalten ».
- « Eine Duplik » (« Une Duplique »), inédit en français.
- « Études de littérature et d’art », p. 20.
Lessing, « Théâtre complet. Tome I »
Il s’agit de « Nathan le Sage » (« Nathan der Weise ») et autres pièces de théâtre de Gotthold Ephraim Lessing, écrivain hostile aux conventions en vogue, aux préjugés de classe, à l’esprit de servilité et de routine, à tout ce qui paralysait le génie allemand (XVIIIe siècle). Sans être le plus grand d’entre les plus grands, celui qui a mérité que Henri Heine dise de lui : « Lessing, de tous les écrivains allemands, est celui que je chéris le plus » 1 a certainement le droit d’être considéré comme l’un des pères de cette Allemagne triomphante où, selon le mot de la baronne de Staël 2, « [même] les écrivains du second et du troisième ordre ont encore des connaissances assez approfondies pour être chefs ailleurs ». Il fut tour à tour philosophe, critique, traducteur, dramaturge, fabuliste, secrétaire d’un général, bibliothécaire d’un duc, ouvrant dans toutes les directions des voies nouvelles, poursuivant partout la vérité. Car Lessing eut une passion pour la vérité. Il la chercha « avec caractère, avec énergique constance », comme dit Gœthe 3, et il eut même plus de joie à la chercher qu’à la trouver, comme le chasseur qui prend plus de plaisir à courir le lièvre qu’à l’attraper. « Si Dieu », dit Lessing 4, « tenait dans sa main droite toutes les vérités et dans sa main gauche l’effort infatigable vers la vérité… et qu’il me disait : “Choisis !”, je m’inclinerais avec désespoir vers sa main gauche, en lui disant : “Père, donne ! La pure vérité n’est que pour toi seul !” » Tel Luther, Lessing fut un émancipateur, qui ne se contentait pas de sa liberté personnelle, mais qui souhaitait également celle de ses lecteurs. Il pensait tout haut devant eux et leur donnait envie de penser. Il estimait qu’ils étaient non moins habiles que lui à gérer leurs opinions et leurs goûts. « La liberté fut l’âme de tous ses ouvrages ; on citerait difficilement une ligne de lui qui ne vise quelque servitude », explique Victor Cherbuliez 5. En religion, il lutta pour l’avènement d’une religion humanitaire et universelle. Il imagina une grande famille humaine, une franc-maçonnerie de tous les croyants unis plutôt dans la pratique de la vertu que dans celle du culte. En littérature, il affranchit son pays de la rigidité, de l’imitation servile. Jusque-là, on n’avait joué sur la scène allemande que des adaptations de pièces françaises, elles-mêmes imitées du grec ; il fit voir le ridicule de cette fausse Antiquité, empruntée de seconde main. Il contribua au contraire à révéler au public les tragédies de Shakespeare, dont le caractère terrible avait infiniment plus de rapport avec celui des Allemands. Il assura que Shakespeare seul pouvait susciter un théâtre original et populaire ; et que, si Shakespeare ignorait Aristote, que Corneille avait si bien étudié, des deux tragédiens c’est Shakespeare qui l’avait le mieux suivi ! Cependant, quels que fussent les paradoxes auxquels Lessing se laissa entraîner par l’ardeur et par les nécessités de la controverse, il sema des vues neuves, des aperçus féconds.
- Heine, « De l’Allemagne. Tome I », p. 204.
- Staël, « De l’Allemagne », part. 3, ch. VII.
- En allemand « durch seinen Charakter, durch sein Festhalten ».
- « Eine Duplik » (« Une Duplique »), inédit en français.
- « Études de littérature et d’art », p. 20.
Lessing, « L’Éducation du genre humain, “Die Erziehung des Menschengeschlechts” »
éd. Aubier-Montaigne, coll. bilingue des classiques étrangers, Paris
Il s’agit de « L’Éducation du genre humain » 1 (« Die Erziehung des Menschengeschlechts ») de Gotthold Ephraim Lessing, écrivain hostile aux conventions en vogue, aux préjugés de classe, à l’esprit de servilité et de routine, à tout ce qui paralysait le génie allemand (XVIIIe siècle). Sans être le plus grand d’entre les plus grands, celui qui a mérité que Henri Heine dise de lui : « Lessing, de tous les écrivains allemands, est celui que je chéris le plus » 2 a certainement le droit d’être considéré comme l’un des pères de cette Allemagne triomphante où, selon le mot de la baronne de Staël 3, « [même] les écrivains du second et du troisième ordre ont encore des connaissances assez approfondies pour être chefs ailleurs ». Il fut tour à tour philosophe, critique, traducteur, dramaturge, fabuliste, secrétaire d’un général, bibliothécaire d’un duc, ouvrant dans toutes les directions des voies nouvelles, poursuivant partout la vérité. Car Lessing eut une passion pour la vérité. Il la chercha « avec caractère, avec énergique constance », comme dit Gœthe 4, et il eut même plus de joie à la chercher qu’à la trouver, comme le chasseur qui prend plus de plaisir à courir le lièvre qu’à l’attraper. « Si Dieu », dit Lessing 5, « tenait dans sa main droite toutes les vérités et dans sa main gauche l’effort infatigable vers la vérité… et qu’il me disait : “Choisis !”, je m’inclinerais avec désespoir vers sa main gauche, en lui disant : “Père, donne ! La pure vérité n’est que pour toi seul !” » Tel Luther, Lessing fut un émancipateur, qui ne se contentait pas de sa liberté personnelle, mais qui souhaitait également celle de ses lecteurs. Il pensait tout haut devant eux et leur donnait envie de penser. Il estimait qu’ils étaient non moins habiles que lui à gérer leurs opinions et leurs goûts. « La liberté fut l’âme de tous ses ouvrages ; on citerait difficilement une ligne de lui qui ne vise quelque servitude », explique Victor Cherbuliez 6. En religion, il lutta pour l’avènement d’une religion humanitaire et universelle. Il imagina une grande famille humaine, une franc-maçonnerie de tous les croyants unis plutôt dans la pratique de la vertu que dans celle du culte. En littérature, il affranchit son pays de la rigidité, de l’imitation servile. Jusque-là, on n’avait joué sur la scène allemande que des adaptations de pièces françaises, elles-mêmes imitées du grec ; il fit voir le ridicule de cette fausse Antiquité, empruntée de seconde main. Il contribua au contraire à révéler au public les tragédies de Shakespeare, dont le caractère terrible avait infiniment plus de rapport avec celui des Allemands. Il assura que Shakespeare seul pouvait susciter un théâtre original et populaire ; et que, si Shakespeare ignorait Aristote, que Corneille avait si bien étudié, des deux tragédiens c’est Shakespeare qui l’avait le mieux suivi ! Cependant, quels que fussent les paradoxes auxquels Lessing se laissa entraîner par l’ardeur et par les nécessités de la controverse, il sema des vues neuves, des aperçus féconds.
- Parfois traduit « L’Éducation de l’humanité ».
- Heine, « De l’Allemagne. Tome I », p. 204.
- Staël, « De l’Allemagne », part. 3, ch. VII.
- En allemand « durch seinen Charakter, durch sein Festhalten ».
- « Eine Duplik » (« Une Duplique »), inédit en français.
- « Études de littérature et d’art », p. 20.
Térence, « Les Comédies »
Il s’agit des six « Comédies » (« Comœdiæ ») de Térence 1, dramaturge latin, qui naquit dans la condition la plus vile et la plus détestable — celle d’esclave. Sans famille et sans nom, il était désigné sous le surnom d’Afer (« l’Africain »), ce qui permet de supposer qu’il était Carthaginois de naissance. Cependant, la pureté de son langage — pureté admirée par ses contemporains — prouve que, s’il n’est pas né à Rome, il y fut amené dès sa plus tendre enfance. Acheté ou reçu en présent par un riche sénateur, Terentius Lucanus, il fut élevé par ce dernier avec un grand soin et affranchi de bonne heure. Cet acte généreux porta bonheur à Terentius Lucanus. Le nom du jeune affranchi, Térence, rendit immortel celui du vieux maître. C’était le IIe siècle av. J.-C. — le siècle où, selon le mot d’Horace, « la Grèce, vaincue par les armes, triomphait de ses vainqueurs par ses charmes et portait les arts dans la sauvage Italie » 2. La culture grecque était plus que jamais à l’honneur. Térence y fut initié, comme tous les brillants aristocrates qui fréquentaient la maison sénatoriale. Ce sont eux sans doute qui l’encouragèrent vers la carrière littéraire, où ses goûts et ses talents l’entraînaient. Il se tourna donc vers le genre de la comédie athénienne, et surtout de la comédie nouvelle, appelée la « palliata ». Ses six pièces sont toutes imitées de Ménandre et d’Apollodore de Caryste ; elles sont grecques par l’intrigue, par la pensée, par le caractère des personnages, par le titre même. Après les avoir données sur le théâtre de Rome, Térence partit pour la Grèce afin d’étudier d’encore plus près les mœurs de cette contrée dont il reproduisait l’esprit sur la scène. Combien de temps dura ce voyage ? Térence parvint-il à Athènes ? On l’ignore. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’il ne revint jamais. Et comme on veut toujours donner quelque cause extraordinaire à la disparition d’un grand personnage, on n’a pas manqué d’attribuer celle de Térence au chagrin que lui aurait causé la perte de cent huit manuscrits lors d’un naufrage : recueilli par de pauvres gens, le rescapé serait tombé malade, et le chagrin aurait hâté sa dernière heure.
« À l’ombre des grands fromagers : proverbes malinké »
éd. Conseil international de la langue française-Édicef, coll. Fleuve et Flamme, Paris
Il s’agit d’un recueil de proverbes malinké. Nul genre d’enseignement n’est plus ancien que celui des proverbes. Son origine remonte aux âges les plus reculés du globe. Dès que les hommes, mus par un instinct irrésistible ou poussés par la volonté divine, se furent réunis en société ; dès qu’ils eurent constitué un langage suffisant à l’expression de leurs besoins, les proverbes prirent naissance en tant que résumé naturel des idées communes de l’humanité. « S’ils avaient pu se conserver, s’ils étaient parvenus jusqu’à nous sous leur forme primitive », dit Pierre-Marie Quitard 1, « ils seraient le plus curieux monument du progrès des premières sociétés ; ils jetteraient un jour merveilleux sur l’histoire de la civilisation, dont ils marqueraient le point de départ avec une irrécusable fidélité. » La Bible, qui contient plusieurs livres de proverbes, dit : « Celui qui applique son âme à réfléchir sur la Loi du Très-Haut… recherche le sens secret des proverbes et revient sans cesse sur les énigmes des maximes » 2. Les sages de la Grèce eurent la même pensée que la Bible. Confucius imita les proverbes et fut à son tour imité par ses disciples. De même que l’âge de l’arbre peut se juger par le tronc ; de même, les proverbes nous apprennent le génie ou l’esprit propre à chaque nation, et les détails de sa vie privée. On en tenait certains en telle estime, qu’on les disait d’origine céleste : « C’est du ciel », dit Juvénal 3, « que nous est venue la maxime : “Connais-toi toi-même”. Il la faudrait graver dans son cœur et la méditer toujours. » C’est pourquoi, d’ailleurs, on les gravait sur le devant des portes des temples, sur les colonnes et les marbres. Ces inscriptions, très nombreuses du temps de Platon, faisaient dire à ce philosophe qu’on pouvait faire un excellent cours de morale en voyageant à pied, si l’on voulait les lire ; les proverbes étant « le fruit de l’expérience de tous les peuples et comme le bon sens de tous les siècles réduit en formules »
- « Études historiques, littéraires et morales sur les proverbes français et le langage proverbial », p. 2.
- « Livre de l’Ecclésiastique », XXXIX, 1-3.
Rivarol, « L’Universalité de la langue française »
Il s’agit du « Discours sur l’universalité de la langue française » d’Antoine Rivaroli, dit de Rivarol, improvisateur français, un des plus éblouissants esprits de la fin du XVIIIe siècle. « Il y a parmi les gens du monde certaines personnes qui doivent tout [leur] bonheur à leur réputation de gens d’esprit, et toute leur réputation à leur paresse ». En plaçant ces mots en tête du « Petit Almanach de nos grands hommes », Rivarol pensait-il à lui-même ? Probablement. Il était paresseux et il le savait ; mais c’était le dieu de la conversation en cette fin de siècle où la conversation était le suprême plaisir et la suprême gloire, et il était chaque jour traversé d’inspirations fulgurantes. On rapporte qu’il notait ses « Pensées diverses » sur de petites feuilles volantes, sur des morceaux de papier, qu’il rangeait ensuite dans des sacs posés sur sa table de nuit. Avec ces sacs, qu’il renversait périodiquement, tel un chercheur d’or comptant ses pépites, il visait au premier rang dans les lettres et il était bien capable d’y atteindre ; mais il fréquentait trop une société dissipée, mondaine, une société qui ne voulait qu’être amusée ; et en quelques heures de conversation, il gaspillait avec éclat la matière de dix livres. « On n’avait qu’à le toucher sur un point, qu’à lui donner la note, et le merveilleux clavier répondait à l’instant par toute une sonate », explique un critique 1. Ces succès commodes, qu’il remportait chaque soir en causant sur n’importe quel sujet, et qui n’avaient besoin, pour être renouvelés, que des improvisations de son esprit légèrement occupé, lui ont ravi ses plus belles années. « Sans cesse arraché à lui-même, il a sacrifié tantôt à la frivolité, tantôt à la fidélité, tantôt à la nécessité, les heures sacrées de l’inspiration. Il a perpétuellement manqué les occasions de devenir un grand homme », explique un autre critique 2.