Il s’agit de « Matsukaze » 1 et autres nô. Les Japonais ont le rare privilège de posséder, en propre, une forme de drame lyrique — le « nô » 2 (XIVe-XVe siècle apr. J.-C.) — qui malgré la différence absolue des traditions, des sujets et de certains modes d’expression, peut être comparée, sans trop de paradoxe, à la tragédie grecque du siècle de Périclès. Comme cette tragédie, le nô fut tout d’abord le développement et comme l’annexe des chants, danses et chœurs qui accompagnaient la célébration des cérémonies religieuses. Une déesse, disent les Japonais, inaugura cette forme théâtrale, et voici dans quelles circonstances, si l’on en croit le « Kojiki ». Grande-Auguste-Kami-Illuminant-le-Ciel, irritée des méchancetés de son frère, décida, un jour, de se cacher dans la grotte rocheuse du ciel dont elle barra la porte. De ce fait, le ciel et la terre furent plongés dans de profondes ténèbres. Et chacun, on le pense bien, était fort inquiet. Les huit millions de dieux se rassemblèrent alors sur les bords de la Voie lactée, pour délibérer des mesures qu’il convenait de prendre, afin de faire cesser cette situation critique. Conformément à leur avis, on essaya bien des ruses pour forcer Grande-Auguste-Kami-Illuminant-le-Ciel à sortir de sa grotte, mais aucune ne réussit. C’est alors que Majesté-Féminine-Uzu-Céleste eut l’idée d’exécuter une danse originale : « Se coiffant de branches de fusain céleste… elle renversa un fût vide devant la porte de la grotte et claqua des talons. Tout en dansant jusqu’au paroxysme elle découvrit sa poitrine et baissa la ceinture de son vêtement jusqu’à son sexe. Alors la Haute-Plaine-du-Ciel devint bruyante, et les huit millions de “kamis” se mirent à rire » 3. Grande-Auguste-Kami-Illuminant-le-Ciel, intriguée, entr’ouvrit la porte de sa prison volontaire. La lumière reparut au ciel et sur terre. Le divertissement divin de ce temps-là fut, dit-on, le premier des nô.
- En japonais « 松風 ». Également connu sous le titre de « Matsukaze Murasame » (« 松風村雨 »).
- En japonais 能. Parfois transcrit « noh » ou « nou ».
- « Le “Kojiki” », p. 83-84.